Torrence est à son bureau, la langue entre les lèvres, comme un bon élève appliqué, et Emile dicte, une cigarette éteinte aux lèvres:
_t'Agence 0 a l'honneur de vous renvoyer les documents qui appartiennent vraisemblablement à votre client, connu sous le nom de Commodore, et qui ont été retirés par un inconnu du coffre installé dans la villa de...
— Je ne comprends toujours pas, comment vous avez pu... murmure le bon Torrence.
— Cela ne fait rien, patron. Continuez:
Ce cambrioleur en sortant de la villa en question, s'est heurté à un de nos collaborateurs, par le plus grand des hasards. Il a fait une chute et, au cours de cette chute, il a laissé tomber sur le sol les documents que nous nous faisons un devoir...
— Il faudra donner une prime à Barbet, décide Torrence.
— Parbleu!... Je vous laisse trouver la formule de politesse... L'adresse: Maitre Duboin, rue Montaigne, Paris...
Et Emile se permet de questionner sans même prendre un air malicieux:
— Dites donc, patron, est-ce qu'on mange aussi bien qu'on le prétend, au Café de Paris?
L’arrestation du musicien

L’ARRESTATION DU MUSICIEN
I
Où le détective Torrence, jouant sa partie contre
Le commissaire Lucas, se lance en pleine illégalité
— Comment est-il? avait demandé Torrence au téléphone avant de se décider.
— Un petit, l'air grognon, avec une moustache à la Charlot...
— Bon! C'est le commissaire Lucas...
Un vieux collègue de Torrence à la Police judiciaire. Cela devenait plus drôle. Lucas, en effet, était un perpétuel inquiet. Le spectre de la gaffe possible le poursuivait littéralement. Honnête homme jusqu'à en être poire. Sensible comme on n'a pas le droit de l'être quand on dirige la lutte contre les criminels. Or, chose curieuse, tout le monde avait peur de Lucas, à cause de son air éternellement grognon.
L'arrivée de Torrence et de son photographe Banne dans le petit bar de la rue Fromentin fut d'autant plus sensationnelle que cette rue de Montmartre, encore qu'elle donne place Pigalle, est une des plus calmes du quartier. A plus forte raison un matin à six heures!
On était en mai. Lucas portait encore son pardessus, qui le faisait paraître plus petit car, comme la plupart des petits hommes, il aimait les pardessus amples et longs.
— Tu ressembles à un éteignoir, lui avait dit une fois Torrence.
Lucas buvait un café arrosé, à une table de marbre, près de la fenêtre. Le patron du bar nettoyait son zinc au blanc d'Espagne. Un inspecteur, assis en face du commissaire, écoutait les dernières instructions.
— Tout nous fait supposer qu'il est armé et que c'est un homme à vendre chèrement sa peau... Je passerai le premier et...
Juste à cet instant, la porte s'ouvre et Torrence entre, comme chez lui, comme s'il était tout naturel que le directeur de l'Agence O vînt boire son café, en compagnie de son photographe, dans un bar de la rue Fromentin.
Du coup, voilà l'inquiétude qui s'empare de Lucas.
— Qu'est-ce que tu fais ici, toi?
— Et toi?
— Heu!... Comme tu vois... Je passais dans le quartier...
— Exactement comme nous... N'est-ce pas, Emile?
— Oui, patron...
— Curieux que nous nous retrouvions en face de l'Hôtel du Dauphiné... Dis donc, Lucas... Tu te fais protéger, maintenant?... J'ai vu un inspecteur place Pigalle, un autre au bas de la rue, sans compter la voiture de la Maison qui attend en face du...
— Sérieusement, qu'est-ce que tu viens faire?... Il n'est pas possible que tu aies été averti de...
Pauvre Lucas! C'est pourtant facile à comprendre. Trois quarts d'heure plus tôt, Torrence, qui ronflait comme une toupie hollandaise, a été appelé au téléphone.
— C'est vous, monsieur Torrence? Excusez-moi de vous déranger à cette heure, mais l'affaire est grave et urgente... Ici, José...
Que peut-il être arrivé à José? Torrence le connaît depuis longtemps. Tous les noctambules de Paris le connaissent. José est, en effet, le chef d'un des meilleurs jazz de Montmartre, celui qui attire la foule au Cabaret du Pingouin, rue Fontaine.
— Ecoutez... Il faudrait que vous veniez tout de suite... Dans quelques minutes, je suis sûr qu'ils vont m'arrêter...
— Qui, « ils »?
— Les policiers...
Torrence, mal éveillé, ne voit pas le rapport qu'il peut y avoir entre José et la police. En effet, ce n'est pas parce qu'on travaille chaque nuit dans une boîte de Montmartre qu'on est un mauvais garçon, et José, pour sa part, est un véritable gentleman, dont la vie est la plus régulière qui soit.
— Expliquez-vous, mon vieux... Je vous avoue...
Torrence entend la voix du musicien, mais ce n'est plus a lui qu'elle s'adresse, c'est à quelqu'un qui doit être près de lui. Et José questionne:
— Qu'est-ce qu'il fait?
— II s'est assis sur une marche de l'escalier, juste en face de la porte, répond une voix de femme.
— Allô !... Monsieur Torrence... Excusez-moi... Je demandais à Julie... Vous la connaissez, n'est-ce pas?... Mais si!... Elle était avec le Banquier... Oui, nous sommes ensemble depuis quelques semaines... Ecoutez, il faut que je vous mette au courant en quelques mots... J'ai peur qu'ils se décident et qu'après il soit trop tard...
Sans lâcher l'écouteur, Torrence s'est gargarisé d'un verre d'eau. Il est même parvenu à attirer à lui sa pipe, dans laquelle il reste un fond de tabac de la veille.
— Allez-y... Julie, c'est la grande blonde?... Celle qui faisait le numéro de danse acrobatique?...
— Elle le fait encore... Elle en a eu assez du Banquier... Je vous raconterai cela... Nous nous aimons... Nous sommes ensemble, en ce moment, à l'Hôtel du Dauphiné, rue Fromentin, où j'habite d'ordinaire... Allô!... Attendez... J'en vois un nouveau sur le trottoir d'en face... Attention, Julie!... Ne fais pas bouger le rideau... Il vaut mieux qu'ils ne sachent pas que...
— Je ne comprends toujours pas...
— Le Banquier est venu plusieurs fois me réclamer Julie... Vous savez quel type c'est...
Pourquoi appelle-t-on ce personnage le Banquier? Peut-être à cause de son goût très prononcé pour les vêtements fastueux, les pelisses fourrées, les brillants gros comme des noisettes. De quoi il vit exactement, mystère. Toujours est-il qu'on a plutôt peur de lui et que son regard n'a rien d'engageant.
— Je continue... J'ai refusé, naturellement, de la lui rendre Elle ne voudrait pour rien au monde retourner avec lui... Elle ne restait que parce qu'elle était terrorisée... Il m'a menacé de se venger... J'avoue que, depuis, je n'étais pas tout à fait tranquille, surtout quand je rentrais chez moi au milieu de la nuit, car c'est l'homme à vous tirer une balle de revolver dans le ventre et à continuer tranquillement son chemin...
Ouf!... Torrence est arrivé, sans lâcher le téléphone, à frotter une allumette et à allumer sa pipe.
— J'écoute...
— Presque toutes les nuits, il est au Pingouin. Il y était cette nuit. Mais, ce qui m'a paru le plus étrange, c'est qu'il y avait d'autres têtes que je croyais reconnaître... Des policiers!... Au début, je me suis demandé pour qui ils étaient là... Vous savez comment ça va... De notre place, on voit tout... J'ai fini par m'apercevoir que c'était moi qu'ils observaient... C'est sur mon compte qu'ils posaient des questions aux garçons et aux entraîneuses...
» Quand je suis rentré rue Fromentin, avec Julie, ils étaient trois sur mes talons...
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