Ils sont dehors. Il fait encore grand jour.
-- M. Dieudonné, n'est-ce pas?
Je ne vous connais pas, réplique l'autre, interloqué.
— Pourtant, nous sommes de vieilles connaissances... Si je puis vous donner un conseil, monsieur Dieudonné, c'est de ne pas essayer de me fausser compagnie... Je vous assure que vous avez tout intérêt à accepter le petit entretien que je désire avoir avec vous...
— Vous, je vois ça, vous êtes un Parisien, n'est-ce pas?
— Vous êtes dans le vrai... Je suis persuadé que, si vous vouliez me conduire à votre domicile...
— Alors il faut aller prendre le tram à la Porte de Namur...
Combien on peut se faire des idées fausses sur les gens! En écoutant le récit de l'appétissante Angèle, on imaginait son amant sous les traits d'un homme charmant, au physique agréable, à la parole fleurie.
Hélas! C'est un individu aussi banal que miteux, une sorte de don Juan pour quartiers pauvres, au veston trop cintré, à la cravate trop rouge, aux cheveux gras de brillantine. Et par-dessus le marché, il a un accent incroyable!
Il faut dire à sa décharge qu'il prend avec philosophie sa situation pour le moins désagréable.
— C'est dommage tout de même! remarque-t-il seulement. C'est l'heure à laquelle je devais faire une partie de cartes avec les amis en buvant un verre de gueuse...
De la Porte de Namur, le tramway, qui est bondé, les emmène vers quelque lointaine banlieue, et là, Dieudonné se dirige vers une petite maison meublée qui n'était ni sur la liste de Torrence, ni sur celle d'Emile.
— C'est moi! annonce-t-il, lugubre, à la propriétaire. Liske n'est pas rentrée, n'est-ce pas?
— Non, monsieur...
Il ouvre la porte avec sa clé. On pénètre dans un petit appartement tout neuf qui a l'air de sortir d'un bazar. Il y a des chromos aux murs, un appareil de TSF, et, sur la table, des napperons brodés couverts d'une infinité de bibelots horribles.
— C'est plus intime qu'à l'hôtel, n'est-ce pas?... C'est ce que je disais toujours à Liske... Il faut ce qu'il faut et j'aime mieux donner cent francs de plus par mois, mais que ce soit propre et qu'on ait l'impression d'être chez soi... Alors, comme ça, vous êtes de la police?...
— Peut-être ferions-nous mieux de commencer par le principal... Il est possible que, si vous me remettiez le manteau de vison que vous avez volé...
— Cette fille a dit que je l'avais volé?... Je savais bien qu'elle était mal élevée... Elle voulait absolument que je l'épouse... Moi, j'étais déjà depuis trois ans avec Liske...
» Liske?... Vous ne connaissez pas Liske?... Ça, c'est une belle fille, vous savez, monsieur... Regardez seulement...
Et il montre un portrait encadré, le portrait d'une Flamande grasse et rose de vingt-cinq à trente ans.
— Liske était avec vous à Paris?
— Bien sûr, monsieur...
— Et de quoi viviez-vous tous les deux?
— De quoi nous vivions?
Il est roublard, vulgairement roublard. Il essaie de gagner du temps Emile l'a déjà jugé. C'est un petit escroc sans la moindre envergure, juste bon pour rafler les économies des petites bonnes trop crédules.
— Qui a eu l'idée du manteau?
— C'est Liske...
Il se repent déjà de ce cri du cœur.
— Liske, sachant qu'Angèle, votre maîtresse, avait une patronne qui possédait un manteau de vison, a eu l'idée de...
— C'est naturel, n'est-ce pas, monsieur?... Les femmes, ça ne pense qu'à la toilette...
— Vous saviez que le manteau valait plus de cinquante mille francs?
— Je ne me suis pas inquiété de cette question...
— Vous ne connaissiez pas M. Frécourt?
— Je ne lui ai jamais été présenté...
— Tâchez d'être plus précis...
— Je m'étais un peu renseigné, bien sûr... On aime savoir qui on fréquente...
— Vous aviez surtout envie de savoir ce qu'Angèle pourrait voler pour votre compte dans l'appartement de ses maîtres...
Dieudonné se tait, réprobateur, jugeant sans nul doute ce Parisien fort mal élevé.
— Vous vous êtes rendu compte que le vison seul avait de la valeur... Vous avez obtenu que votre maîtresse le prenne pour un soir et vous n'avez pas hésité à lui jouer une assez vilaine comédie... J'ai pu constater tout à l'heure, au cinéma, que ces comédies-là ne sont pas pour vous déplaire...
— J'ai du tempérament, moi, monsieur!... Quand je vois une jolie fille...
— Sans doute votre autre maîtresse, Liske, avec laquelle vous viviez depuis trois ans, vous attendait-elle non loin de là?...
— Devant la Gare du Nord... avoue Dieudonné, à qui il n'est décidément pas difficile de tirer les vers du nez.
L'Agence O n'a jamais cru en cette affaire. Elle ne s'y est embarquée que contrainte et forcée. N'avait-elle pas raison? Tant d'efforts pour aboutir à ce petit escroc de rien du tout, qui se croit obligé de tirer un cruchon du buffet et d'offrir, avec des grâces vulgaires, un verre de genièvre à Emile!
— Mais si! Mais si! Ça fait du bien, vous savez...
Un détail fait plaisir à Emile. Tandis qu'il discutait avec Torrence, il a prétendu que le voleur avait sans doute eu besoin d'une complice. Il fallait, en effet, passer la douane. Un homme ayant un manteau de vison dans ses bagages aurait été aussitôt repéré.
— C'est donc Liske qui a passé la frontière avec le manteau sur le dos...
— Oui, monsieur... D'ailleurs, il n'aurait pas tenu dans ma valise... La voici... Il y avait déjà mon complet neuf, que j'ai acheté aux Galeries la semaine dernière...
— Pour séduire Angèle?
Il ne comprend même pas l'ironie et murmure avec satisfaction:
— Il faut ce qu'il faut...
— Voulez-vous, maintenant, me remettre le vison?
— C'est justement ce que je ne peux pas faire... Vous ne comprenez donc pas ce que j'essaie de vous expliquer depuis une heure?... Liske, pourtant, était une femme épatante... Elle m'aimait, je peux vous le dire... Nous sommes arrivés ici, où nous avons habité autrefois... Il faut vous dire que le manteau était un peu long pour elle, parce que Liske est plutôt boulotte que grande...
» — Je vais le raccourcir... qu'elle me dit.
» Et moi, qui ai toujours été trop bon, je vais à la Porte de Namur faire ma partie... Quand je rentre, pas de Liske... J'attends... Je me rends au petit restaurant du coin, où nous prenons nos repas... Pas plus de Liske que sur ma main... Je...
— Il y a combien de temps de cela? S’informe Emile.
— Trois jours... Maintenant, vous pouvez toujours demander mon extradition, comme vous dites... Qu'est-ce que j'ai fait?... Qui est-ce qui a pris le manteau à sa patronne?... Qui est-ce qui...
— Qu'est-ce que vous savez de Liske?
— Mais, monsieur, je...
Il s'étonne soudain.
— Ce que je sais?... Ce que je sais?... Eh bien! Un soir, je buvais une gueuse en face de la gare... Elle buvait une gueuse à une autre table... Je lui ai adressé un clin d'œil... Elle m'a répondu de la même manière... Nous avons...
— Ensuite?
— Toujours la même chose... Nous sommes restés ensemble... Elle me plaisait... Je lui plaisais...
— Elle continuait son métier?
— Elle n'avait pas de métier à proprement parler... Il lui arrivait bien, parfois, de faire la connaissance d'un monsieur généreux, mais ne croyez pas que...
C'était à peine du travail pour un débutant de la Police judiciaire. Un vilain petit couple. Spécialité des environs de gares, où les clients sont plus gogos qu'ailleurs. Liske devait subtiliser assez adroitement les portefeuilles et, au besoin, menacer les hommes mariés d'un scandale. Quant à son amant, le beau Dieudonné, il courait les bals fréquentés par les petites bonnes et il parvenait à en tirer profit.
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