« … que le second mariage du testataire avec la dame Dormoy a eu lieu sous le régime de la communauté des biens…
« … que l’héritier naturel de Roger Couchet est sa mère…
« … avons l’honneur de vous confirmer que vous êtes en droit de revendiquer la moitié de la fortune laissée par Oscar Couchet tant biens meubles qu’immeubles… que, d’après nos renseignements particuliers, nous évaluons, sous réserve d’erreur, à la somme de cinq millions environ, la valeur de la maison connue sous le nom « Sérums du Dr Rivière » étant portée dans cette évaluation pour trois millions…
« …
« Nous tenons à votre entière disposition pour tous actes nécessaires à l’annulation du testament et…
« …
« Vous confirmons que sur les sommes ainsi recouvrées nous retiendrons une commission de dix pour cent (10 %) pour frais de… »
◊
Mme Martin avait cessé de pleurer. Elle était recouchée et son froid regard fixait à nouveau le plafond.
Martin se tenait dans l’embrasure de la porte, plus dérouté que jamais, ne sachant que faire de ses mains, de ses yeux, de tout son corps.
« Il y a un post-scriptum ! » murmura le commissaire pour lui-même.
Ce post-scriptum était précédé de la mention : « Strictement confidentiel . »
« Nous croyons savoir que Mme Couchet, née Dormoy, est disposée, elle aussi, à attaquer le testament.
« D’autre part, nous nous sommes renseignés sur la troisième bénéficiaire, Nine Moinard.
« C’est une femme aux mœurs douteuses, qui n’a encore pris aucune disposition pour revendiquer ses droits.
« Étant donné qu’elle est actuellement sans ressources, il nous paraît que le plus expéditif est de lui offrir une somme quelconque à titre de dédommagement.
« Nous évaluons, quant à nous, cette somme à vingt mille francs, ce qui est susceptible de séduire une personne dans la situation de Mlle Moinard.
« Nous attendons votre décision à ce sujet. »
Maigret avait laissé éteindre sa pipe. Il repliait lentement le papier, le glissait dans son portefeuille.
Autour de lui, c’était le silence le plus absolu. Martin en arrivait à retenir son souffle. Sa femme, sur le lit, le regard fixe, avait déjà l’air d’une morte.
Deux millions cinq cent mille francs… murmura le commissaire. Moins les vingt mille francs à donner à Nine pour qu’elle se montre accommodante… Il est vrai que Mme Couchet en mettra sans doute la moitié… »
Il eut la certitude qu’un sourire de triomphe, à peine dessiné, mais éloquent, glissait sur les lèvres de la femme.
« C’est une somme !… Dites donc, Martin… »
Celui-ci tressaillit, essaya de se mettre sur la défensive.
« Combien pensez-vous avoir ?… Je ne parle pas d’argent. Je parle de la condamnation. Vol. Assassinat. Peut-être établira-t-on la préméditation… À votre avis ? Pas d’acquittement, bien sûr, puisqu’il ne s’agit pas d’un crime passionnel… Ah ! si seulement votre femme avait renoué des relations avec son ancien mari… Mais ce n’est pas le cas… Affaire d’argent, rien que d’argent… Dix ans ?… Vingt ans ?… Voulez-vous mon avis ?…
« Remarquez qu’on ne peut jamais deviner la décision des juges populaires…
« N’empêche qu’il y a des précédents… Eh bien ! on peut dire qu’en général, s’ils sont indulgents pour les drames d’amour, ils se montrent d’une sévérité extrême pour ces affaires d’intérêt… »
On eût dit qu’il parlait pour parler, pour gagner du temps.
« C’est compréhensible ! Ce sont des petits-bourgeois, des commerçants… Ils croient n’avoir rien à craindre de maîtresses qu’ils n’ont pas ou dont ils sont sûrs… Mais ils ont tout à craindre des voleurs… Vingt ans ?… Eh bien, non !… Moi je penche pour la tête… »
Martin ne bougeait plus. De lui et de sa femme, c’était maintenant lui le plus livide. Au point qu’il dut se retenir au chambranle de la porte.
« Seulement, Mme Martin sera riche… Elle est à l’âge où l’on sait jouir de la vie et de la fortune… »
Il s’approcha de la fenêtre.
« À moins que cette fenêtre… C’est la pierre d’achoppement… On ne manquera pas de faire remarquer que d’ici on pouvait tout voir… Tout, vous m’entendez !… Et c’est grave !… Parce que cela pourrait indiquer une idée de complicité… Or, dans le Code, il y a un petit texte qui empêche l’assassin, même acquitté, d’hériter de la victime… Pas seulement l’assassin… Les complices… Vous voyez l’importance que prend cette fenêtre… »
Ce n’était plus le silence autour de lui. C’était quelque chose de plus absolu, de plus inquiétant, presque d’irréel : une absence totale de toute vie.
Et, brusquement, une question :
« Dites-moi, Martin ! Qu’est-ce que vous avez fait du revolver ?… »
Un frémissement de vie dans le corridor : la vieille Mathilde, évidemment, avec sa face lunaire, son ventre mou sous le tablier à carreaux.
La voix aiguë de la concierge, dans la cour. « Madame Martin !… C’est Dufayel !… »
Maigret s’assit dans une bergère qui oscilla, mais ne se brisa pas tout de suite.
XI
LE DESSIN SUR LE MUR
« Répondez !… Ce revolver… »
Il suivit le regard de Martin et s’aperçut que Mme Martin, qui avait toujours le regard braqué vers le plafond, remuait les doigts sur le mur.
Le pauvre Martin faisait des efforts inouïs pour comprendre ce qu’elle voulait lui dire. Il s’impatientait. Il voyait que Maigret attendait.
« Je… »
Que pouvait bien signifier ce carré, ou ce trapèze qu’elle esquissait de son doigt maigre ?
« Eh bien ? »
À ce moment, Maigret en eut vraiment pitié. La minute dut être terrible. Martin pantelait d’impatience.
« Je l’ai lancé dans la Seine… »
Le sort en était jeté ! Pendant que le commissaire tirait le revolver de sa poche, le posait sur la table, Mme Martin se dressait sur son lit, avec un visage de furie.
« Moi, j’ai fini par le retrouver dans la poubelle… » disait Maigret.
Et la voix sifflante de la femme, qui avait la fièvre :
« Là !… Comprends-tu, maintenant ?… Es-tu content ?… Tu as raté l’occasion, une fois de plus, comme tu as toujours raté l’occasion !… À croire que tu l’as fait exprès, par crainte d’aller en prison… Mais tu iras quand même !… Car le vol, c’est toi !… Les trois cent soixante billets que monsieur a jetés dans la Seine… »
Elle était effrayante. On comprenait qu’elle s’était trop contenue. La détente était brutale. Et son exaltation était telle que parfois plusieurs mots se présentaient en même temps à ses lèvres, qu’elle embrouillait les syllabes…
Martin baissait la tête. Son rôle était terminé. Comme sa femme le lui reprochait, il avait échoué lamentablement.
« … Monsieur se met en tête de voler, mais il laisse son gant sur la table… »
Tous les griefs de Mme Martin allaient y passer, en vrac, en désordre.
Maigret entendit derrière lui la voix humble de l’homme au pardessus mastic.
« Il y avait des mois qu’elle me montrait le bureau par la fenêtre, Couchet qui avait l’habitude de se rendre aux lavabos… Et elle me reprochait de faire le malheur de sa vie, d’être incapable de nourrir une femme… J’y suis allé…
— Vous lui avez dit que vous y alliez ?
— Non ! Mais elle le savait bien. Elle était à la fenêtre…
— Et de loin vous avez vu le gant que votre mari oubliait, madame Martin ?
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