Après cent quarante jours, lorsque la bataille s'arrête finalement en novembre 1916, plus d'un million d'hommes ont été tués ou blessés. Au total, il y eu plus de 400 000 pertes britanniques, 200 000 pertes françaises et un demi-million de pertes allemandes. Les adversaires, pour la plupart des soldats de la deuxième armée allemande, avaient subi d’énormes pertes à cause de leurs propres généraux, qui avaient donné l’ordre que tout terrain gagné par les Britanniques ou les Français devait être repris à tout prix. Le haut commandement allemand avait également interdit l'évacuation volontaire des tranchées. Les soldats avaient l’ordre de maintenir fermement leurs positions dans les tranchées, et lorsqu’ils pouvaient en sortir, ils devaient se frayer un chemin en piétinant les cadavres qui les jonchaient.
Après que nos troupes avaient été fauchées par milliers lors de l'attaque des tranchées allemandes de première ligne, les soldats britanniques prenaient finalement une sinistre revanche alors que nos ennemis s'exposaient à un carnage similaire pour regagner le terrain perdu. Je me souviens avoir pensé : « Vous nous en avez fait voir, maintenant c’est vous qui allez prendre ». Les mitrailleurs fauchaient impitoyablement et sans relâche les soldats allemands qui se précipitaient aveuglément vers nos balles. Tout avantage militaire positif de cette destruction était imperceptible.
Dans certaines zones le long de la ligne de front de 30 kilomètres avait été redessinée de quelques kilomètres ici et là mais, comme tant d'autres batailles de la première guerre mondiale, la mort à une telle échelle industrielle n’avait servi à rien. Les soldats de l'armée britannique ne montreront plus jamais un tel enthousiasme pour la bataille. À partir de ce moment-là, les simples soldats évoqueront la campagne sur la Somme avec un dégoût sincère et amer. Aujourd'hui encore, l'horreur et le carnage des premières heures de ce samedi matin me choquent lorsque je pense à la guerre.
Pour ceux qui ont participé et ont survécu, il s'agissait du moment déterminant de leur vie. Je me souviens de la façon dont le premier jour a fusionné avec le second, j’étais sinistrement planté dans une tranchée endommagée et je voyais jour après jour mes camarades soldats vieillir et subissait des grêles de bombardements qui duraient des jours entiers. Pendant des heures, nous avons prié, transpiré et juré en travaillant sur les tas de craie boueuse et les corps mutilés.
À l'aube du lendemain matin, nous étions de retour dans la verdure. Je m’appuie pensivement sur mon fusil et je regarde bêtement les hommes épuisés et sales qui dorment autour de moi.
Il ne me vient pas à l'esprit de m'allonger jusqu'à ce que quelqu'un me pousse dans les fougères. Il y avait des fleurs parmi les fougères, et l'une de mes dernières pensées fut de me demander si les fleurs allaient un jour repousser dans les champs du carnage.
Mutinerie sur le front occidental
Le mot « mutinerie » évoque des images de violence alcoolique et de descente dans l'anarchie. C'est un mot qui ferait tourner le sang des officiers en bloc de glace. Sans ordre et sans obéissance, un homme ne peut pas donner d’ordres à un autre homme pour effectuer des actions qui entraîneront la mort et des blessures d’autres êtres humains. La mutinerie rend une armée inefficace plus rapidement qu'un barrage de mitrailleuses ou même d'artillerie. Elle peut conduire à une défaite totale en quelques jours, c'est pourquoi ils elle est généralement punie avec une grande sévérité.
Dans la Rome antique, les mutins de l'armée qui revenaient au régime militaire étaient soumis à la décimation : un homme sur dix était arraché des rangs et exécuté publiquement. Qui aurait pu deviner que cette réaction antique et barbare serait à nouveau employée au XX èmesiècle pour rétablir l'ordre dans l'armée française.
Les mutineries françaises de 1917 trouvent leur origine dans la décision de l'armée allemande de mener la guerre en prenant des vies françaises plutôt que des territoires français. En février 1916, les Allemands avaient choisi la forteresse française de Verdun pour mettre leurs plans en action. Pendant 10 mois d’horreur, les Français et les Allemands s’affrontèrent pour le contrôle de la forteresse. La plupart des combats s’étaient déroulés dans des forts de béton humides, éclaboussés de sang, et respirant la terreur des hommes devant affronter le combat au corps à corps.
Lorsque la bataille se termine en décembre de la même année, plus de 350 000 soldats français et 330 000 soldats allemands auront été tués ou blessés.
Il n'y avait rien de satisfaisant dans ce massacre.
Aucun territoire n'avait été gagné ni perdu. Chaque camp avait perdu un nombre presque égal de troupes. Le commandement et les tactiques des Allemands avaient été quelque peu modifiés, mais leur stratégie qui consistait à saigner à blanc l'armée française avait eu plus d'effet qu'ils ne l'avaient réalisé.
Le peuple français est immensément fier du succès de son armée dans la défense de Verdun, et le cri de guerre des soldats « On ne passe pas » devient le slogan de l'estime nationale. Les généraux français deviennent des héros nationaux. Mais, après la bataille de Verdun, de nombreux soldats français ont l'impression qu'ils n’ont plus rien à donner.
Une autre grande offensive française est prévue au début du printemps 1917. Le haut commandement français promet à ses troupes une victoire rapide au Chemin des
Dames sur l’Aisne. On proclame aux soldats français que ce sera la bataille qui leur permettra de gagner la guerre. Le moral est au beau fixe, surtout que les soldats français ont appris que leurs généraux allaient essayer une nouvelle tactique pour épargner leurs vies. Ils marcheraient vers les tranchées allemandes sous la protection du barrage rampant, une grêle d'obus tombant devant eux, avançant comme un mur de feu protecteur.
Des chars seraient également utilisés, un nouveau type d'arme prometteur pour écraser la défense des barbelés et détruire les nids mortels des mitrailleuses, qui sans cela, balayerait des dizaines d'hommes d'une seule rafale.
Un million d'hommes participèrent à l'attaque du 16 avril. Elle échoua. Ce fut un autre massacre insensé. Les chars tombèrent en panne et les bombardements de l'artillerie ne réussirent pas à détruire les points forts de l'ennemi. Le temps n'avait pas aidé non plus. Les soldats français avaient dû avancer sous une pluie battante. Après 10 jours, plus de 30 000 hommes avaient été tués, et plus de 20 000 avaient disparus, presque certainement morts. 90 000 autres survivants avaient été blessés. Mais pourtant, les attaques continuèrent.
Tous les soldats ne croyaient pas aux promesses des généraux français d'une victoire facile lors d'une percée décisive. De nombreuses compagnies de soldats, y compris la mienne, marchaient au front en bêlant comme des moutons, criant à qui voulait l’entendre que nous étions des viandes de boucherie sur pied destinées à l'abattoir. C'était un signal d'alarme qui fut ignoré. Le Chemin des Dames devint le lieu où le moral de l'armée française s’effondra définitivement.
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