Je meurs de faim et je suis déshydraté. Je dois rejoindre l’Avant-poste Deux et le terminal de téléportation avant de succomber, tomber dans le sable et me faire piétiner par le nox . C’est le seul chemin pour rentrer, pour demander de l’aide. Pour retrouver Natalie.
Natalie, planète Terre, Novembre
Je m’assois par terre dans la salle de bain et m’agrippe aux toilettes. La nausée m’a tirée d’un sommeil agité il y une heure environ. J’ai l’estomac vide, mon malheur n’est pas terminé pour autant. Je me sens vraiment mal. Bon sang je déteste avoir la nausée. La porcelaine froide soulage ma peau moite. En temps normal, j’aurais été plus que gênée d’éprouver une quelconque amitié pour une cuvette de chiottes.
Je suis revenue sur Terre depuis deux semaines. Deux semaines que la Gardienne Egara m’a trouvée inconsciente sur la plateforme de téléportation. Elle est restée bête en me voyant là. Je croyais n’être restée que deux jours sur Trion. Mais d’après un espace temporel des plus farfelus qui m’échappe totalement, j’ai quitté la Terre depuis onze semaines. Ça fait onze semaines qu’elle m’a téléportée sur ma nouvelle planète, chez Roark, mon nouveau partenaire. Elle me supposait définitivement installée. L’union idéale.
Heureuse.
Je l’ai été, durant quelques heures. Ces deux semaines m’ont paru une éternité. Ça fait deux semaines que j’attends que Roark vienne me chercher. Oui, la doctoresse dit qu’il a été tué lorsque les Drovers ont attaqué les gardes, je ne la crois pas. Roark a dit qu’il viendrait me chercher, qu’il ne lui arriverait rien. Il me l’a promis.
Le temps passe et je me sens seule. Le centre de Recrutement des Epouses ne m’a rien dit, Trion n’a envoyé aucun message me concernant. La gardienne Egara m’a juré qu’elle me contacterait dès qu’elle aurait des nouvelles de Roark.
Je l’ai appelée tous les jours … rien. Pas de nouvelles. La gardienne a même envoyé une demande d’information au gouvernement de leur planète. Ils lui ont seulement dit qu’un massacre avait eu lieu sur l’Avant-poste Deux et qu’il n’y avait aucun survivant.
Aucun survivant, sauf moi.
Mon humeur balance entre folie et tristesse. Folle qu’il m’ait laissée en plan, qu’il ait choisi ses parents plutôt que moi. Je suis passée en deuxième, il a préféré protéger ses parents et les gens du campement, il m’a écartée, il avait des choses plus importantes à faire. Il s’est comporté exactement comme les gens dans ma vie. Comme mes parents. J’étais leur enfant, ils m’ont jetée dans des internats pour que je ne gêne pas leur petite vie. Comme Curtis, mon stupide fiancé, qui couchait avec d’autres nanas parce qu’il avait pas le temps d’apprendre à me connaître ou qu’il n’en avait pas envie, il se fichait de savoir s’il me rendait heureuse.
Ma colère a raison de mon énergie, je sombre dans le désespoir. Je déteste Roark, sa mort me met en colère. J’espérais qu’il viendrait me chercher, j’aurais pu l’engueuler, lui dire que j’avais failli mourir de chagrin, et l’embrasser éperdument.
Au bout de quatorze jours, j’ai arrêté de me raconter des histoires. Il ne viendra pas. Il est mort.
J’ai appelé mes parents—ils sont dans une villa en Sardaigne—pour leur annoncer mon retour sur Terre. Ils sont restés stupéfaits, ils se sont toujours demandés pourquoi j’étais partie. Apparemment, ils n’ont jamais trouvé mon mot, ils ignoraient que j’étais partie à des années-lumière de la Terre avec un extraterrestre canon. Ils s’en fichent, ils n’ont jamais demandé à personne si je reviendrais un jour.
Ils ne comprennent pas le mot échec . Ils n’en ont pas besoin. Tout le monde sait sur la planète que les épouses ne reviennent jamais. Sauf moi.
Je les ai toujours déçus. Ils ne savent évidemment pas que la gardienne Egara fut elle aussi une épouse et qu’elle est veuve. Je n’ai pas pris le temps de les en informer. Ça ne sert strictement à rien. Ils ne se sont jamais vraiment intéressés à moi. Et ça continue.
Ils ne viendront pas me voir à Boston, ils poursuivent leur périple de trois mois en Méditerranée, cet hiver. Ils m’ont dit qu’ils seraient de retour en Mars. Ils ont hâte de me voir, paraît-il. Je suis la bienvenue dans l’une de leurs demeures.
Je suis un animal de compagnie, pas leur fille.
Je suis seule, en colère, j’ai mal. Et le pire c’est que je sais à coup sûr que je suis enceinte. J’attends un bébé extraterrestre.
Bon sang, ma mère adorerait ça. Je vais donner la vie à un petit être. Ils vont paniquer s’ils apprennent que l’enfant que je porte n’est pas humain. Sans compter qu’il n’aura pas ses entrées au country club.
Oui, je suis enceinte. C’est pas une gastro, je me sens mieux au bout d’une petite heure, après avoir grignoté quelques biscuits salés. Au déjeuner, j’ai une faim de loup, c’est la troisième fois que je vomis aujourd’hui. J’ai un retard de règles. De quelques jours. Je n’ai jamais de retard. Mes seins me font mal, ils sont douloureux au toucher. Et très sensibles. Les piercings de téton me procurent une excitation constante—sauf quand j’ai la gerbe—la chaîne rend la sensation encore plus intense. Je ne compte plus les fois où je me suis masturbée en pensant à la grosse bite de Roark.
J’arrête pas de penser à Roark. Je porte ses anneaux, sa chaîne qui pend. J’ai le petit couteau qu’il m’a donné, la lame en or qui m’a sauvé la vie. Il ne me reste que des souvenirs. Je sais ce qu’être aimée veut dire, être possédée, caressée, adorée, je deviens folle.
C’est bien plus que ce à quoi les filles ont droit en général, j’essaie de ne pas le détester pour avoir fait en sorte que je tombe amoureuse de lui, et qu’il meurt.
Une nuit de sexe endiablé. Une seule nuit a suffi pour que je tombe enceinte grâce à son sperme Trion. Il m’a engrossée. C’est le terme qu’il a employé. Il voulait épouser une poule pondeuse. Et bien, c’est fait. J’ai son bijou en or, mes souvenirs et un bébé. Son bébé, qui grandit en moi.
Mes larmes coulent sur le rebord de la cuvette blanche et froide. Je me suis fait une queue de cheval afin que mes cheveux ne tombent pas dans l’eau. S’il était là, il me retiendrait par les cheveux pendant que je vomis. Il m’apporterait de l’eau et des biscuits salés. Il me prendrait dans ses bras et me dirait « ça va aller ».
Mais il n’est pas là. Je ne le reverrai plus jamais.
La gardienne m’a proposé de me réinscrire au recrutement du Programme des Epouses. Je pourrais épouser un autre guerrier puisque Roark est présumé mort. J’ai décidé que non, ma peine est trop récente. L’expérience vécue avec Roark m’a provoqué un choc bien trop douloureux. J’ai besoin de temps pour le digérer.
Et en plus, ça.
Je pose mes mains sur mon ventre, je me demande à quoi il va ressembler. Une petite fille qui aura mes yeux et la peau mate de Roark ? Un garçon brun aux yeux noirs ? J’imagine la tête de Roark en miniature, mes larmes coulent en un flot intarissable.
J’attrape un mouchoir et essuie mes larmes. Mon dieu, mes hormones me jouent un sale tour. J’ai passé une seule nuit avec l’homme idéal. Une seule nuit durant laquelle on s’est jurés fidélité.
Il avait promis. Promis ! Mais il est parti. Il m’a laissée toute seule. Comme mes parents et ce connard de Curtis. Oh, on vit sur la même planète mais une chose est sûre, il a vraiment une bite riquiqui.
Читать дальше