De nombreux autres soldats français avaient été fusillés au hasard et sans procès, mais le nombre de ces décès restait difficile à estimer. La mutinerie était un sujet sensible. Mais derrière la façade de la magnanimité, il y avait une main de fer déterminée à ce qu'une telle désobéissance généralisée ne puisse plus jamais se reproduire.
Parmi les divisions rebelles se trouvait un régiment de soldats russes, qui avait été envoyé sur le front occidental par le régime tsariste, comme un gage de bonne volonté, avant qu’il ne se trouve lui-même en difficulté et soit renversé. Ces soldats avaient enduré des conditions encore pires et un commandement encore plus incompétent que chez nos alliés français et britanniques. Ils n'étaient que trop prêts à suivre la mutinerie des camarades français rebelles. Leur sort fut pitoyable. Le commandement français avait dû traiter ses propres soldats avec une certaine indulgence, car il était impossible de tous les punir. Ils étaient trop nombreux à être réprimés. Une discipline sévère aurait pu provoquer de pires rébellions voire une révolution. Les Russes étaient remplaçables. Le régiment fut encerclé et mis en pièces par l'artillerie française.
La mutinerie avait duré six semaines. L'armée française avait échappé de justesse à une défaite cuisante. Mais les soldats avaient envoyé un message clair à leurs généraux. Désormais, il n'y aura plus d'attaques massives et les soldats français ne participeront qu'à des assauts de petite envergure sur les lignes allemandes. Ainsi l'horrible boucherie des trois années précédentes pris fin. Pour le reste de la guerre, la majeure partie des combats contre les puissances centrales sera laissée à la Grande-Bretagne et au Commonwealth, ainsi qu'aux troupes américaines fraîches et enthousiastes qui vont entrer en guerre juste à temps pour sauver les alliés d'une défaite presque certaine.
Derrière les lignes du front, le gouvernement réagit par la censure dans les journaux français et emprisonne ceux qui faisaient campagne pour la fin de la guerre par capitulation. De nos jours, ces personnes seraient appelées des militants de la paix. En 1917, ils étaient surnommés « agitateurs de guerre ».
Aujourd'hui encore, la mutinerie reste un sujet honteux et sensible en France. Lors de son 80 èmeanniversaire, en 1997, le Premier ministre français a suggéré que les mutins devaient être compris et pardonnés. Cette décision a été sévèrement dénoncée par le président français de l'époque, Jacques Chirac. Le simple fait d'exprimer sa sympathie pour ces hommes fatigués par la guerre était encore considéré comme un outrage.
Mais de nos jours, la plupart des gens s'accordent à dire que les mutins auraient mérité la pitié plutôt que la condamnation.
Ils étaient simplement des hommes comme les autres qui s’étaient trouvés perdus dans un enfer de feu et de sang.
Le cauchemar du bois de Belleau
L'année précédant notre entrée en guerre, les États-Unis disposaient d'une petite armée d'à peine 100 000 hommes. Le président, Woodrow Wilson, avait des sentiments mitigés quant à l'engagement de notre pays dans ce conflit. De nombreux citoyens américains étaient des immigrants européens qui avaient fui vers le Nouveau Monde, en partie pour éviter des guerres telles que celle-ci. Sans compter qu'une proportion non négligeable des immigrants américains étaient originaires d'Allemagne. Cela rendait toute décision sur le choix du camp à soutenir extrêmement compliquée.
En janvier 1917, les commandants militaires allemands décident d'autoriser leurs sous-marins à couler tout vaisseau naviguant dans les eaux britanniques. Cela provoqua l’attaque et la destruction de cargos américains et d'occasionnels paquebots transportant leurs passagers outre-Atlantique. L'opinion publique passa ainsi presque d’un jour à l’autre, d'une neutralité prudente à une attitude totalement anti-allemande.
Le président Wilson estima que le moment était venu. Ainsi, le 17 avril, les États-Unis s’engageaient finalement dans la guerre aux côtés des Alliés. Une fois que nous avons rejoint le conflit, nous avons entrepris de prouver au monde entier que nous étions à la hauteur de la tâche.
Nous étions une nation enthousiaste, prospère et en progrès. Après la guerre en 1918, nous allions avoir plus de quatre millions de citoyens américains dans les forces armées et trois millions et demi d'entre eux auraient été transportés en Europe. Ils arrivaient entassés comme des sardines sur des paquebots transatlantiques transformés à la hâte en navires de transport de troupes.
Nous dormions dans des lits superposés faits d'acier et de fil de fer, empilés les uns au-dessus des autres sur quatre niveaux. Le voyage était si inconfortable que de nombreux soldats, dont moi, trouvèrent les tranchées plus confortables.
Les Allemands savaient que l'adhésion de l'Amérique aux Alliés rendrait leur propre victoire presque impossible. Mais en 1917, la guerre est en faveur de l'Allemagne, la Russie est en pleine révolution et cherche désespérément à faire la paix et à mettre fin aux combats sur le front oriental.
L'Allemagne veut anéantir les soldats français et britanniques épuisés avec toute la force de son armée. Au début de 1918, des navires de troupes américaines avec des soldats nouvellement formés commencent à arriver en France. Il y avait pourtant à cette époque, juste quelques milliers de troupes américaines en Europe.
Il fallait du temps pour lever et préparer une force de combat pratiquement de zéro, puis transporter les considérables armées d'hommes à travers l'Atlantique. Les généraux allemands savaient que pour gagner la guerre à l'ouest, ils devaient frapper vite et fort avant que les Américains n'arrivent en nombre écrasant. Ainsi, à la fin du mois de mars, les Allemands lancent une attaque soigneusement planifiée, connue sous le nom d'offensive Ludendorff.
Les troupes allemandes utilisent une nouvelle tactique et percent les lignes de front alliées. Ils avaient recours à des attaques surprises pour découvrir les points faibles et utilisaient une force écrasante lorsqu’ils les avaient trouvés.
Tout au long du printemps, les troupes allemandes effectuent une série d'avancées remarquables qui provoquent la panique dans l'Empire britannique et parmi les forces françaises. En avril, le commandant en chef britannique, le maréchal Haig, donne l'ordre désespéré :
Dos au mur et convaincus de la justesse de notre cause, chacun d'entre nous a le devoir de se battre jusqu'au bout.
Le commandement allié craint la perte des ports de la Manche, à partir desquels les troupes et les fournitures sont acheminées vers le front occidental depuis la Grande-Bretagne. Le danger pour les Français était beaucoup plus grave. Au début du mois de juin, l'armée allemande avait atteint la Marne et se trouvait à moins de 60 kilomètres de Paris. Les routes sont encombrées de civils français fuyant les combats.
Les troupes françaises sont épuisées et découragées, incapables de trouver la volonté de combattre la gigantesque armée allemande leur faisant face. Dans ces circonstances désespérées, les généraux britanniques et français se tournent vers le Corps expéditionnaire américain (l’AEF). Ils firent partie de la première vague de troupes américaines qui arriva en Europe pour sauver la situation.
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