—Envoie un technicien. Je suis occupé.
Sa profonde expiration fut son unique preuve d'agacement à mon encontre.
—Surnen, joue pas au con.
Ainsi que le ton de sa voix. Le choix des mots.
—Je suis occupé.
Deux guerriers Prillons reposaient dans des modules ReGen et une demi-douzaine d'autres étaient en quarantaine dans leurs quartiers. Un autre que moi se chargerait de l'inventaire.
Je m'attendais à ce que Trax s'en aille, fasse ce que j'avais demandé et demande à un des médecins d'inspecter la nouvelle cargaison. Au lieu de cela, il s'avança plus avant dans la pièce.
—Tu refuses de m'accompagner en Salle de Transport Numéro 2 ?
—Oui, merde à la fin, aboyai-je. Fous le camp. J'ai déjà huit guerriers hors circuit avec cette putain d'infection, je suis en train de mettre le traitement au point. Je te le répète, je suis occupé. J'ai des choses plus importantes à faire qu'inspecter l'arrivage de la dernière cargaison.
—Excellent.
Sa gaieté piqua ma curiosité, je finis par lever les yeux et le regardai par-dessus mon microscope.
—Ton bonheur fait plaisir à voir. Je lui indiquai la porte d'un signe de tête Et maintenant, file.
—Dr Surnen de Prillon Prime, tu viens de refuser de te rendre en salle de transport pour accueillir ta nouvelle partenaire, je demande officiellement à ce que les droits et privilèges d'Époux Principal me soient transférés. Ordinateur, veuillez enregistrer les date et heure de ma demande.
Une voix douce et féminine émanait d'un haut-parleur près de la porte.
—Confirmé, Capitaine Trax. Votre demande a été traitée et envoyée à Prillon Prime pour examen.
—Pardon ?
C'etait quoi ce bordel ?
—Fais-moi savoir quand tu auras terminé de faire mumuse, Surnen. Tu peux être mon second. Je m'occuperai de notre femme pendant que tu travailleras. Ne t'inquiète pas pour sa sécurité ou son bonheur. Je m'assurerai qu'elle soit bien baisée et protégée par un collier Prillon, je comblerai tous ses désirs pendant que tu sauveras le monde."
Sur ce, il s'inclina solennellement, tourna les talons et me laissa bouche bée derrière mon bureau.
Pardon ?
Mon esprit se mit lentement en branle. Quand je travaillais, la moindre pensée, le moindre sentiment, la moindre émotion se focalisaient sur la tâche à accomplir. L'échantillon de sérum ainsi obtenu permettrait peut-être de se passer des caissons ReGen pour guérir les guerriers. Une seule dose de sérum devrait permettre de se prémunir d'autres infections. Les informations et le traitement que je mettrais au point seraient téléchargés dans la base de données médicales de la Flotte de la Coalition et diffusés à la Flotte pour aider d'autres guerriers désireux d'épouser des humaines. La Terre étant la seule planète où les femmes étaient prêtes à accepter comme des compagnons des hommes brisés bannis sur la Colonie, trouver un remède était d'une importance capitale, le microbe étant une maladie humaine qui s'était adaptée à son nouvel environnement : les non-humains de la Colonie.
Avec autant de planètes en constante interaction, mon combat pour endiguer de nouvelles souches de maladies m'occupait nuit et jour, une bataille permanente au sein de la Flotte de la Coalition, un combat que je m’efforçais de gagner.
Je me battais contre ce que je pouvais, en utilisant mon intellect et ma capacité à me concentrer pour trouver un remède à toutes les maladies de la galaxie. D'autres planètes m'envoyaient souvent des échantillons de nouveaux organismes et de nouvelles maladies, cherchaient à les comprendre et les éradiquer. Je refusais de pourrir sur cette planète en m'apitoyant sur mon sort. Hors de question.
J'avais passé suffisamment de temps à pleurer la mort de mes parents à cause de la nature rebelle de ma mère et du manque d'envie de mes deux pères à la retenir. Elle s'était bien amusée. Je devais l'avouer. Ma mère avait vécu sa vie comme si chaque jour était le dernier, faisant fi des règles de prudence élémentaire—et du règlement. Ils étaient morts pour elle, mes pères avaient cédé à tous ses caprices.
J'étais devenu orphelin à douze ans, mes parents ayant enfreint les protocoles de la Flotte de la Coalition. Déterminé à ne pas laisser les autres faire les mêmes erreurs ou subir les mêmes conséquences, j'avais effectué des études de médecine sur Prillon Prime pour apprendre à sauver les autres. Je n'avais pas de famille, peu d'amis, tout tomberait à l'eau si j'étais capturé et contaminé par la Ruche.
Routine. Objectif. Études. Règles. Règlement. Ordre. Tout ce que ma mère détestait viscéralement étaient les seules choses capables de me sauver.
J'avais une mission. Une mission importante. Sauf que...
Trax avait sûrement plaisanté concernant l'arrivée d'une compagne.
L'arrivée d'une femme compatible avec moi était impossible. Carrément impossible. J'avais fait le test, une chance existait sur le plan statistique, mais j'avais abandonné tout espoir d’obtenir une Épouse Interstellaire depuis des années. Des années .
Et pourtant ...
—Opérateur, aboyai-je. Ici le Docteur. Mettez-moi en contact avec la Salle de Transport Numéro 2.
—Contact établi, Docteur, répondit l'opérateur.
J'entendais des voix par le haut-parleur. Trop de voix pour une banale livraison de fournitures médicales.
—Ici Dr Surnen.
—Surnen ? C'est Rachel. Qu'est-ce que tu fous, bon sang ? Pourquoi t'es pas là ? Magne-toi !
Cette humaine avait été affectée au gouverneur de la Base 3 et à son second, le Capitaine Ryston. Nous n'étions pas amis à son arrivée sur la Colonie. Loin de là. Lors de son accouchement, elle m'avait pardonné d'avoir appliqué le protocole à la règle à son arrivée, d'avoir insisté pour procéder à des examens médicaux qu'elle refusait de subir.
—Oh mon Dieu, c'est hyper cool. J'ai trop hâte de la rencontrer !
Cette voix appartenait à une autre humaine, Lindsey, sauf erreur. Elle était arrivée à la Colonie avec sa mère et son jeune fils, avait épousé un Chasseur Everian. J'avais également mis au monde son nouvel enfant. J'avais la double casquette d'obstétricien et bactériologiste.
—Qu'est-ce qui se passe ici ? Mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine, mais je refoulais toute trace d'excitation. C'était sûrement un piège. Mon esprit tournait au ralenti, encore entièrement absorbé par l'analyse génétique. Passer d'un sujet à l'autre de façon aussi radicale était difficilement acceptable. Une femme. Pour de vrai ?
—Amène-toi, Doc. Nous avons été informés du résultat de ton test et de l'arrivée imminente de ta femme. Trax va péter un plomb.
Ces paroles vulgaires ne pouvaient venir que de Kristin—la femme de Tyran et Hunt—anciennement flic sur Terre, elle travaillait toujours avec les équipes d'éclaireurs ici, sur la planète. Je ne comprenais pas, et cautionnais encore moins, comment ces deux hommes permettaient à leur femme de risquer sa vie au quotidien, mais je n'étais pas là pour la protéger. Ce n'était pas mon problème, du moins jusqu'à ce qu'elle se blesse.
Si ma femme me parlait sur ce ton, je lui botterais le cul avant de la tringler bien profond.
—Doc ? T'es là ? demanda Kristin.
—Oui.
—Ta femme. Tu m'écoutes quand je parle ou quoi ?
—Oui. Oui, mais je n'y croyais toujours pas. Je n'osais pas y croire. Le fait de m’être résigner était la seule chose qui m'avait permis de rester sain d'esprit toutes ces années sur cette planète déserte. Je servirais ma cause et mourrais sur ce caillou. Tel était mon destin.
Une femme symbolisait l'espoir. Et ce fichu espoir risquait d'avoir raison de moi.
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