Selon le commandement militaire britannique, tout Allemand qui survivait au bombardement était censé être désorienté et submergé par l'ampleur de la force qui s'opposait à lui. Mais au lieu de cela, ils ont juste commencé à nous massacrer. Nous faisions face aux mitrailleuses (des armes efficaces qui tiraient 600 balles par minute) qui nous fauchaient comme si nous étions des épis de maïs dans un champ. Un capitaine du huitième bataillon donna le signal de l'attaque en montant sur le rebord de sa tranchée. Il botta un ballon de football en direction des lignes ennemies. Je suis sûr qu'il essayait d'apaiser les craintes de ses hommes par une démonstration de bravade, mais il fut tué instantanément d'une balle dans la tête, sapant l'effet qu'il essayait de créer.
Je continuais à avancer dans un délire brumeux. Tout autour de moi, je voyais des hommes tomber au sol, certains mollement, d'autres en roulant et hurlant. Je continuais et je restais indemne alors que mes amis et camarades étaient abattus. Trois autres vagues arrivèrent derrière moi et subirent le même sort. Je regardai le long de la ligne et réalisai que nous n'étions plus que quelques-uns.
Conformément au plan, notre attaque se poursuivit toute la matinée, avec quatre vagues d'hommes affrontant le même sort sinistre. Notre armée britannique était probablement la force de combat la plus rigide et la plus inflexible de la guerre. Dans le feu de l'action, les officiers subalternes devaient suivre leurs ordres à la lettre. À n'importe quel prix. Même s'ils se trouvaient dans des circonstances impossibles.
Les communications entre les officiers du front et les généraux de l'arrière étaient mauvaises. Ils dépendaient des lignes téléphoniques, qui étaient brisées par les tirs d'obus, et des messagers devant transmettre les messages du front à l'arrière, qui étaient souvent tués. Les officiers avaient reçu des instructions d’ordonner aux soldats d'avancer à tout prix et ils suivent les ordres, malgré l'évidente absurdité. Le maréchal Haig aurait aussi bien pu nous ordonner de sauter d’une falaise.
En début d'après-midi, la nouvelle de notre massacre est remontée jusqu'au quartier général de l'armée et les autres attaques de la journée ont été annulées. Le nombre de victimes fut le plus élevé jamais enregistré en un seul jour dans l'histoire de l'armée britannique, et les pires chiffres pour une journée, dans n'importe quelle armée, pendant toute la guerre.
Je me suis arrêté un instant dans la confusion de la débâcle lors de mon retour aux postes d'évacuation des blessés à l'arrière, pour juger du carnage et pour trouver un visage familier revenu du no man’s land. Nous avions notre rituel d'appel, qui établissait qui était revenu de l'attaque et qui ne l'était pas. Tant de mes amis avaient disparu qui avaient dû être tués ou blessés. Toutes ces balles, toutes ces balles et pas une seule marquée de mon nom. J'avais l'impression d'être l'homme le plus chanceux du monde.
Des cent vingt mille hommes qui ont pris part aux premiers combats du matin, la moitié d’entre eux avait été touchés. Il y eu plus de 20 000 hommes tués, et 40 000 autres gravement blessés. Cette nuit-là, une file d'hommes qui avaient été blessés dans le no man's land et qui avaient passé la journée à se cacher dans les cratères sous le soleil brûlant retournèrent dans leurs tranchées sous couvert de l'obscurité.
J'ai découvert plus tard que la presse britannique avait rapporté l'attaque en disant que la bataille était une grande victoire et avait décrit le désastre comme un jour de gloire pour l'Angleterre. On pouvait lire dans le journal :
Une poussée lente, continue et méthodique, a épargné les vies.
Je suis sûr que ces rapports visaient à rassurer les familles anxieuses au pays, mais moi et les autres soldats qui avions participé à cette attaque, nous étions en colère. Certains bataillons s'en sortaient avec juste quelques pertes, mais d'autres avaient terriblement souffert.
Un autre bataillon avait commencé la journée avec 24 officiers et 650 hommes. À l'appel du soir, il ne restait plus qu'un seul officier et 50 hommes. Le bataillon du Lancashire, qui était parmi les premiers à attaquer la ligne allemande ce matin-là, avait perdu 584 hommes sur 720, tués, blessés ou disparus dans la première demi-heure de la bataille. Malgré l'absence totale de nouvelles fiables en provenance du front, nos familles du Lancashire commençaient à soupçonner que quelque chose de terrible nous était arrivé. Le flux régulier de lettres en provenance de France s'était arrêté.
Une semaine après le début de la bataille, un train rempli de soldats blessés de la Somme s'était brièvement arrêté à la gare de Lancashire en route vers un hôpital militaire plus au nord. Un passager du train avait interpellé un groupe de femmes sur le quai les informant que ses copains de Lancashire avaient été massacrés.
L’affreuse nouvelle s’est rapidement répandue et créa une atmosphère insoutenable, comme l'air lourd et suffocant avant l'orage qui plane sur la ville. Des lettres d'hommes blessés assurant leurs familles qu’ils avaient survécu à l’horreur commencèrent à affluer. Les lettres arrivaient en si grand nombre qu'il était évident que quelque chose de très grave s’était produit. Ceux qui avaient reçu des nouvelles se retrouvaient dans un terrible calvaire : devaient-ils espérer le meilleur ou craindre le pire ?
Il y a quelque chose d'encore pire avec la Somme et ses 60 000 victimes en une seule matinée. Malgré les pertes, le maréchal Haig restait convaincu que son échec était dû au fait qu’il n’avait pas envoyé assez d'hommes. Il pensait que la grande poussée n’avait pas été assez importante. Ainsi, pendant les cinq mois suivants, les volontaires de l'armée de Kitchener allaient alimenter l’hideuse machine à broyer pour être massacrés par milliers, pris dans les barbelés et criblés de balles de mitrailleuses.
Il y a eu malgré tout quelques réussites en dépit du carnage. L’attaque de nuit du 4 juillet prend les Allemands par surprise et les tranchées allemandes de la ligne de front sont envahies sur 8 kilomètres. Le lendemain matin, cette percée est suivie d'une charge de cavalerie - la tactique standard utilisée dans les guerres du XIX èmesiècle - lorsque la ligne de front de l'ennemi est percée. Les cavaliers n'avaient pas l'air aussi fringants qu'auparavant. Les vestes rouges avaient été remplacées par du kaki fadasse. Le clairon sonnait pourtant toujours et les lances scintillaient sous le chaud soleil d'été. Comme toutes les charges de cavalerie, c'était un spectacle magnifique, jusqu'à ce qu'il se termine dans une grêle de balles de mitrailleuses, de chevaux qui se débattent et de corps qui tremblent.
Même les troupes australiennes étaient arrivées le front occidental et combattaient avec un grand courage. Trois semaines après le début de la bataille, un village local fut repris, mais à un prix terrible pour cette maigre victoire. Tant d'hommes avaient été tués qu'un soldat australien m'a décrit l'opération comme :
La plus sanglante, la plus lourde et la plus pourrie des histoires dans lesquelles les Australiens avaient jamais été impliqués.
Le 15 septembre 1916, les chars d'assaut sont utilisés pour la première fois dans l'histoire. Nous avions fondé de grands espoirs sur ces nouvelles armes, des « mitrailleuses destructrices » comme on les appelait à l'époque. En effet, le plus terrifiant pour un mitrailleur allemand dans sa tranchée, était de se trouver nez à nez à un énorme char, ses chenilles métalliques cliquetant et grinçant avançant lentement pour écraser la défense de barbelés, et les balles rebondissant sur son lourd flanc d'acier. Le char d'assaut s'est finalement révélé être l'une des armes les plus efficaces du siècle, malheureusement pas lors de la bataille de la Somme. La plupart tombaient en panne avant même d'avoir pu atteindre la ligne de front.
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