– Je mentirai donc, ma belle reine! s’écria Ruggieri.
– La reine de Navarre viendra à Paris, je te le répète. Il faut qu’avant même son arrivée le mensonge ait déjà préparé nos voies. D’abord, elle est malade, tu comprends? Ensuite, elle a un fils… Pourquoi t’assombris-tu? Et qui te dit que ce fils… je ne le réserve pas à de hautes destinées! Qui te dit qu’il ne sera pas roi de Navarre à la place d’Henri!…
Ruggieri étouffa un cri de joie qui vint expirer sur ses lèvres.
– Silence! gronda Catherine de Médicis.
– Ah! Catherine, murmura l’astrologue en appuyant ses lèvres sur la main de la reine, comme vous êtes grande! Comme votre pensée est profonde! Et comme je vous admire humblement!…
– Va! fit la reine en souriant, va et songe à m’obéir…
– Aveuglément! s’écria l’astrologue en s’élançant hors du cabinet.
À son tour, Catherine de Médicis quitta ses appartements sans passer par la salle où étaient réunies ses dames d’atours, et, par des couloirs réservés, gagna le logis du roi.
À mesure qu’elle approchait, elle entendait une sonnerie de chasse.
Charles IX, grand chasseur, avait une passion furieuse pour l’art de la vénerie en général et pour tous les arts qui s’y rattachaient en particulier.
Il sonnait de la trompe à s’en époumoner, à s’en rendre malade.
Son médecin, Ambroise Paré, lui recommandait vainement de s’adonner avec les plus grandes précautions à sa passion favorite. Il fallait que tous les jours le répertoire complet des chasses royales y passât.
Et encore ce répertoire s’augmentait-il assez souvent de quelque air nouveau.
Avant d’entrer chez le roi, Catherine composa son visage et prit son air le plus mélancolique. Lorsqu’elle entra, Charles IX déposa aussitôt la trompe dans laquelle il soufflait avec une conviction de chasseur, et s’avançant vers elle la prit par une main, baisa cette main et la conduisit enfin jusqu’à un grand fauteuil d’ébène dans lequel la reine s’assit.
– Mon fils, dit alors Catherine, je viens, comme tous les matins, m’informer de votre santé. Comment êtes-vous?… Tournez-vous vers la fenêtre, que je vous voie… Mais vous me paraissez bien… très bien… Ah! je respire… C’est que voyez-vous, je ne vis plus depuis que ces maudits accès vous ont pris… et surtout depuis qu’Ambroise Paré m’a affirmé…
– Achevez, ma mère, fit Charles sans inquiétude apparente.
– Ce savant docteur m’a dit que l’une de ces crises pouvait vous tuer sur le coup; mais je n’en crois rien, Charles; d’ailleurs, j’ai ordonné des prières secrètes dans trois églises et notamment à Notre-Dame.
– Ce que vous me dites là, madame, me rassurerait si j’avais besoin d’être rassuré; mais je suis comme vous, je ne crois nullement aux sinistres prédictions de maître Paré, que j’ignorais d’ailleurs… je suis solide encore, et ceux qui pourraient se réjouir de ma mort devront attendre.
– Amen! dit Catherine. Mais, mon fils, vous croyez donc qu’il y a des gens qui se réjouissent de la mort du roi! En quels temps vivons-nous donc, hélas!… Lorsque votre illustre père tomba dans cette triste fête sous les coups de son capitaine, Paris, tout entier, pleura, le royaume prit le deuil, et le monde civilisé témoigna sa douleur. Pourquoi n’en serait-il pas de même lorsqu’il plaira à Dieu de vous rappeler à lui?
Charles IX pâlit. Fut-ce de colère ou de crainte? Les deux, sans doute.
Il regarda fixement sa mère et s’écria:
– Eh, Madame, d’où vous viennent ces idées funèbres! Je ne puis causer deux minutes avec vous sans qu’il soit question de ma mort!
– La constante inquiétude d’une mère, Charles, ne désarme jamais devant les apparences de la sécurité.
– Et moi, par la mort-dieu, je vous dis que je me porte à merveille! N’en parlons donc plus. Quant à ces gens dont je parlais et qui se réjouissent en secret dès que j’ai la colique, ils sont partout et jusque dans ce palais!
– Vous voulez parler de messieurs les huguenots, mon fils. Eh bien! je voulais justement vous entretenir à leur sujet. Si cela vous convient, sire, le moment serait bon…
Et Catherine jeta un regard significatif sur trois ou quatre personnes de l’entourage royal qui, au moment où la reine mère était entrée, s’étaient respectueusement retirées dans un coin.
Le roi eut un haussement d’épaules impatienté et se tourna vers ces personnes.
– Messieurs, dit-il, la reine veut m’entretenir… Maître Pompéus, vous reviendrez dans une heure pour ma leçon d’armes… Ah! apportez-moi donc quelques-unes de ces lames arabes dont vous me parliez… Maître Crucé, nous causerons demain de ferronnerie; je veux voir ce nouveau modèle de serrure que vous avez inventé; messieurs, à bientôt.
Le maître d’armes, Crucé, les gentilshommes sortirent après une profonde salutation à la reine.
Au moment où Crucé salua, il échangea avec Catherine un rapide regard.
– Je vous écoute, madame! fit alors Charles IX en se jetant sur les coussins d’un vaste fauteuil. Ici, Nysus! Euyalus!
Deux magnifiques lévriers qui, depuis l’entrée de la reine, n’avaient cessé de gronder sourdement, vinrent se coucher près du roi qui machinalement se mit à les taquiner de sa main pendante.
– Charles, dit alors Catherine, est-ce que l’état de votre royaume ne vous paraît pas lamentable? Est-ce que vous ne pensez pas que cette longue dispute, ces guerres funestes où succombent l’un après l’autre les meilleurs gentilshommes de l’un et l’autre parti ne finiront pas par appauvrir l’héritage que vous tenez de votre père et que vous devez transmettre intact à vos successeurs?
– Si fait, pardieu! Je trouve que c’est vraiment payer trop cher le plaisir d’entendre la messe, que de voir succomber tant de braves qui eussent pu trouver un plus utile emploi de leur vie et de leur sang à notre service!
– J’aime à vous voir dans ces dispositions, sire, fit Catherine avec un sourire.
– Je ne m’étonne que d’une chose, madame; c’est que ces dispositions semblent vous étonner. N’ai-je pas toujours prêché que la paix devait se faire entre les deux religions? N’ai-je pas témoigné mon horreur du sang versé en faisant crier édits sur édits dans les rues de Paris contre les gens qui se veulent battre? Enfin, n’est-ce pas moi qui ai voulu que la paix fût signée à Saint-Germain?… C’est donc votre attitude et non la mienne qui est surprenante. Car voici du nouveau! C’est vous qui venez me prêcher la concorde, alors que j’ai dû toujours résister à votre robuste appétit de guerre et de massacre!
– Comme vous me connaissez mal, mon fils!…
– Eh! madame, je ne demande qu’à mieux connaître ma mère! s’écria Charles avec amertume. Mais avouez que si je vous connais si mal, c’est que d’autres de vos enfants ont eu la meilleure part de votre confiance…
Catherine, comme dans toutes les circonstances où elle était embarrassée, fit semblant de ne pas avoir entendu.
– D’ailleurs, reprit-elle avec mélancolie, j’ai passé ma vie à être méconnue… Mais, mon fils, je ne vous apprends rien de nouveau, je crois, en vous disant que j’ai voulu la guerre pour avoir la paix.
– Oui, oui, je connais vos raisons: détruisons les huguenots, jusqu’au dernier, et nous serons tranquilles… Vous avez vu le beau résultat que nous avons obtenu. Malgré Jarnac, malgré Moncontour où mon frère d’Anjou s’est couvert de gloire à ce que m’a assuré Tavannes (Catherine se mordit les lèvres), malgré dix victoires, nous avons vu le vieux Coligny [21]nous repousser à Arnay-le-Duc avec une nouvelle armée, pousser jusque sur les bords du Loing et menacer peut-être Paris si je ne l’avais arrêté par l’offre d’une paix honorable. Ces guerres seront toujours à recommencer. Les réformés battus sur un point reparaissent plus forts sur un autre.
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