Elles côtoient ce mur qui les maintient parallèles, et s'y heurtent et s'y meurtrissent. »
§ « Ni la parole, ni le geste qui modèle la pensée. – tout cela procède de l'esprit frivole ; – mais l'inflexion plutôt de la voix émue, la ligne du visage, le regard surtout : voilà l'éloquence de l'âme ; elle s'y livre. Il faut les étudier, assouplir, et les faire interprètes dociles.
Leur étude devant la glace. Ils en riraient, s'ils avaient vu ; le regard fouillant le regard. et, la nuit, presque hypnotisé par le jeu changeant des prunelles profondes, cherchant ce qui des émois se révèle au dehors dans le regard qui brille ou qui pleure ; quels alignements de paupières, quels rapprochements des sourcils, quels plissements du front devaient accompagner les mots de passion, d'enthousiasme ou de tristesse...
Comédien ? peut-être... ; mais c'est moi-même que je joue. Les plus habiles sont les mieux compris. »
§ « Puis cela devient une souffrance : ne pas se perdre de vue, cherchant anxieusement le mot. le geste, le regard surtout. et cette inflexion de la voix qui révélera mieux les émois secrets de mon âme. – Et souvent alors la préoccupation de paraître ému supplante l'émotion sincère. Que de fois j'ai senti près de toi, Emmanuèle, l'émotion réelle et spontanée fuir sous l'effort trop grand de la faire saillir au dehors. – C'est là qu'est la souffrance : ne pas pouvoir se révéler et, lorsqu'on y parvient peut-être, n'avoir plus rien à dire. »
Se comprendre, cela n'est rien : ce qu'il faudrait, c'est l'embrassement des âmes.
J'ai le besoin de caresser : mes caresses inépanchées ne se sont reposées encore sur personne ; elles restent éparses sur tous. Ma caresse est un enlacement ; j'ai le geste instinctif d'embrasser.
La triste chose et dont j'ai bien souffert, que l'âme n'ait, pour révéler ses tendresses, d'autres signes que les caresses des désirs impudiques aussi ; elle s'y méprend, elle s'y leurre ;... puis en moi tout à coup le geste éveillait la pensée...
Alors rester froid pour qu'il n'y ait plus de méprise, même de mon âme, – car parfois... ; la main qu'on serre seulement et puis qu'on laisse, l'adieu du soir sans le baiser de paix ; – et que le cœur se pâme s'il veut, mais tout bas et sans qu'on le sache.
Amoureuse, adoratrice ou passionnée, j'ai l'obsession de la caresse : je voudrais l'étreinte absorbante, l'enveloppement, ou bien l'oubli de soi, ce qui fait l'extase éperdue. – Et c'est pourquoi je souffre tant devant la beauté des statues ; parce que le moi ne s'y fond pas, mais qu'il s'oppose.
... « Quoniam nihil inde abradere possunt , Nec penetrare et abire in corpus corpore toto. »
Un peu de chair s'y mêle encore, tant ce marbre est si diaphane. Le désir de posséder me tourmente et je souffre affreusement, dans le corps et dans l'âme, du sentiment de cet impossible ; – le Tireur d'épine, l' Apollon Saurochtone, le torse mutilé de la Diane au repos – le regard ne me soûle pas – il m'altère ;
« Nec satiare queunt spectando corpora coram : »
Et puis encore je souffre à penser qu'ils ne sentiraient pas mes caresses.
« Splendeur excessive, implacable, O beauté ! que tu me fais mal.
L'impossible union des âmes par le corps, · · · · · · · · · · · · · · que le baiser tourmente. »
Voilà qui est admirable. Oh ! j'ai bien souffert de ces choses ! – Et l'âme y est si fort mêlée, qu'on ne sait plus si ce n'est pas elle qui désire ou bien la chair qui se déguise comme en une adoration.
« Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée... »
La caresse effleure, elle est passagère.
Mon âme s'émeut au bruit des baisers...
Et non erat qui cognosceret me... et pas plus moi que les autres – les âmes ne se peuvent connaître, et les plus semblables encore demeureront PARALLÈLES.
« Aussi bien je ne te désire pas. Ton corps me gêne et les possessions chamelles m'épouvantent. Nous ne nous aimons pas comme il faudrait qu'on s'aime avec raison. Tu ne pourrais m'appartenir : les choses que nous voulons ne s'appartiennent pas. »
12 juin.
Une lettre de Pierre avec un envoi de livres. Il me parle de Paris, de la lutte et des premiers triomphes... Adieu le calme et la philosophie quiète ; ce souffle d'air enfiévré me grise ; j'y sens tant de gloires latentes. Mes ambitions sommeillaient dans la solitude : les voilà toutes réveillées. Et c'est une fureur contre ma claustration : là-bas ils s'excitent, ils s'entraînent – c'est une ruée. J'arriverai trop tard et je n'en serai plus.
Cette lettre d'ailleurs m'est bonne ; mon orgueil en hurle de rage, mais je n'en suis pas abattu ; cela fouette à sang les énergies ; – j'en courrai maintenant plus vite. Oh ! je me sens de grandes forces.
Arriver tout à coup, et, sans qu'on vous ait prévu, sonner haut son cri de trompette ; – ou plutôt rester inconnu, mais entendre l'œuvre acclamée – car je ne me nommerai pas.
Il faut travailler frénétiquement, improbe . – Je ne sortirai d'ici que l'œuvre faite. Et, pour que plus rien ne me trouble, je fais envoyer désormais les lettres qu'on m'adresse en un endroit imaginaire.
Son écriture est d'une perfection impassible, impeccable, figée, – décourageante, car je sentais auprès ma langue si fluide encore et comme illimitée. Je voudrais l'enserrer dans des formes rythmiques, – mais l'émotion toujours fait éclater ma phrase ; je n'en écris que les débris.
Les livres, c'est Verlaine ; et je ne le connaissais pas !
Ce soir, quelque avancée que fût l'heure, j'ai coupé, rangé le papier que Pierre m'envoie avec les livres. La vue du papier blanc m'enivre ; – les petits signes noirs dont je vais tantôt le couvrir, qui révéleront mes pensées et qui plus tard, relus, me rediront les émois d'aujourd'hui...
Je ne pouvais dormir ; la pensée bouillonnait trop tumultueuse : cette force latente de production, j'en sentais la pression ; – l'inspiration me devenait comme palpable ; la vision de l'œuvre m'éblouissait comme déjà faite. Quelles splendeurs d'auréoles ; quelles lueurs d'aurore... Puis mon front qui me brûle, ma grandeur m'étourdit la pensée qui se désordonne – le sentiment de chanceler, une chute – quelque chose qui va se briser... Ah ! devenir fou ! – et brusquement, très pieux, dans un effort violent, par une indicible terreur que la pensée ne m'échappe et que toute cette promesse ne crève d'un seul coup :
– « Pardonnez-moi, Seigneur, je ne suis qu'un enfant, un petit enfant, qui s'égare dans des sentiers perfides : ô Seigneur ! que je ne devienne pas fou ! »
Pour le style, que la saveur s'en précise – et, puisque ce n'est pas la plastique, que la musique alors s'affirme ; – la strophe même – pourquoi pas ?
Mets ta main dans ma main, que nos doigts s'enlacent.
Ton cou sur mon épaule, et que nos cœurs se sentent battre.
Laisse peser ton front et que nos regards se confondent.
Mais n'allons pas jusqu'au baiser.
De peur que l'amour nous distraie.
Ne parlons pas, restons ainsi, que j'entende chanter ton âme
Et que la mienne y réponde au travers des doigts confondus.
Des cœurs approchés, des regards qui s'appellent...
Ne parlons pas – silence.
*
Ton âme chante dans tes yeux sombres.
Fais-les plus proches, mon amie.
Je la sens toujours trop lointaine.
Plus proches, ah ! plus proches encor –
Que tes regards me troublent !
On croirait qu'ils sourient et que ton âme pleure.
Qu'elle est donc loin encor derrière tes prunelles.
Dans l'ombre humide de tes yeux
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