— Dites-moi, monsieur...
Le facteur, sa boîte sur le ventre, s'apprêtait à sonner à une porte et il tenait un mandat-carte à la main.
— J'enquête sur la mort de M. Duhourcin... Vous aimeriez que son assassin soit arrêté, n'est-ce pas?... Dans ce cas, il faut répondre à mes questions...
— Moi?... Moi?... Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?...
— Venez un peu à l'écart. On nous écoute...
Et, s'étant planté avec le facteur au milieu de cette rue populeuse:
— Il vous arrivait, en même temps que le courrier habituel, d'apporter à M. Duhourcin de petits paquets qui voyageaient comme imprimés...
— Vous voulez parler des boîtes?...
— C'est cela... Qu'est-ce que vous savez sur ces boîtes?... Le facteur manifesta son embarras.
— Il s'agit de retrouver son assassin! répéta Emile pour l'encourager.
— Si c'est comme ça!... Mais je ne voudrais pas que ça vienne aux oreilles de la famille... Nous, n'est-ce pas, on est tenu au secret professionnel... Sans compter que je n'ai aucune preuve... Mais comme ces boîtes arrivaient tous les mois, et cela depuis le temps que M. Duhourcin était mal portant...
— Continuez, je vous prie...
— Si vous croyez que c'est facile!... Enfin!... J'ai eu un fils qui a attrapé quelque chose de ce genre et qui m'a fait le même coup... Même que, si je ne m'en étais pas aperçu et que si je ne l'avais pas conduit par l'oreille à notre docteur...
— De quoi parlez-vous?
— Des petits paquets semblables que nous distribuons tous les jours... Rapport aux annonces... Traitement infaillible et discret de... Vous comprenez, n'est-ce pas?... Sur les annonces, il y a toujours Envoi discret... Mais nous qu'on est des postes, on reconnaît ces paquets-là!... Voyez-vous, il y a paquet et paquet... Quand un particulier fait un paquet, ça se sent au papier employé, à la façon de nouer la ficelle... Quand c'est une maison qui en expédie des centaines par jour, même s'il n'y a pas de marque dessus, ça se reconnaît... C'est de l'emballage soigné, en série, avec des papiers collants et tout... J'ai donc pensé —mais ne le répétez à personne — que le pauvre monsieur avait attrapé...
— Vous êtes sûr qu'il n'y avait pas de marque sur les paquets?
— Certain... J'en suis certain à cause de mon fils... Je me demandais si ça venait de la même maison... Mon fils, on lui envoyait des ampoules, dans des caissettes en bois blanc... Saloperie!... Et l'imbécile qui n'osait pas m'avouer...
— Ces envois étaient-ils recommandés?
— Non, monsieur... Ils ne le sont jamais, parce que c'est plus discret ainsi... Si je vous disais combien j'en distribue chaque jour... Les pauvres types se figurent que je ne comprends pas...
— Et vous ne vous souvenez pas de la date à laquelle ont commencé ces...
— Non, monsieur... Mais je peux vous dire que c'est vers ce moment-là que M. Duhourcin, qui était un si bel homme, fort comme un bœuf, toujours riant, s'est mis à changer... De quel bureau de Paris ça venait-il, je ne m'en souviens pas non plus, mais ça venait sûrement de Paris...
— Une question encore... Je vois que vos clients s'impatientent...
— Bah! Pour ce que je leur apporte... J'ai au moins cinquante avertissements du percepteur dans ma boîte...
— Quand avez-vous remis le dernier paquet de ce genre à M. Duhourcin?....
— Il y a trois jours, tout juste... La veille du jour qu'il est mort... Cela m'a frappé, parce que je lui en avais déjà remis un la semaine précédente et que d'habitude...
Pourquoi M. Duhourcin, sous-directeur des Tréfileries françaises, recevait-il régulièrement des boîtes d'aquarelle comme on en donne aux enfants, pourquoi les faisait-il disparaître avec tant de soin — sans doute en les brûlant dans le four de l'usine — et pourquoi...
— Il vous a dit des choses intéressantes? Questionna sans espoir Jean Duhourcin, qui attendait à cent mètres de là avec la voiture.
— Ma foi... Cela dépendra de ce que je découvrirai à Paris...
Et Emile se fit conduire sans plus tarder à la gare.
III
Où Emile décrit d'avance les mains de quelqu'un qu'il
n'a jamais vu, mais où il a quand même une petite
surprise
On aurait dit que le ciel voulait se mettre à l'unisson de l'enquête. Le cinquième jour après la mort de M. Duhourcin, Paris s'éveillait une fois de plus dans le brouillard, et le fait qu'on n'avait pas encore arrêté l'assassin du bourgeois de Saint-Etienne n'était pas pour rassurer la population. Le plus lâche de tous était sans doute Adolphe, le coiffeur de la cité Bergère, dont le salon était juste en dessous de l'Agence O. Depuis qu'il avait entendu, ou cru entendre, le coup de feu, il racontait à tous ceux qui voulaient l'entendre que celui-ci lui était peut-être destiné et, chaque matin, maintenant, c'était son petit commis de quinze ans qui devait aller dehors retirer les volets.
Mlle Berthe était enrhumée. Torrence était maussade, voire grognon. Barbet courait du matin au soir et du soir au matin pour vérifier les pistes, plus invraisemblables les unes que les autres, que tous les amateurs de mystère envoyaient à l'Agence O.
Il n'y avait qu'Emile à revenir de Saint-Etienne avec une humeur égale, sinon enjouée. Comme par hasard, le matin qui suivit son retour, la police fit une découverte. Un marinier qui poussait sa péniche à la gaffe avait senti une étrange résistance au fond de l'eau. Ce n'était pas le contact habituel de la vase du fond. Le marinier tâtonna, eut l'impression de reconnaître la forme d'un corps. Alors il jeta un grappin.
Quelques instants plus tard, les habitants du quai de Valmy avaient une fois de plus sous les yeux un spectacle sinistre. Le corps d'un homme absolument nu venait d'être retiré de l'eau. Une corde, attachée à la cheville gauche du cadavre, maintenait à l'autre bout une assez grosse pierre. Etait-ce cette pierre qui avait servi à écraser littéralement le visage? Toujours est-il que celui qui avait jeté le mort à l'eau avait fait le nécessaire pour que l'identification fût impossible. Ce qui mettait le comble à l'horreur, c'est que les deux mains étaient coupées, et ce n'était pas l'hélice d'un bateau, comme un vieux monsieur le supposa, qui avait pu faire des sections aussi nettes, surtout aux deux poignets à la fois.
Enfin, la poitrine portait les traces d'un coup de feu tiré à bout portant.
Emile écouta avec beaucoup de calme ces renseignements que le commissaire Lucas lui donnait au téléphone.
Quant à Torrence, il manifesta une certaine surprise quand il entendit son collaborateur affirmer, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde:
— Vous verrez que, si on retrouve les mains, elles porteront des traces d'encre violette, sans doute des traces de colle, et qu'enfin la face latérale externe de l'index et de l'auriculaire...
— Qu'est-ce que vous racontez? cria Lucas dans l'appareil, croyant qu'on se moquait de lui.
— Je dis qu'on retrouvera des durillons aux endroits que je vous désigne... Des durillons provoqués par le frottement de ficelles... Enfin, il est à peu près certain que si, par miracle, ces mains sont retrouvées, les empreintes digitales ne seront pas inconnues du Service anthropométrique...
Toute la journée se passa à draguer le canal. Emile avait annoncé d'avance que cela ne servirait à rien.
— Vous comprenez que, si on a pris tant de peine pour rendre le cadavre méconnaissable, on n'a pas été assez bête pour se débarrasser des pièces compromettantes au même endroit que le cadavre...
A deux heures de l'après-midi, en tout cas, on avait une certitude, et la nouvelle, aussitôt transmise à Saint-Etienne, par un journaliste, y fit l'effet d'une bombe: La balle extraite de la poitrine du cadavre du canal Saint-Martin était bien celle qui avait été tirée avec le revolver de Gérard Duhourcin.
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