L’âne se dandinait, sans y penser, et faisait aller sa tête de côté et d’autre, comme pour suivre le mouvement de la balançoire. Il riait en montrant toutes ses dents, parce qu’il était content de voir s’amuser ses amies Delphine et Marinette.
Le chat dormait sur la margelle du puits. Parfois, il ouvrait un œil, regardait les petites, et se rendormait en faisant : « Ronron, ronron. »
Le cochon, lui, se tenait dans un coin de la cour, contre la haie du jardin, et il jetait sur la balançoire des regards irrités, en secouant ses grandes oreilles pendantes. Ce cochon-là avait toujours eu des manières un peu rudes, mais c’était, au fond, une excellente nature.
On ne pouvait lui reprocher que sa mauvaise humeur, car il trouvait à redire à tout ce qu’il voyait et entendait. Son meilleur plaisir était de ronchonner du matin au soir, et il n’y avait personne à la ferme qui n’eût à en souffrir. Peut-être aussi soupçonnait-il combien il est dangereux pour ses pareils d’être gras et frais, mais c’est peu probable et tout porte à croire qu’il se laissait simplement aller à son caractère de cochon.
La balançoire le contrariait, il n’en finissait pas de grommeler dans la haie : « Ma parole, elles ne savent plus qu’inventer… et puis, qu’est-ce que c’est que ces façons de rire et de crier, à quoi cela ressemble-t-il ? D’abord, cette planche m’appartient aussi bien qu’à elles, et si quelqu’un doit se balancer, il me semble que c’est bien moi… »
— Dites donc ! cria-t-il, est-ce que vous en avez encore pour longtemps ? Je voudrais pourtant bien me balancer aussi !
Delphine vit bien que le cochon leur adressait la parole, mais Marinette riait si fort qu’elle ne put entendre ce qu’il disait.
Il faisait un joli soleil de midi. L’âne en avait chaud dans son poil et il se mit à l’ombre contre le mur de la maison. A cause de ses longues oreilles, il entendit très bien la conversation des parents qui se tenaient dans la cuisine. Voilà ce qu’ils disaient :
— Je crois qu’il est bon à tuer. Il fait déjà cent cinquante livres et je ne vois pas pourquoi on le garderait plus longtemps.
— On pourrait attendre encore un peu… D’un autre côté, je sais bien qu’il ne reste plus beaucoup de lard au saloir…
— Il en reste pour une semaine tout au plus. Moi, je serais d’avis qu’on le saigne demain matin, sans attendre davantage.
L’âne hésitait à comprendre, mais les parents parlèrent encore de boudins et d’andouilles, avec des clappements de gourmandise, et l’on ne pouvait plus douter qu’il s’agit du cochon. L’âne se mit à pleurer et à renifler si fort qu’on l’entendit dans toute la cour. En voyant ses larmes, les petites arrêtèrent la balançoire pour lui demander ce qui le chagrinait.
— Rien, répondit l’âne. J’aurai attrapé le rhume des foins, et les yeux me piquent un peu, voilà tout.
Dans son coin, le cochon hochait la tête et disait entre ses dents : « Voilà bien du bruit pour une bourrique enrhumée ! C’est comme ces deux gamines, elles n’en finissent pas de se balancer. »
Cependant, la buse volait de plus en plus bas, et plusieurs fois son ombre passa entre la balançoire et la petite poule blanche.
L’âne alla réveiller le chat qui continuait à dormir sur la margelle du puits. Il lui dit à l’oreille :
— Tu ne sais pas ce que je viens d’apprendre ? On va tuer le cochon demain matin pour en faire du lard et du boudin.
Mais le chat ne parut ni surpris, ni ému par la nouvelle. C’était à croire qu’il n’avait pas entendu.
— Voyons, réveille-toi, dit l’âne. Je viens d’apprendre…
— Eh bien ! oui. Tu viens d’apprendre qu’on tue le cochon demain matin. J’en suis fâché pour lui, mais que veux-tu que j’y fasse ? C’est le sort de tous les cochons. Il n’y a rien à faire.
— Sait-on jamais ? dit l’âne. J’ai envie de prévenir les deux petites.
— Si quelqu’un doit être averti, fit observer le chat, il me semble que c’est le cochon. Va donc lui porter la nouvelle. Pendant ce temps-là, je préviendrai Delphine et Marinette. J’ai même envie d’en parler à la petite poule blanche. Elle aura peut-être une idée.
Tandis que le chat quittait la margelle et se dirigeait vers la balançoire, l’âne s’en alla auprès du cochon. Il ne savait comment s’y prendre pour lui annoncer la nouvelle et dit avec un sourire gêné :
— Je crois qu’on tient le beau temps.
Au lieu de répondre, le cochon ne fit que tourner le dos. L’âne en fut décontenancé et resta un moment silencieux.
— Écoute, reprit-il, je voudrais te dire quelque chose, mais c’est si difficile…
— Alors, laisse-moi tranquille et tais-toi. Je me passerai bien de tes bavardages !
— Mon pauvre cochon, soupira l’âne, si tu pouvais savoir… Allons, il faut pourtant que je me décide à t’avertir…
Comme il disait ces mots, les parents se mirent à la fenêtre et appelèrent à déjeuner les deux petites qui étaient en conversation avec le chat et la poule blanche. Voyant qu’elles tardaient à venir, ils crièrent :
— Allons ! vite ! le lard va être froid !
L’âne baissa la tête, honteux pour les petites du repas qui les attendait, et murmura à l’oreille du cochon :
— Il faut leur pardonner. Elles sont bien obligées de manger ce que les parents leur donnent, n’est-ce pas ? Et puis, elles n’y font pas attention…
— Mais qu’est-ce que tu racontes entre tes dents ? A la fin, tu m’ennuies avec tes histoires.
— C’est pour le lard !
— Le lard ? mais quel lard ? Ma parole, il a perdu la tête ! Mais ma balançoire est enfin ! libre, je vais pouvoir m’amuser à mon tour…
— Une minute ! je voulais te dire…
Mais déjà le cochon courait sur ses courtes pattes vers la balançoire. L’âne le suivit au galop et en arrivant auprès du chat et de la petite poule blanche, il leur souffla :
— Le pauvre ne sait rien encore.
Le cochon s’était assis sur un bout de la planche, mais il avait beau grogner et s’agiter en tous sens, la balançoire ne bougeait pas. Ses trois amis qui faisaient cercle autour de lui, le regardaient avec compassion. La petite poule blanche en oubliait la buse qui volait maintenant en rasant le toit de la maison.
— Suis-je bête ! s’écria tout à coup le cochon. Je n’y avais pas pensé, mais pour se balancer il faut être deux !
Au même instant, on entendit des éclats de voix qui venaient de la cuisine. Les parents grondaient les deux petites :
— Vous mangerez du lard, disaient-ils, ou vous irez vous coucher ! A-t-on jamais vu pareil caprice ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
On n’entendit pas la réponse de Delphine et Marinette, parce qu’elles avaient des voix de petites filles, mais les parents reprirent :
— Pensez-vous qu’on l’engraisse pour qu’il joue avec deux gamines ? Non, non. Demain matin, le cochon sera…
Alors, auprès du cochon, pour qu’il n’entendît pas la suite, l’âne se mit à braire, la petite poule blanche à chanter et le chat à miauler. La buse, qui volait très bas et passait déjà sa langue sur son bec, fut si effrayée par le bruit qu’elle s’éleva d’un coup d’aile plus haut que le toit de la ferme.
Pourtant, elle ne perdit pas l’espoir de saisir sa proie et continua à tourner en rond au-dessus de la cour.
— Êtes-vous sots de faire un pareil vacarme, dit le cochon. Vous vous êtes mis à crier au moment où il était question de moi dans la cuisine, et la suite m’a échappé par votre faute.
L’âne poussa un grand soupir qui fit comme un courant d’air dans la moustache du chat, et la petite poule blanche rentra la tête dans son jabot pour cacher ses larmes. Alors, le chat secoua ses poils, fit un pas en avant, et répéta toute la conversation que l’âne avait surprise à la fenêtre de la cuisine. Il affirmait, par charité, que rien n’était perdu encore, mais ses paroles d’espoir ne trompaient personne.
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