Simenon, Georges - Le petit docteur

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Nouvelles figurant également dans le recueil :
L'Amiral a disparu
L'amoureux aux pantoufles
La bonne fortune du Hollandais
Le château de l'arsenic
La demoiselle en bleu pâle
Le fantôme de Monsieur Marbe
Le flair du Petit Docteur
Les mariés du 1er décembre
Le mort tombé du ciel
Le passager et son nègre
La piste de l'homme roux
Rendez-vous avec un mort
La sonnette d'alarme
Une femme a crié
[http://www.amazon.fr/Petit-Docteur-Georges-Simenon/dp/2070259668](http://www.amazon.fr/Petit-Docteur-Georges-Simenon/dp/2070259668)

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— Et il est revenu le lendemain ? Toujours à la même heure ?

— Oui… pendant quinze jours, il est venu chaque après-midi et il m’a chaque fois acheté un porte-mousqueton…

— Dites-moi, mademoiselle Alice, vous n’avez pas pensé que c’était un voleur de grands magasins comme, paraît-il, il y en a tant ?

— J’y ai pensé… Aussi je l’ai bien observé… J’ai même demandé à l’inspecteur de ne pas le perdre de vue pendant que je le servirais…

— Et… ?

— Non !

— Dites-moi encore… Où se trouve votre rayon…

— Eh bien ! Oui… C’est au premier étage… Juste au-dessus du rayon des pantoufles… Et juste en dessous du rayon des jouets d’enfants… Cela m’a frappée, hier, quand j’ai lu le journal… J’ai demandé à être entendue par la direction…

Quelques instants plus tard, Mlle Alice étant sortie, le directeur annonçait au Petit Docteur :

— Je me méfie, comme je vous l’ai déjà dit… Néanmoins, j’ai signalé cette déposition à la police et je lui ai demandé de faire une enquête discrète sur cette vendeuse… En effet, depuis plusieurs semaines, des objets de valeur disparaissent de son rayon…

— C’est anormal ?

— Nous comptons sur un pourcentage de vols qui est à peu près constant, sauf à la période des fêtes où, bien entendu, les spécialistes ont la partie belle… Mais la valeur et le nombre des objets dérobés ces derniers temps à la bijouterie sont particulièrement élevés et…

C’était un peu effrayant, quand on sortait, tout là-haut, du bureau du directeur, de se pencher sur cet immense vaisseau, plus vaste que n’importe quelle cathédrale et d’où montait un bourdonnement continu de foule. Par quel bout le Petit Docteur allait-il bien pouvoir…

Il haussa les épaules, prit un ascenseur, se trouva bientôt rue de la Chaussée-d’Antin et, froidement, comme d’autres avalent une pilule ou un cachet d’aspirine, il vida deux verres de fine.

Puis il se dirigea vers la rue Notre-Dame-de-Lorette et chercha le 67. Il allait frapper à la loge de la concierge quand, par le carreau, il aperçut le commissaire Lucas occupé à interroger cette femme.

Car le mort était identifié. Il s’appelait Justin Galmet, quarante-huit ans, sans profession, domicilié depuis vingt ans rue Notre-Dame-de-Lorette.

II

Des singuliers achats de l’homme aux pantoufles et de son passé non moins singulier

— Vous voulez la questionner vous-même ? proposa Lucas, en ouvrant la porte de la loge. Sinon, vous pouvez m’accompagner là-haut, dans l’appartement de Galmet…

Et là, on se trouvait dans le cadre traditionnel du petit bourgeois parisien, plus exactement encore, du petit bourgeois de Montmartre. L’immeuble était vieux, les peintures sombres, avec des odeurs de cuisine filtrant de dessous toutes les portes, des voix, des cris d’enfants, des relents de TSF.

Au quatrième sur la cour, un logement de trois pièces, meublé de bons vieux meubles provinciaux, et, devant la fenêtre, que flanquaient deux potées de géraniums, un canari dans une cage.

— Personne ne viendra nous déranger, annonça Lucas. La concierge m’affirme que Justin Galmet ne recevait jamais. C’était un célibataire endurci, en même temps que le plus ordonné des hommes.

« Une fois par semaine, c’était la concierge qui montait faire son ménage, « à fond », comme elle dit, mais je crois qu’elle exagère un peu…

« Le reste du temps, Justin Galmet faisait son lit lui-même, fricotait son petit déjeuner et son déjeuner, sortait vers deux heures de l’après-midi et revenait vers neuf heures, presque toujours chargé de paquets…

« Son dîner, il le prenait dans un restaurant qui fait le coin de la rue Lepic et j’ai déjà téléphoné à ce restaurant… On le connaissait… Il avait sa table réservée près de la fenêtre… Il était assez gourmand… Il commandait volontiers des petits plats fins… Il mangeait lentement, en lisant les journaux du soir, buvait son café, un verre d’alcool, et s’en revenait tranquillement…

« Maintenant, une autre nouvelle plus surprenante… Lucas prit son temps en guettant les impressions du Petit Docteur.

— J’ai retrouvé dans nos archives le nom de Justin Galmet… Il n’y figure pas comme criminel, mais comme policier… Voilà vingt-cinq ans qu’il est entré chez nous… Il y est resté quatre ans comme inspecteur… Puis il a donné sa démission en déclarant qu’il avait fait un petit héritage et qu’il vivrait désormais en rentier…

« J’ai questionné certains des nôtres qui l’ont connu… C’était déjà un garçon renfermé, solitaire… Il n’avait aucun goût pour le travail, mais, par contre, il pouvait rester des heures à siroter des demis, tout seul à une terrasse ensoleillée, et à cette époque, déjà, il s’offrait de petits gueuletons…

« Le type, comme vous voyez, du célibataire endurci…

« Voulez-vous, maintenant, que nous examinions les lieux ?…

Dire que c’était propre serait exagérer. Mais, étant donné que le locataire de cet appartement faisait presque tout en personne, on aurait pu s’attendre à plus de désordre. Jean Dollent commença par donner à manger et à boire au canari et la fenêtre ouverte découvrit le décor familier des toits de Paris, que dorait le soleil.

Pendant ce temps, Lucas ouvrait une vaste garde-robe ancienne et appelait son compagnon.

— Tenez ! Voici toutes ses acquisitions qui n’ont même pas été déballées… Vous voulez m’aider à couper les ficelles ?…

C’était un déballage extravagant ! Non seulement on retrouvait les six paires de pantoufles, mais des objets bien plus inattendus, des assiettes de faïence, des coupons de soie artificielle, des brosses à dents, des peignes, des flacons de lotion capillaire ; un paquet ne contenait que des pipes, alors que la concierge affirmait que son locataire ne fumait pas.

Sur la plupart des objets, l’étiquette était restée.

— Qu’est-ce que, vous en pensez, docteur ?

— Je pense que ce n’est pas là le produit de menus vols… D’abord, rien n’a assez de valeur pour excuser des larcins… Ensuite, je remarque que tous ces objets sont emballés avec soin, dans le papier des magasins d’où ils proviennent, et certains ont encore la fiche de contrôle passée dans la ficelle…

— Vous croyez donc que notre Justin était un maniaque amoureux des vendeuses et que, pour les approcher, il se contraignait à ces achats ? Remarquez qu’à la longue cela devait devenir onéreux… Rien que les pantoufles représentent en moyenne cinquante à soixante francs par jour… Or, notre homme était loin de mener un grand train de vie… Voulez-vous que je vous dise le fond de ma pensée ?

« N’allez surtout pas vous gonfler de vanité… Maintenant, je connais vos méthodes… Je sais ce que vous pouvez faire mieux que nous et ce que nous pouvons faire mieux que vous… Eh bien ! C’est une affaire pour vous…

« Nous sommes en dehors de la vie normale… Justin Galmet ne correspond en rien aux victimes dont nous avons l’habitude de nous occuper…

« Quant à son assassin, il m’effraie par la calme audace de son geste, par l’assurance que celui-ci révèle…

Au lieu de remercier du compliment, le Petit Docteur soupira.

— Vous n’êtes pas enthousiaste ?

Et lui, lugubre :

— Jamais avant que j’aie découvert ma vérité première… Or, j’ai beau chercher…

— Si vous avez besoin de moi…

— J’aimerais seulement que vous fassiez vérifier si, dans les magasins d’où proviennent ces articles, Justin Galmet est invariablement revenu plusieurs jours de suite, et toujours en s’adressant à la même vendeuse…

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