Il se faufile entre les rais de lumière bleue, ses mains calleuses et noueuses essaient de s’emparer de moi.
Il empoigne ma robe, m’attire vers lui impitoyablement, j’avance inexorablement. Je bondis et le poignarde. La lame dorée touche son bras. Son sang gicle sur ma robe mais il ne me lâche pas pour autant. Terrifiée, je m’écarte de lui de toutes mes forces. L’ourlet de ma robe se défait, ma robe se déchire en deux. Le Drover tombe à la renverse en hurlant lorsque le tissu lui reste entre les mains, la couture dans le dos se déchire avec un bruit assourdissant, j’en claque des dents.
Je suis nue, à l’exception de mes sandales et des chaînes qui pendent à mes seins, je hurle contre lui, enragée qu’il ait tuée la doctoresse, il l’a poignardée dans le dos. De sang-froid. Ils m’ont arraché mon époux. Tel est mon destin sur cette stupide planète. L’homme que je commençais à aimer, qui s’est uni à moi, est mort ?
Le ronronnement environnant se mue en un grondement sourd, j’ai l’impression que mon crâne va exploser. Je ne peux même pas hurler, tout devient noir.
Roark
Les chaînes ont entaillé mes poignets jusqu’à l’os, j’ai de la fièvre. Je suis attaché à un épais poteau de bois qui traverse la tente des Drovers dans toute sa longueur. J’ai été battu, privé de nourriture, torturé pendant quatre longues journées, les Drovers n’ont toujours pas révélé les motifs de leur attaque, ni ce qu’ils attendent de moi.
Je suis surpris d’être encore en vie. Les Drovers n’ont pas pour habitude de faire des prisonniers. Ni de les torturer. Ils préfèrent frapper et s’enfuir. Tuer sans distinction aucune, ne laisser aucun survivant. Une demande de rançon peut-être ? Je n’ai pas vu d’autres prisonniers. Je suis le seul captif. Pourquoi ? Pourquoi suis-je encore en vie ?
Quelque chose a changé, quelque chose de fondamental pour l’avenir de mon peuple. Les Drovers emploient de nouvelles méthodes, je dois savoir pourquoi. Je ne peux pas rester suspendu dans cette tente comme un vulgaire morceau de barbaque. Je me souviens d’être parti à la recherche de mes parents, j’ai appris qu’ils avaient bien été téléportés comme prévu. Ils sont sains et sauf sur Xalia.
J’essaie d’ôter le sable qui me dessèche les yeux, je cligne lentement des yeux, mon cœur n’est que douleur.
Je ne pense qu’à Natalie. Ma Natalie. Ma femme.
Elle leur a échappé. J’en ai la certitude. S’ils la détenaient, ils s’en seraient servi pour faire pression contre moi, ils l’auraient amenée ici et l’auraient torturée devant moi. Ils s’en seraient servie pour me faire abdiquer. Et dieu sait qu’ils y seraient parvenus. J’ai goûté le paradis entre ses bras. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour la protéger.
Je dois partir à sa recherche. Elle est seule sur Trion. Elle ne connaît personne. Putain , elle est arrivée sur cette planète il y a quelques jours à peine. La distance qui nous sépare est plus douloureuse que le châtiment corporel infligé par les Drovers. Je survis en pensant à elle. Elle est ma motivation, mon moteur pour rester vivant. Je lui ai promis de pas la laisser seule, de la protéger, chaque minute qui passe, le moindre battement de mon cœur est un échec.
Je ne peux pas rester enchaîné. Je dois m’échapper. Je fulmine, nos soleils se couchent, la nuit tombe. Il n’y a pas de lumière sous la tente, la faible lueur du crépuscule pénètre difficilement à travers l’épaisse toile de tente. Mes yeux s’habituent à l’obscurité, un pan de la tente s’ouvre, laissant passer un Drover. Ils sont venus en groupe le premier jour, probablement inquiets que je me batte. Ils sont désormais sûrs d’eux, tout fiers de m’avoir maté, de briser peu à peu mon corps.
Ils se trompent. Leur lenteur me permet de reprendre des forces. Mes muscles affaiblis se gorgent d’adrénaline. Je serre les poings, prêt à bondir.
Le Drover ne me regarde jamais en face, il tient son pistolet laser d’une main et de l’autre, utilise une clé pour défaire la chaîne qui entrave mes poignets. Sa puanteur âcre et amère me remplit les narines. La sueur et des huiles amères me brûlent le nez. Ces bâtards sont pires que des animaux, ils sont prêts à tuer pour le moindre kopeck. Je vais me battre contre lui mais pas ici, pas sous la tente. Il faut que je sache combien ils sont. Je sais en gros combien ils sont, je les ai comptés lorsqu’ils m’ont traîné dans une autre tente pour me battre. Les Drovers qui m’ont amené là-bas ne font pas partie d’un groupe très étendu, ils vivent sous les tentes d’un campement nomade.
On me décoche un coup entre les épaules, je tombe à l’extérieur, il fait frais. Dehors, je ne vois que de faibles lanternes accrochées à des pieux en bois. Tout est calme, hormis la respiration des nox , les grands animaux dont ils se servent comme moyen de transport. Les bêtes gigantesques sont enfermées dans un enclos non loin de là. Ce calme ne me dit rien qui vaille. Les Drovers ne parlent pas pour rien, ils ne sont pas sociables pour deux sous, aucun bruit ne provient des tentes, d’autres ennemis sont embusqués, hormis celui qui me pousse devant lui.
Le sable est chaud sous mes pieds nus. J’avance précautionneusement, je reste sur mes gardes et surveille les alentours. Je pourrais facilement me débarrasser de ce Drover si j’agis sans bruit.
Je pivote avant d’arriver à la tente, mon coude heurte son poignet et dévie la trajectoire du pistolet laser pointé sur moi. Son bras se retrouve contre ma hanche, le pistolet bloqué. S’il tire, tout le campement l’entendra. Je dois faire vite. Vif comme l’éclair, je lève les bras au-dessus de ma tête et passe mes mains liées autour de son cou. Il est petit, comme tous les Drovers, je le dépasse largement. Je passe mes mains autour de son cou et serre. Je le soulève vers le ciel sombre, pète sa trachée, étouffant son appel au secours. La douleur qui vrille mon épaule gauche me fait grimacer mais je continue. Je ne relâche pas ma prise, l’étrangle, tourne brusquement sa tête et brise sa nuque.
Je dénoue mes bras et le laisse s’affaler dans le sable. Mort. Je me penche pour ramasser son pistolet laser et scrute le périmètre. Mon genou droit me fait un mal de chien. Je respire par à-coups, j’essaie de faire le moins de bruit possible en dépit de la douleur lancinante. Personne.
Je le fouille et trouve les clés de mes menottes. Je libère mes poignets le plus rapidement possible et jette au loin les courroies en cuir, le sable mouvant du désert les recouvrira bientôt. Je me tiens à l’écart de la lumière des lanternes, je me fie au bruit des nox , ils constituent ma seule chance de m’échapper. J’ouvre facilement l’enclos de fortune, me dirige vers l’animal le plus à l’écart et trouve un seau rempli d’eau. Je me fiche que le nox ait bu dedans. J’ai quasiment pas bu depuis le début de ma captivité. Je me laisse tomber sur mon genou valide, je prends l’eau dans mes mains et bois. Ma soif étanchée, je me lève et tire l’animal par sa longe. Je défais la corde qui ferme l’enclos et attire le nox à l’extérieur. Je m’éloigne suffisamment du campement afin qu’aucun grognement ou signe de protestation de l’animal n’alerte mes ennemis, et me hisse sur son dos.
La douleur me coupe le souffle et attise mes blessures. J’ai le genou en vrac, une entorse probablement. Un doigt cassé. Des commotions. Plusieurs côtes cassées. Ils ont lacéré mes cuisses au couteau, mon dos porte les marques du fouet. Je suis brûlant de fièvre, sûrement un poison Drover ou une infection, je n’en sais rien. Des couleurs bougent devant mes yeux et se détachent sur la noirceur de la nuit du désert, l’animal avance en ondulant sous mes jambes. Je plante les talons dans les flancs poilus de l’animal et lutte pour rester conscient, le gentil géant progresse à pas lents en plein désert.
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