Simenon, Georges - Le petit docteur

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Nouvelles figurant également dans le recueil :
L'Amiral a disparu
L'amoureux aux pantoufles
La bonne fortune du Hollandais
Le château de l'arsenic
La demoiselle en bleu pâle
Le fantôme de Monsieur Marbe
Le flair du Petit Docteur
Les mariés du 1er décembre
Le mort tombé du ciel
Le passager et son nègre
La piste de l'homme roux
Rendez-vous avec un mort
La sonnette d'alarme
Une femme a crié
[http://www.amazon.fr/Petit-Docteur-Georges-Simenon/dp/2070259668](http://www.amazon.fr/Petit-Docteur-Georges-Simenon/dp/2070259668)

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« Car il est peureux, docteur… Il n’ose pas vous l’avouer… Tenez… Il vous a raconté que, lorsqu’il entend du bruit, la nuit, il se lève et inspecte la maison…

« Eh bien ! Ce n’est pas vrai… Qu’il entende du bruit, c’est possible, quoique je n’aie jamais rien entendu de net… Il est vrai que j’ai le sommeil dur…

« Quant à quitter sa chambre, c’est faux, et je suis sûre qu’il reste derrière la porte, à écouter et à trembler… Ce n’est que le lendemain matin, quand il fait grand jour, qu’il tourne en rond dans la maison pour s’assurer que rien n’a disparu…

« Ce qui me fait le plus peur… Figurez-vous que maintenant il a toujours deux ou trois revolvers chargés dans sa chambre…

« Et savez-vous à quoi il lui arrive de passer ses après-midi ? Il descend dans la cave, tout seul… Avec une petite torche électrique, il éclaire rapidement des bouteilles vides rangées contre le mur et il tire des coups de revolver…

« Sont-ce des distractions pour un homme de son âge ?

« Est-ce que je n’ai pas raison de prétendre qu’il…

Elle ne pouvait comprendre le sens du léger sourire qui venait de se dessiner sur les lèvres du Petit Docteur. C’est que, à travers les persiennes, celui-ci avait constaté que le fauteuil de M. Marbe était vide. Il devinait que ce dernier montait l’escalier sans bruit, écoutait un instant derrière la porte, puis…

La porte s’ouvrit, en effet. Héloïse tressaillit, prise en faute.

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je, venais m’assurer que le docteur n’avait besoin de rien. N’est-ce pas, docteur ?

— Vous pouvez aller…

Dommage que le Petit Docteur ait été engourdi par ce déjeuner méridional si copieusement arrosé. Il aurait mieux savouré l’imprévu de toutes ces scènes et le pittoresque des habitants de la villa.

— Qu’est-ce qu’elle vous a dit ?… Je n’ai pas osé vous prévenir, ou plutôt je ne l’ai fait qu’à demi-mot… Depuis la mort de son mari, ma sœur s’est prise de passion pour la bouteille… Je ne dis pas qu’elle verse maintenant dans l’ivrognerie, mais vous verrez qu’à certain moment, elle a l’œil plus brillant, la bouche plus pâteuse qu’il ne se devrait et…

— Si, comme vous l’avez si aimablement proposé, nous prenions un peu de repos, monsieur Marbe ?

— Je descends… Je vous demande pardon… Quand j’ai senti que ma sœur n’était plus en bas… J’ai l’oreille très fine, l’habitude des indigènes qui ne font jamais de bruit…

Il s’en alla à regret et le Petit Docteur n’essaya même pas de dormir. Mieux, dans la crainte de succomber à la torpeur qui l’envahissait, il résista au désir de s’étendre sur le lit et resta inconfortablement assis sur une chaise.

— En supposant que M. Marbe ne soit pas fou et qu’il dise vrai…

Il ne renonçait pas à la méthode qui lui avait si bien réussi dans les affaires précédentes. Il fallait avant tout trouver une base solide, une vérité indiscutable.

Or, cette vérité, il pouvait la résumer à peu près comme suit :

Un inconnu cherchait quelque chose dans la villa de Golfe-Juan.

Ce quelque chose était difficile à trouver puisque, en trois mois de visites bihebdomadaires, il n’avait pu mettre la main dessus.

Enfin, l’inconnu n’avait jamais tenté, avant ces trois mois, de s’emparer de l’objet.

De trois choses l’une :

1° Ou bien, avant ces trois mois, l’objet n’y était pas ;

2° Ou bien l’inconnu ignorait qu’il y était ;

3° Ou bien l’inconnu était alors dans l’impossibilité de venir le chercher.

Et pourquoi ne venait-il que deux fois par semaine ? Toujours le mercredi et le samedi ?

La villa n’était pas gardée davantage les autres jours. Les difficultés ou les facilités étaient les mêmes.

Donc, l’inconnu n’était libre que le mercredi et le samedi de chaque semaine.

Enfin, il avait été averti d’une façon ou d’une autre de la présence de la police dans la villa pendant une semaine entière, puisque, cette semaine-là, il ne s’était pas dérangé.

Quant à savoir si M. Marbe était fou ou sain d’esprit ?… Sans être psychiatre, le Petit Docteur avait, comme interne, étudié les maladies mentales.

— Il est nerveux, c’est certain. Il donne l’impression d’un homme poursuivi par une idée fixe, plus exactement d’un homme hanté par la peur. Et ce n’est pas une peur vague ! C’est la peur d’un événement bien déterminé.

C’était si vrai que, s’il fallait en croire Héloïse, qui n’avait aucune raison de mentir, il n’osait pas sortir de sa chambre lorsqu’il entendait la nuit des bruits dans la maison.

Savait-il qui fouillait avec tant d’obstination son immense bric-à-brac ?

Et, s’il le savait, savait-il ce que l’homme cherchait ?

Pourquoi s’entraîner dans la cave au tir au revolver – et dans l’obscurité ! – sinon parce qu’il était décidé à agir une nuit ?

Enfin, la question essentielle : pourquoi, si M. Marbe savait tout cela, avait-il fait appel au Petit Docteur dont il ne connaissait les talents que par ouï-dire, et pourquoi lui avoir envoyé, avant d’être sûr de son acceptation, une somme assez importante ?

— Ce soir, il ne faut pas que je boive ! se promit Jean Dollent. Car c’est ce soir qu’il doit se passer quelque chose. C’est ce soir ou jamais que je saurai…

Au même instant il tressaillit. Il croyait être tranquille jusqu’à la nuit, mais les événements marchaient plus vite qu’il n’avait pensé.

On entendait des voix, dans le jardin, puis sous la pergola, et c’étaient les voix de deux hommes qui se disputaient.

Il essaya bien d’entrouvrir la fenêtre pour entendre, mais ce n’était qu’un murmure confus qui arrivait jusqu’à lui.

Tant pis ! Il remit ses chaussures, son veston. Il n’était pas un invité ordinaire et il avait le droit, sinon le devoir, de se montrer indiscret.

Il descendit, en essayant de se donner l’air d’un homme qui vient de faire une bonne sieste et qui en est encore engourdi. Dans la salle à manger, il trouva Héloïse occupée à mettre un peu d’ordre, pour autant que ce mot pût s’appliquer à la maison, et elle lui dit comme en confidence :

— C’est son fils qui vient d’arriver…

Le Petit Docteur alluma une cigarette, se fit aussi désinvolte que possible et se montra sur la pergola. Il eut l’impression nette que M. Marbe, qui le vit le premier, faisait signe à son fils de se taire.

— Pardon, si je vous dérange, mais…

— Pas du tout, docteur… Je vous présente mon fils Claude… Je vous en ai déjà parlé, n’est-ce pas ?… Vous voyez que c’est un beau grand garçon…

Hum !… Ce n’était pas tout à fait le genre de fils que le Petit Docteur aurait souhaité avoir… Un grand garçon, certes, bâti en force et en souplesse, les traits un peu gras, mais cela devait tenir à son origine tahitienne…

Brun de poil. La peau basanée et lisse… Des yeux immenses… Des lèvres charnues…

Ce qui gênait, par exemple, c’était une élégance un peu trop voyante et une attitude qui rappelait, jusque dans le regard et dans le balancement du corps, les mauvais garçons de la Côte d’Azur.

Professeur de natation, c’était sans doute vrai. Mais il devait fréquenter aussi certains petits bars et ne pas répugner, à l’occasion, à de menus trafics d’une propreté douteuse…

— Bonjour, monsieur ! dit-il assez sèchement.

— Le docteur est un ami… Un vieil ami qui est venu passer quelques jours avec nous…

Et, du regard, M. Marbe faisait comprendre au docteur que son fils n’était au courant de rien.

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