– À la bonne heure! puisqu’il en est ainsi; mais…
– Le quatrain? Oh! les poètes sont des êtres bizarres; et puis, ne vaut-il pas mieux répondre par une douce critique qui peut être un avertissement que par un sourcil froncé? Des attitudes menaçantes mises en vers n’offensent pas, sire; ce n’est pas comme les pamphlets, au sujet desquels on est fort à demander coercition à Votre Majesté; des pamphlets comme celui que je viens vous montrer moi-même.
– Un pamphlet!
– Oui, sire; il me faut absolument un ordre d’embastillement contre le misérable auteur de cette turpitude.
Le roi se leva brusquement.
– Voyons! dit-il.
– Je ne sais si je dois, sire…
– Certainement, vous devez; il n’y a rien à ménager dans cette circonstance. Avez-vous ce pamphlet?
– Oui, sire.
– Donnez.
Et le comte de Provence tira de sa poche un exemplaire de l’ Histoire d’Etteniotna, épreuve fatale que le bâton de Charny, que l’épée de Philippe, que le brasier de Cagliostro avaient laissé passer dans la circulation.
Le roi jeta les yeux avec la rapidité d’un homme habitué à lire les passages intéressants d’un livre ou d’une gazette.
– Infamie! dit-il, infamie!
– Vous voyez, sire, qu’on prétend que ma sœur a été au baquet de Mesmer.
– Eh bien! oui, elle y a été!
– Elle y a été! s’écria le comte de Provence.
– Autorisée par moi.
– Oh! sire.
– Et ce n’est pas de sa présence chez Mesmer que je tire induction contre sa sagesse, puisque j’avais permis qu’elle allât place Vendôme.
– Votre Majesté n’avait pas permis que la reine s’approchât du baquet pour expérimenter par elle-même…
Le roi frappa du pied. Le comte venait de prononcer ces paroles précisément au moment où les yeux de Louis XVI parcouraient le passage le plus insultant pour Marie-Antoinette, l’histoire de sa prétendue crise, de ses contorsions, de son voluptueux désordre, de tout ce qui, enfin, avait signalé chez Mesmer le passage de Mlle Oliva.
– Impossible, impossible, dit le roi devenu pâle. Oh! la police doit savoir à quoi s’en tenir là-dessus!
Il sonna.
– M. de Crosne, dit-il, qu’on m’aille chercher M. de Crosne.
– Sire, c’est aujourd’hui jour de rapport hebdomadaire et M. de Crosne attend dans l’Œil-de-Bœuf.
– Qu’il entre.
– Permettez-moi, mon frère, dit le comte de Provence d’un ton hypocrite.
Et il fit mine de sortir.
– Restez, lui dit Louis XVI. Si la reine est coupable, eh bien! monsieur, vous êtes de la famille, vous pouvez le savoir; si elle est innocente, vous devez le savoir aussi, vous qui l’avez soupçonnée.
M. de Crosne entra.
Ce magistrat, voyant M. de Provence avec le roi, commença par présenter ses respectueux hommages aux deux plus grands du royaume; puis, s’adressant au roi:
– Le rapport est prêt, sire, dit-il.
– Avant tout, monsieur, fit Louis XVI, expliquez-nous comment il s’est publié à Paris un pamphlet aussi indigne contre la reine?
– Etteniotna? dit M. de Crosne.
– Oui.
– Eh bien! sire, c’est un gazetier nommé Réteau.
– Oui. Vous savez son nom, et vous ne l’avez, ou empêché de publier, ou arrêté après la publication!
– Sire, rien n’était plus facile que de l’arrêter; je vais même montrer à Votre Majesté l’ordre d’écrou tout préparé dans mon portefeuille.
– Alors, pourquoi l’arrestation n’est-elle pas opérée?
M. de Crosne se tourna du côté de M. de Provence.
– Je prends congé de Votre Majesté, dit celui-ci plus lentement.
– Non, non, répliqua le roi; je vous ai dit de rester; eh bien! restez.
Le comte s’inclina.
– Parlez, monsieur de Crosne; parlez ouvertement, sans réserve; parlez vite et net.
– Eh bien! voici, répliqua le lieutenant de police: je n’ai pas fait arrêter le gazetier Réteau, parce qu’il fallait de toute nécessité que j’eusse, avant cette démarche, une explication avec Votre Majesté.
– Je la sollicite.
– Peut-être, sire, vaut-il mieux donner à ce gazetier un sac d’argent et l’envoyer se faire pendre ailleurs, très loin.
– Pourquoi?
– Parce que, sire, quand ces misérables disent un mensonge, le public à qui on le prouve est fort aise de les voir fouetter, essoriller, pendre même. Mais quand, par malheur, ils mettent la main sur une vérité…
– Une vérité?
M. de Crosne s’inclina.
– Oui. Je sais. La reine a été en effet au baquet de Mesmer. Elle y a été, c’est un malheur, comme vous dites; mais je le lui avais permis.
– Oh! sire, murmura M. de Crosne.
Cette exclamation du sujet respectueux frappa le roi encore plus qu’elle n’avait fait sortant de la bouche du parent jaloux.
– La reine n’est pas perdue pour cela, dit-il, je suppose?
– Non, sire, mais compromise.
– Monsieur de Crosne, que vous a dit votre police, voyons?
– Sire, beaucoup de choses qui, sauf le respect que je dois à Votre Majesté, sauf l’adoration toute respectueuse que je professe pour la reine, sont d’accord avec quelques allégations du pamphlet.
– D’accord, dites-vous?
– Voici comment: une reine de France qui va dans un costume de femme ordinaire, au milieu de ce monde équivoque attiré par ces bizarreries magnétiques de Mesmer, et qui va seule…
– Seule! s’écria le roi.
– Oui, sire.
– Vous vous trompez, monsieur de Crosne.
– Je ne crois pas, sire.
– Vous avez de mauvais rapports.
– Tellement exacts, sire, que je puis vous donner le détail de la toilette de Sa Majesté, l’ensemble de sa personne, ses pas, ses gestes, ses cris.
– Ses cris!
Le roi pâlit et froissa la brochure.
– Ses soupirs mêmes ont été notés par mes agents, ajouta timidement M. de Crosne.
– Ses soupirs! La reine se serait oubliée à ce point!… La reine aurait fait si bon marché de mon honneur de roi, de son honneur de femme!
– C’est impossible, dit le comte de Provence; ce serait plus qu’un scandale, et Sa Majesté en est incapable.
Cette phrase était un surcroît d’accusation plutôt qu’une excuse. Le roi le sentit; tout en lui se révoltait.
– Monsieur, dit-il au lieutenant de police, vous maintenez ce que vous avez dit?
– Hélas, jusqu’au dernier mot, sire.
– Je vous dois à vous, mon frère, dit Louis XVI en passant son mouchoir sur son front mouillé de sueur, je vous dois une preuve de ce que j’ai avancé. L’honneur de la reine est celui de toute ma maison. Je ne le risque jamais. J’ai permis à la reine d’aller au baquet de Mesmer; mais je lui avais enjoint de mener avec elle une personne sûre, irréprochable, sainte même.
– Ah! dit M. de Crosne, s’il en eût été ainsi…
– Oui, dit le comte de Provence, si une femme comme Mme de Lamballe, par exemple…
– Précisément, mon frère, c’est Mme la princesse de Lamballe que j’avais désignée à la reine.
– Malheureusement, sire, la princesse n’a pas été emmenée.
– Eh bien! ajouta le roi frémissant, si la désobéissance a été telle, je dois sévir et je sévirai.
Un énorme soupir lui ferma les lèvres après lui avoir déchiré le cœur.
– Seulement, dit-il plus bas, un doute me reste: ce doute, vous ne le partagez pas, c’est naturel; vous n’êtes pas le roi, l’époux, l’ami de celle qu’on accuse… Ce doute, je veux l’éclaircir.
Il sonna; l’officier de service parut.
– Qu’on voie, dit le roi, si Mme la princesse de Lamballe n’est pas chez la reine, ou dans son appartement à elle-même.
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