C’en est assez, par la mort-dieu! J’entends que ma volonté soit faite, que tous vos muguets et mignons cessent de provoquer les huguenots, et que ces moines damnés comme votre Panigarola… Nous verrons bien, pardieu! ajouta tout à coup Charles IX en se levant, qui commande à Paris! Ces mignons fieffés, je les ferai mettre à la Bastille! Tant pis pour mon frère s’il en pleure! Et quant à vos moines, je les mettrai à la raison. Et pour commencer, votre Panigarola, je l’arrête!…
Le jeune roi s’exaltait. Il se promenait avec agitation. Aux derniers mots, il marcha sur Catherine d’un air si menaçant que la reine se leva, de son côté, en étendant le bras.
– Eh! mon fils, s’écria-t-elle, avec un rire forcé, on dirait vraiment que c’est à votre mère que vous en voulez!…
Charles IX s’arrêta soudain; une légère rougeur monta à son front généralement pâle comme cire.
– Excusez-moi, madame, dit-il en reprenant place dans son fauteuil. Ces gens m’exaspèrent à la longue. Quant à croire que vous soyez menacée dans mon Louvre, j’espère qu’une pareille pensée n’a pu naître en vous…
– Non, mon fils… et c’est une simple façon de parler. Mais si vous m’en croyez, vous n’arrêterez personne, pas plus Panigarola que Maugiron ou Quélus…
– Je les arrêterai, si bon me semble, madame! J’arrêterai Henri s’il le faut! qu’on y prenne garde, ma patience a des bornes.
– Bon! fit la reine, vous parlez de paix, et vous ne rêvez qu’arrestations jusque dans votre famille!
Mais déjà Charles IX, avec un grand geste de lassitude, se renversait dans son fauteuil.
L’explosion de colère qui venait de lui échapper avait brisé sa faible énergie.
Catherine l’attendait là.
– Vous n’arrêterez personne, dit-elle, si je vous donne un bon moyen d’assurer la paix générale.
– Et vous auriez trouvé ce moyen, madame?
– Je l’ai trouvé.
– Et il ne s’agit pas de quelque bon carnage, de quelque bataille nouvelle, de quelque levée de troupes et d’argent?
– Rien de tout cela, mon fils! fit la reine avec un sourire maternel.
– Je vous écoute, madame, dit Charles en s’armant de défiance.
– Voici longtemps que j’y songe. Pendant que vous me croyez occupée à rêver de guerre comme je ne sais quelle héroïne, je ne suis qu’une pauvre mère cherchant à assurer le bonheur de ses enfants, insista-t-elle sur un mouvement de Charles. Et voici ce que j’ai trouvé, mon fils: les huguenots ne sont plus rien, ou du moins cessent d’être dangereux, s’ils n’ont plus Henri de Béarn et Coligny.
– Vous songeriez donc à…
– Attendez, mon fils. Je dis que, privés de ces deux chefs, les huguenots ne pourraient plus vous faire la guerre.
– Mais, madame, ce n’est pas à moi qu’ils la font!
– Soit! Mais ils la font!… Supposez maintenant que Coligny et Henri de Béarn fassent leur soumission.
– Jamais ils n’y consentiront!
– Eh bien! s’écria Catherine triomphante, j’ai trouvé mieux que de leur arracher une soumission qui serait peut-être hypocrite. J’ai trouvé le moyen d’en faire les amis les plus ardents du roi, ses alliés!
– Par la mort-dieu, madame, j’avoue que si vous avez trouvé cela, je vous admirerai.
– Bien. Écoutez-moi, en ce cas. Que pensez-vous que ferait le vieux Coligny si vous lui donniez une armée pour aller défendre dans les Pays-Bas ses coreligionnaires massacrés par le duc d’Albe?
– Je dis qu’il tomberait à mes pieds. Mais, madame, ce serait la guerre avec l’Espagnol!
– Nous causerons de cela en conseil, mon fils. Je sais un moyen d’éviter la guerre avec l’Espagne qui est et doit rester notre amie fidèle. Ceci acquis, êtes-vous décidé à faire à l’amiral la proposition que je vous dis?
– Oui, morbleu! et même au prix d’une guerre avec l’Espagne, car après tout, mieux vaut guerre de frontière que guerre intestine!
– Bien. Vous admettez qu’en ces conditions l’amiral est à nous? Voilà donc les brouillons du parti huguenot qui n’ont plus de chef et viennent se ranger autour de vous.
– Sans doute. Mais Henri de Béarn? demanda avidement Charles IX.
– Ah! voilà où mon idée a du bon! Henri de Béarn est votre ennemi… eh bien, j’en fais plus que votre ami, j’en fais votre frère…
– Henri n’est pas plus mon ennemi que l’amiral, madame. C’est nous qui, jusqu’ici, les avons poussés à la guerre. Avouons nos torts… mais enfin, je serais curieux de savoir comment le Béarnais peut devenir mon frère…
– En épousant votre sœur… ma fille Marguerite! fit Catherine triomphante.
– Margot! s’écria Charles stupéfait.
– Elle-même! Croyez-vous qu’il refusera l’alliance? Croyez-vous que l’orgueilleuse Jeanne d’Albret elle-même ne sera pas fière et heureuse d’une pareille union?
– L’idée est admirable, en effet. Mais qu’en dira Margot?
– Marguerite dira ce que nous voudrons. À défaut de sa soumission, son intelligence nous assure de son dévouement.
– Par la mort-dieu! s’écria le roi en se levant, voilà, madame, une belle et profonde pensée… Oui, oui, cela nous assure la paix… Le Béarnais rentrant dans ma famille, et Coligny occupé aux Pays-Bas, il n’y a plus de parti huguenot!… C’est admirable, vraiment… Plus de guerre, plus de sang dans les rues de Paris… des fêtes, des chasses, des danses… Mort-dieu, madame, la jolie cour que nous allons avoir. Savez-vous que cela commençait à devenir bien triste? C’est charmant, j’en veux avoir le cœur net… faites rassembler le conseil pour demain!… Ah! je respire!
Et le roi Charles, en véritable enfant qu’il était, esquissa un pas de danse, puis saisit sa mère à pleins bras et l’embrassa sur les deux joues, puis, joyeusement, sonna à toute volée un air de chasse…
Catherine, de son air glacial, suivait toute cette expansion de joie juvénile.
Soudain, elle vit son fils pâlir. Charles porta sa main crispée à son cœur et s’arrêta, haletant. Son regard se troubla. Ses pupilles se dilatèrent.
Deux secondes, il parut en proie à quelque mystérieuse vision ou à un vertige.
Puis ses traits se calmèrent. Son regard s’apaisa. Il respira plus librement.
– Vous le voyez, ma mère, dit-il avec un triste sourire, voici une crise avortée. La joie que vous m’avez donnée me rend déjà plus fort… Ah! s’il n’y avait plus autour de mon trône ni haines sourdes ni intrigues… si nous avions enfin la paix!…
– Vous l’aurez, Charles! dit Catherine qui se leva. Reposez-vous en votre mère qui veille sur vous… J’ai donc votre approbation pour ouvrir des conférences en vue de ce mariage?
– Oui, madame, allez… Et moi, je m’en vais de ce pas voir Margot et lui faire entendre raison.
La reine mère eut un sourire aigu. Elle se retira après avoir jeté un profond regard sur son fils qui, tout joyeux et tout fredonnant, se rendit en effet chez sa sœur Marguerite.
C’est ainsi que fut décidé un acte politique qui, préparé pour assurer la paix du royaume, devait aboutir à l’une des plus atroces et des plus sanglantes tragédies qui aient épouvanté l’histoire.
Mais nous n’en avons pas fini avec ce chapitre où nous avons voulu de montrer sous un triple aspect la sombre et tortueuse politique de Catherine de Médicis. Cette troisième partie de cet épisode complétera les deux autres, et éclairera d’un jour livide la pensée qui avait guidé la reine dans son entretien avec Ruggieri, d’abord, avec Charles IX, ensuite.
Elle regagna ses appartements, lente et méditative, et entra dans son oratoire.
Cette pièce était l’antithèse de celle où nous avons d’abord introduit nos lecteurs: ici, plus de tableaux, plus de statues, plus de rideaux brochés, plus de coussins… Des murs couverts d’une sombre tapisserie, une table d’ébène, un fauteuil d’ébène aussi, un prie-Dieu, et au-dessus de ce prie-Dieu un christ d’argent massif sur sa croix noire…
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