— Dites donc !… Qu’est-ce qu’il va faire avec la roue que vous lui avez donnée ?…
— Mais… La placer à son camion, pardi !
— Vous croyez ?… Il roulera drôlement, son camion !… Car cette roue n’est pas du même diamètre que les autres.
De l’inquiétude passa dans le regard de l’homme.
— Je me suis peut-être trompé… Attendez… Est-ce que par hasard je lui aurais donné la roue de la camionnette du père Mathieu ?…
Une détonation éclata. C’était Maigret qui venait de tirer dans la direction d’une des chambres à air accrochées au mur. Et la chambre à air se dégonflait tout en laissant échapper de petits sachets de papier blanc par la déchirure.
— Bouge pas, petit !
Car le mécano, courbé en deux, s’apprêtait à foncer tête première.
— Attention… Je tire…
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Mains en l’air !… Plus vite !…
Et il s’approcha vivement de Jojo, tâta ses poches, confisqua un revolver chargé de six balles.
— Va te coucher sur ton lit de camp…
Du pied, Maigret referma la porte. Il comprit en regardant le visage piqueté de taches de rousseur du mécanicien que celui-ci ne se résignait pas à la défaite.
— Couche-toi.
Il ne vit pas de corde autour de lui, mais il avisa un rouleau de fil électrique.
— Tes mains !…
Comme Maigret devait lâcher son revolver, l’ouvrier eut un tressaillement, mais il reçut un coup de poing en plein visage. Le nez saigna. La lèvre grossit. L’homme poussa un râle de rage. Ses mains étaient liées et bientôt ses pieds étaient entravés de même.
— Quel âge as-tu ?
— Vingt et un ans…
— Et d’où sors-tu ?
Un silence. Maigret n’eut qu’à montrer son poing.
— De la colonie pénitentiaire de Montpellier.
— A la bonne heure ! Tu sais ce que contiennent ces petits sachets ?
— De la drogue !
La voix était hargneuse. Le mécano gonflait ses muscles dans l’espoir de faire éclater le fil électrique.
— Qu’est-ce qu’il y avait dans la roue de rechange ?
— Je n’en sais rien…
— Alors, pourquoi l’as-tu donnée à cette voiture plutôt qu’à une autre ?
— Je ne répondrai plus !
— Tant pis pour toi !
Cinq chambres à air furent crevées coup sur coup, mais elles ne contenaient pas toutes de la cocaïne. Dans l’une, où une pièce recouvrait une longue déchirure, Maigret trouva des couverts en argent marqués d’une couronne de marquis. Dans une autre, il y avait de la dentelle et quelques bijoux anciens.
Le garage comportait dix voitures. Une seule fonctionna quand Maigret essaya de les mettre tour à tour en marche. Et alors, armé d’une clé anglaise, s’aidant à l’occasion d’un marteau, il s’occupa de démonter les moteurs, de cisailler les réservoirs à essence.
Le mécano le suivait des yeux en ricanant.
— C’est pas la marchandise qui manque, hein ! lança-t-il.
Le réservoir d’une 4 CV était bourré de titres au porteur. Il y en avait, au bas mot, pour trois cent mille francs.
— Ça vient du cambriolage du Comptoir d’Escompte ?
— Peut-être bien !
— Et ces pièces de monnaie anciennes ?
— Sais pas…
C’était plus varié que l’arrière-boutique d’un brocanteur. Il y avait de tout : des perles, des billets de banque, des bank-notes américaines et des cachets officiels qui devaient servir à confectionner de faux passeports.
Maigret ne pouvait tout démolir. Mais, en vidant les coussins avachis d’une conduite intérieure, il trouva encore des florins en argent, ce qui suffit à lui prouver que tout, dans ce garage, était truqué.
Un camion passa sur la route, sans s’arrêter. Un quart d’heure plus tard, un autre filait de même devant le garage et le commissaire fronça les sourcils.
Il commençait à comprendre le mécanisme de l’entreprise. Le garage était tapi au bord de la route nationale, à cinquante kilomètres de Paris, à proximité de grandes villes de province comme Chartres, Orléans, Le Mans, Châteaudun…
Pas de voisins, hormis les habitants de la maison des Trois-Veuves et de la villa Michonnet.
Que pouvaient-ils voir ? Mille voitures passaient chaque jour. Cent d’entre elles, au moins, s’arrêtaient devant les pompes à essence. Quelques-unes entraient, pour une réparation. On vendait ou on échangeait des pneus, des roues garnies. Des bidons d’huile, des fûts de gas-oil passaient de main en main.
Un détail surtout était intéressant : chaque soir, des camions de fort tonnage descendaient vers Paris, chargés de légumes pour les Halles. A la fin de la nuit, ou le matin, ils revenaient à vide.
A vide ?… N’étaient-ce pas eux qui, dans les paniers et les caisses à légumes, charriaient les marchandises volées ? Cela pouvait constituer un service régulier, quotidien. Un seul pneu, celui qui contenait de la cocaïne, suffisait à démontrer l’importance du trafic, car il y avait pour plus de deux cent mille francs de drogue.
Et le garage, par surcroît, ne servait-il pas au maquillage des autos volées ?
Pas de témoins ! M. Oscar, sur le seuil, les deux mains dans les poches ! Des mécanos maniant des clés anglaises ou des chalumeaux ! Les cinq pompes à essence, rouges et blanches, servant d’honnête devanture !
Le boucher, le boulanger, les touristes ne s’arrêtaient-ils pas comme les autres ?
Un coup de cloche au loin. Maigret regarda sa montre. Il était trois heures et demie.
— Qui est ton chef ? questionna-t-il sans regarder son prisonnier.
L’autre ne répondit que par un rire silencieux.
— Tu sais bien que tu finiras par parler… C’est M. Oscar ?… Quel est son vrai nom ?…
— Oscar…
Le mécano n’était pas loin de pouffer.
— M. Goldberg est venu ici ?
— Qui est-ce ?…
— Tu le sais mieux que moi ! Le Belge qui a été assassiné…
— Sans blague ?
— Qui s’est chargé de brûler le Danois sur la route de Compiègne ?
— On a brûlé quelqu’un ?…
Il n’y avait pas de doute possible. La première impression de Maigret se confirmait. Il se trouvait en présence d’une bande de professionnels supérieurement organisée.
Il en eut une nouvelle preuve. Le bruit d’un moteur sur la route alla croissant, puis une voiture s’arrêta dans un criaillement de freins en face du volet de fer, tandis que le klaxon lançait un appel.
Maigret se précipita. Mais il n’avait pas encore ouvert la porte que l’auto démarrait à une telle vitesse qu’il n’en distingua même pas la forme.
Poings serrés, il revint vers le mécano.
— Comment l’as-tu averti ?
— Moi ?…
Et l’ouvrier rigolait en montrant ses poignets entortillés de fil électrique.
— Parle !
— Faut croire que ça sent le roussi et que le camarade a le nez fin…
Maigret en fut inquiet. Brutalement, il renversa le lit de camp, précipitant Jojo par terre, car il était possible qu’il existât un contact permettant de déclencher au-dehors un signal avertisseur.
Mais il retourna le lit sans rien trouver. Il laissa l’homme sur le sol, sortit, vit les cinq pompes à essence éclairées comme d’habitude.
Il commençait à rager.
— Il n’y a pas de téléphone dans le garage ?
— Cherchez !
— Sais-tu que tu finiras par parler ?…
— Cause toujours !…
Il n’y avait rien à tirer de ce gaillard, qui était le type même de la crapule consciente et organisée. Un quart d’heure durant, Maigret arpenta en vain cinquante mètres de route, cherchant ce qui pouvait servir de signal.
Chez les Michonnet, la lumière du premier étage s’était éteinte. Seule la maison des Trois-Veuves restait éclairée, et l’on devinait de ce côté la présence des agents cernant le parc.
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