Simenon, Georges - Le petit docteur

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Nouvelles figurant également dans le recueil :
L'Amiral a disparu
L'amoureux aux pantoufles
La bonne fortune du Hollandais
Le château de l'arsenic
La demoiselle en bleu pâle
Le fantôme de Monsieur Marbe
Le flair du Petit Docteur
Les mariés du 1er décembre
Le mort tombé du ciel
Le passager et son nègre
La piste de l'homme roux
Rendez-vous avec un mort
La sonnette d'alarme
Une femme a crié
[http://www.amazon.fr/Petit-Docteur-Georges-Simenon/dp/2070259668](http://www.amazon.fr/Petit-Docteur-Georges-Simenon/dp/2070259668)

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Dans la salle de restaurant, il ne vit d’abord qu’une petite bonne à l’œil noir d’Andalouse qui, lui sembla-t-il, l’examinait avec une audacieuse ironie.

— Il y a moyen d’avoir une chambre ?

— Je vais appeler M. Jean…

C’était le patron. Il surgit, en veste et toque blanches. Un grand garçon de trente à trente-cinq ans, plutôt maigre, qui ne respirait pas particulièrement la gaieté.

— On me dit que vous désirez une chambre… C’est pour quelques jours ?

Et le Petit Docteur, agressif, de répliquer :

— Comment savez-vous que c’est pour quelques jours ?

— Je n’en sais rien… Je disais ça pour parler… Vous voulez peut-être monter tout de suite pour faire un brin de toilette ?…

La bonne, qui s’appelait Nine, le conduisit au premier étage et le Petit Docteur continua à lui trouver un air ironique qui ne lui plaisait pas du tout.

N’avait-il pas eu tort d’abandonner une fois de plus sa clientèle de Marsilly pour relever un défi assez ridicule ? Car personne ne l’avait appelé. Il n’était au courant de cette affaire que par les journaux qui n’en avaient pas dit grand-chose. Par contre, dans son courrier de l’avant-veille, il avait trouvé une lettre anonyme disant :

Je parie que, tout malin que vous vous croyez, vous êtes incapable de retrouver l’Amiral.

Drôle d’hôtel ! À se demander de quoi les patrons vivaient, car on n’apercevait pas un client. Pourtant huit tables étaient dressées pour le dîner, comme si on eût attendu du monde.

À droite de la salle de restaurant, il y avait une salle plus petite, un café-bar où on ne voyait pas davantage de consommateurs.

Enfin, à la caisse, Mme Angèle, comme Nine l’appelait, c’est-à-dire la femme du patron, la nièce de l’Amiral.

— Il est possible de boire un verre, dans cette maison ? Ce fut M. Jean en personne qui vint le servir.

— Un pastis ?… Je ne sais si vous êtes amateur, mais celui-ci, c’est du vrai… À votre santé…

M. Jean s’était servi un pastis, lui aussi, et d’autorité il trinquait avec son client inconnu.

La boisson opaline ne le rendait pas plus gai et il soupirait en regardant sa terrasse ombragée d’un vélum orange et entourée de lauriers-roses dans des tonneaux verts.

— Vous avez toujours autant de monde que ça ? Plaisanta le Petit Docteur, qui éprouvait le besoin de se venger de la chaleur et des ennuis variés que lui avait donnés Ferblantine.

— Quelquefois moins… répliqua M. Jean du tac au tac.

Quelquefois plus aussi… Dans le temps, du temps du vieux, c’était bon… Les autos n’allaient pas si vite et avaient à tout bout de champ des pannes… Maintenant, elles filent à cent à l’heure et ne se donnent plus la peine de s’arrêter…

— Il y a longtemps que vous avez pris l’affaire ?

— Depuis mon mariage, voilà six ans…

Dollent fronça les sourcils, intéressé par le regard que son interlocuteur venait de lancer, de loin, à la jeune femme qu’on apercevait à la caisse.

« Tiens ! Tiens ! pensa-t-il. Voilà un monsieur qui n’a pas l’air très heureux en ménage. »

— En somme, fit-il à voix haute, vous regrettez de vous être installé ici…

— Je regrette sans regretter… Sans ces ennuis que nous avons depuis une semaine… Vous n’avez pas lu, dans les journaux ?

— Non.

— Le vieux, qui vivait avec nous, a disparu… Je suis allé avertir la police… Vous me croirez si vous voulez, mais ils ne m’ont pas pris au sérieux et c’est à peine s’ils ont fait un semblant d’enquête.

« — Monsieur Jean, m’a déclaré comme ça le commissaire, il disparaît chaque année, d’après les statistiques, trente mille personnes en France. On finit un beau jour par les retrouver… Tout au moins les neuf dixièmes… Vous pensez que si la police devait s’occuper de ces trente mille personnes qui ne se trouvent pas bien là où elles sont et qui s’en vont sans crier gare…

— Votre oncle n’était pas heureux ici ?

— Comme un coq en pâte, monsieur !

Pourquoi disait-il cela avec cet accent lugubre ?

— Contrairement à ce qu’on pourrait insinuer – il y a toujours des voisins malintentionnés ! – c’est lui qui avait réussi la bonne affaire… Car, quand sa nièce m’a épousé, M. Fignol, que tout le monde appelait l’Amiral, était quasiment ruiné… Seulement, ça, les gens ne le savaient pas… Il avait risqué de drôles de placements, qui devaient lui rapporter trente du cent et qui lui ont mangé tous ses sous… Le fonds de commerce était hypothéqué… Je l’ai repris et je me suis engagé à garder le vieux et à le nourrir jusqu’à sa mort… je lui donnais même un peu d’argent de poche pour ses cigarettes et ses parties de cartes…

— Il n’avait aucun argent personnel ?

— Vous croyez que pour un homme de son âge, qui n’a plus de passions, ce n’est pas assez de vingt francs par semaine ? Encore un petit pastis ?… C’est ma tournée… Enfin !… Maintenant, il a disparu et le malheur c’est qu’il y a la suite…

— Quelle suite ?

— Vous n’êtes pas du pays, n’est-ce pas ? Sinon, vous sauriez… Deux fois, en moins d’une semaine, l’hôtel a été cambriolé… Et qu’on ne me parle pas de la bande des Marseillais qui, paraît-il, écume la région… Comment les Marseillais auraient-ils aussi bien connu la maison ?… Au point qu’ils ont pu entrer, aller et venir, ouvrir les portes et les armoires sans qu’on les entende…

— Ils ont emporté beaucoup ?

— Tous les effets de mon oncle… Des vieux complets, des valises usées et qui ne valaient plus quatre sous, une serviette dans laquelle il gardait sa correspondance, qu’est-ce que je sais encore…

— Et la seconde fois ?

— C’est la seconde fois… La première, ils n’ont rien emporté… Ils s’étaient contentés de fouiller la chambre… Du coup, je croyais que la police allait enfin prendre l’affaire au sérieux… Eh bien ! Non ! Au contraire !

« — Vous voyez, m’a-t-on répondu, que votre oncle n’est pas mort, puisqu’il est revenu chercher ses affaires…

« Remarquez que l’Amiral, avec ses quatre-vingt-dix kilos, ne pouvait pas monter les escaliers sans faire craquer toutes les marches ! Remarquez aussi que, d’après ce que j’ai vu, le ou les cambrioleurs sont entrés par une fenêtre du premier étage en grimpant le long d’une treille…

« Alors, je prétends, moi, monsieur – et j’ignore qui vous êtes – que si c’est pour avoir une police aussi fainéante que nous payons autant d’impôts, ce n’est plus la peine d’être contribuable français et… À votre santé…

« J’affirme, monsieur, que l’Amiral a été assassiné, parce que, s’il était vivant, on finirait par le retrouver, d’autant plus que la rue Jules-Ferry n’est pas longue et qu’on connaît tous ceux qui l’habitent…

— Il n’aurait pas pu être emmené en auto ?

— En auto ! s’écria l’autre avec pitié. Vous croyez, vous – mais vous êtes peut-être de Paris ? – qu’il passe toute la journée des autos dans la rue Jules-Ferry ?… À part le boulanger le matin, et l’agent d’assurances qui habite au 32, et qui a sa voiture… Non, monsieur !… Aucune auto n’est passée ce soir-là…

— Jean ! appela une voix féminine.

Le Petit Docteur se tourna vers la caisse et vit Angèle, la femme du patron, qui manifestait une véritable terreur. Près d’elle, un gamin à l’air éveillé attendait.

— Vous permettez ? Encore ma femme ! Elle ne peut jamais, se passer de moi. Si elle pouvait m’attacher avec une chaîne…

Il se dirigea vers la caisse sans enthousiasme. Le couple parla bas. M. Jean saisit une enveloppe qu’on lui tendait.

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