— Putain , Roark ! Arrête de bouger ! » hurle Seton, je finis par me calmer, mon organisme est bien trop faible pour supporter ma fureur. Seton saute sur l’occasion et s’adresse au médecin. « Activez le caisson sur le champ. » Il me regarde de ses yeux clairs, j’y décèle des émotions que je n’imaginais pas lire, et encore moins nommer. « Ils vont le payer, Roark. Je te le jure. Mais tu ne pourras pas traquer ceux qui ont tué ton épouse si tu meurs toi aussi.
— D’accord. » J’arrête de lutter, une rage sourde s’empare de moi, je ne quitte pas le médecin des yeux. Douze heures.
— Mais, monsieur. Je vous prie de m’excuser. Je préconise que vous restiez dans le caisson un cycle complet. Vous êtes grièvement blessé. Le docteur se tord les mains, c’est non.
— Non. Douze heures. Pas une de plus. » Douze heures et je retourne à l’Avant-poste Deux avec mille hommes, un déluge de feu va s’abattre sur les Drovers, jusqu’à ce que la douleur qui me ronge le cœur s’apaise, ou jusqu’à ma mort.
Plusieurs paires de mains me transfèrent dans le cocon souple afin d’y être soigné. Le cocon se referme sur moi, je suis calfeutré dans le caisson ReGen. Je vois le docteur derrière l’étrange vitre bleutée, il est visiblement inquiet. Il actionne les commandes sur le côté du caisson, amorçant le cycle de guérison.
« Natalie. » Je prononce doucement son prénom, comme un mantra. Tous lisent l’angoisse dans mes yeux.
Seton se penche afin que je puisse le voir à travers la vitre. « Je vais me téléporter sur l’Avant-poste Deux et partir à sa recherche pendant que tu reprends des forces. Je te jure que nous mettrons tout en œuvre pour savoir ce qui s’est réellement passé.
— Laissez-le. Il faut qu’il guérisse, il a déjà assez de mal à supporter le fait d’être dans le caisson. » Le docteur pousse Seton qui disparaît de ma vue, je reste là, à regarder droit devant moi. Je suis encerclé par des lumières jaune clair, je vais perdre connaissance dans quelques secondes, le temps de me soigner.
Je regarde le Commandant Loris, mes pensées et mes ordres tournent en boucle dans mon esprit. Où chercher. Qui emmener. Quelles armes choisir. Comment se déployer. J’ouvre la bouche pour donner mes ordres mais le seul mot qui franchit mes lèvres avant que le caisson ne s’empare du peu d’énergie qui me reste est son prénom.
Natalie
Le ronronnement du baby-phone posé sur le plan de travail de la cuisine est réconfortant et distrayant à la fois, je nettoie les traces laissées par la soupe aux tomates et fromage que la cuisinière a préparé pour le déjeuner. Je suis assise à la petite table dans la cuisine, les domestiques entrent et sortent, grignotent un morceau au passage et papotent. Je mangeais à cette table quand j’étais petite, je me sentais alors orpheline, étrangère dans la famille Montgomery, on m’envoyait à la campagne quand je rentrais de l’école, pour ne pas gêner les fêtes et les agendas très chargés.
Mes parents venaient me chercher à Noël, m’habillaient comme une princesse et m’exhibaient dans des fêtes organisées pour des enfants, avec des Pères Noël bedonnants aux joues roses, avec d’autres gosses de riches.
Je regardais les autres enfants et me demandais s’ils menaient la même vie que moi. Si leurs parents les aimaient ou si, tout comme moi, ils n’étaient que de simples objets qu’on exhibait à certaines périodes de l’année.
« Arrête ça tout de suite. » Je me parle à moi-même en regardant l’écran. Mon bébé dort, ces deux heures de sieste sont le seul moment que j’ai pour penser à moi. Je refuse que le personnel s’en occupe, lui donne à manger ou le baigne. Il est à moi et je l’aime.
Il ressentira mon affection tout au long de sa vie. Je serai toujours là pour lui. Il ne se demandera jamais si ses parents l’aimaient ou non. Il n’a que moi mais j’ai assez d’amour pour deux.
Je me lève et dépose mon assiette et le bol vides dans le grand évier en porcelaine blanche, en soupirant. Susan, la cuisinière, me remercie d’un signe de tête et remue la soupe de ce soir, ça sent délicieusement bon, un potage de nouilles et poulet.
Je la remercie pour le repas, prends le baby phone et vais dans ma chambre. Un panier plein de vêtements de Noah m’attend sur mon lit, attendant d’être pliés. Miranda, la domestique, m’a dit qu’elle le ferait mais j’ai refusé.
J’aime enfouir mon nez dans ses petits vêtements, sentir sa bonne odeur de bébé. J’adore son odeur. Ça sent l’amour.
Je sors de la cuisine et passe devant l’autre salle sans même regarder à l’intérieur. Je n’ai pas envie de voir la salle à manger austère dans laquelle j’ai pris tant de repas toute seule. La grande table en acajou polie est assez grande pour accueillir vingt convives. Un chandelier très travaillé est placé au centre. Les chaises ont de hauts dossiers rigides, à l’image de mes parents.
Je me demande comment ils ont fait pour avoir un enfant. C’est inconcevable. Je suis peut-être un bébé éprouvette. Je ne peux pas imaginer ma mère dans le cabinet aseptisé d’un médecin, ni en train de s’abandonner aux affres de la passion, offrant son corps à son amant.
Et comme d’habitude, mes pensées s’enflamment. Roark. Mes pensées s’envolent vers mon homme, je suis excitée, en manque, la douleur entre mes cuisses est bien réelle. Mais ce n’est rien comparé à la douleur qui m’envahit.
Il est mort. Forcément. Je l’ai attendu longtemps, j’ai espéré. L‘espoir m’a aidé à tenir durant la grossesse. J’espérais qu’il me reviendrait, comme il l’avait promis. J’espérais qu’il survivrait à cette brutale attaque de Drovers, même si la Gardienne Egara m’a avertie du contraire.
Les jours sont devenus des semaines. Les semaines des mois, un an. Notre fils est venu au monde, il a crié. Mais mon mari est mort.
L’enquête menée par la Gardienne Egara n’a rien donné. L’Avant-poste deux est bel et bien perdu. Il n’y a aucun survivant.
Roark est mort. La Gardienne Egara doit se rendre à la Coalition Interstellaire sur la planète Prillon afin de rencontrer le Prime, le mec chargé de la Coalition, et demander une dérogation pour Noah et moi. Demander un autre Trion.
Je ne veux pas d‘un autre partenaire. J’ai le cœur brisé. Roark était l’homme idéal, il était à moi. Mon seul amour. J’ai immédiatement ressenti ce lien qui nous unissait, je me suis donnée à lui corps et âme. Je n’ai plus rien à offrir à un autre. Noah est le seul être qui compte. Je n’ai plus d’amour pour un autre. Rien de rien.
Je n’ai heureusement pas besoin d’un homme pour vivre. Lorsque mes parents ont appris pour le bébé, ils m’ont cédé cette propriété en quarante-huit heures à peine. J’ai un accès illimité à leurs nombreux comptes bancaires, remplis à ras bord de plus d’argent que je ne pourrais jamais utiliser dans toute ma vie. C’est pour toi, m’ont-ils dit. Afin que je sois à l’abri du besoin, ont-ils insisté.
Mais nous savons tous le fin mot de l’histoire.
La demeure n’est pas située au centre de Boston, où vivent mes parents. La maison de campagne est située à cinquante kilomètres à l’extérieur de la ville, en plein campagne, avec des chevaux, à l’écart des amis, collègues, connaissances du country club ou associés de mes parents. Un petit-fils illégitime—ils considèrent mon mariage comme illégal—c’est une chose.
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