Je m'en allai ; dans la campagne j'errai jusqu'au soir, l'esprit balancé sur des exaltations infinies ondulant au gré des harmonies ressouvenues.
Que l'âme se sente vivre, et par l'effort pour vaincre dans la lutte recherchée ; – de là les rêves d'impossible, la chasteté, la foi ; puis, avec les énergies acquises, elle sera plus vaillante pour s'emparer de ton âme, malgré ton esprit batailleur.
Ton esprit ! Ah ! que je lui voulais donc de mal autrefois ; ton pauvre esprit qui s'effrayait des troubles de ton âme et s'évertuait de calmer ses transports. Quelles luttes, et sans cesse, pour te résister à toi-même ! tu voulais ta volonté dominatrice et l'opposais à la tendresse envahissante. – « Je ne me laisserai dominer par quoi que ce soit ! » pensais-tu.
Je méconnaissais tout cela. Je comprenais seulement que ton esprit me dérobait ton âme et que ton âme me souhaitait.
J'entends bien parfois gémir tout bas ton âme, mais ton esprit dominateur la mate. Va ! je la forcerai bien de crier sans que ton esprit étouffe ses plaintes.
Va ! je la forcerai bien de parler, ta pauvre âme...
De la musique, – de la musique : en les plaintes de l'harmonie, ton âme étonnée reconnaîtra les siennes et les sanglots jailliront, si longtemps contenus. Mais, quand je commence à jouer, aussitôt tu t'enfuis, craintive.
⁂ Une nuit d'été, nuit brûlante d'orage, après un jour splendide, – tout se taisait, dehors, pas un souffle. – L'âme attendait.
Tu sortis sur la terrasse ; les autres restaient dans le salon. Quand je vis que tu ne pouvais plus fuir, j'ouvris la fenêtre toute grande et me mis au piano. Les sons t'arrivaient ainsi que des ondes. – Je commençai le premier Scherzo de Chopin ; brutalement, bruyamment, comme pour préluder, ne voulant pas d'abord effaroucher ton âme. Au piu lento, je mis la sourdine, et la mélodie pleura, morbidement douce : comme les perles d'un jet d'eau s'égrènent, les notes d'en haut tombaient, obstinément les mêmes, mais différemment éloquentes, tandis qu'alternait l'harmonie. – Je repris l' agitato, mais avec toute la passion de mon cœur, faisant tressaillir l'inquiétude des dissonances. – Je m'arrêtai brusquement avant que tu n'aies pu te dégager du charme. Et je vins près de toi ; je te trouvai tremblante ; pas de larmes, les yeux brillants. – « André, pourquoi jouais-tu cela ? » dis-tu, et ta voix était altérée, tellement que j'en fus effrayé et que je n'osai plus rien dire. – Nous nous taisions ; – alors toi, comme distraite : – « Regarde cette nuit ! N'est-ce pas qu'elle est surnaturelle ? » Des éclairs palpitaient sans bruit à l'horizon. L'air était embaumé du pollen des tilleuls, du parfum des acacias en fleur. Je voulus prendre ta main ; elle était brûlante ; mais tu me repoussas. – Nous nous taisions. – Alors toi, de nouveau, mais très bas et la tête inclinée : – « O André ! tu as agi lâchement ce soir. » Des gouttes d'eau commençaient à tomber ; nous rentrâmes.
L'orage éclata dans la nuit. Tu fus souffrante ; la fièvre et presque le délire.
Le lendemain, tu restas couchée ; tu refusas de me voir : « Un rien m'agite », disais-tu.
(Jeudi.)
« Réfléchi presque toute la nuit : je ne pouvais dormir. « O André ! tu as agi lâchement ce soir. »... et je te sentais tout à coup si frêle et délicate auprès de moi... si fragile et comme implorante. »
« Ce que j'ai fait était coupable ; t'inquiéter, – vouloir troubler ton âme... et pourrais-je la satisfaire, après que je l'aurais altérée ?
... Tu as agi lâchement ! –
Son mépris ! – Ah ! que tu ne me méprises pas ! – mais maintenant ? »
(5 octobre.)
« J'ai vécu tout ce jour dans une tristesse infinie, au milieu de choses grises.
Je recueillais une à une mes espérances flétries, et je les pleurais chacune.
Mes forces s'en étaient fuies toutes avec moi ! je n'osais même plus te souhaiter lointaine. »
« Je cesserai de poursuivre ton âme.
J'attendrai. – Je serai là – je resterai le même. A ton moindre désir, j'accourrai vers toi – mais pas avant que tu ne m'appelles. J'attendrai. »
(Dimanche.)
« Aujourd'hui j'ai vécu près d'elle, mais nos regards ne se sont pas cherchés ; je ne me suis pas rapproché de toi. J'ai pensé presque tout le jour.
L'attente.
Nous cheminerons PARALLÈLES : cela me désespérait autrefois. »
« J'ai recommencé de lire ma Bible. Il faut remonter la pente, descendue sans que l'on s'en doute.
Oh ! qu'il est difficile. »
.....
Je saute des pages – la transition sera trop brusque, mais je suis las de tout redire.
Je voudrais des choses nouvelles – et j'en vois de si radieuses...
J'étais triste alors... que cet « alors » est loin ! Dehors, c'est le printemps qui va naître – et je voudrais chanter :
Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore .
(18 oct.)
« L'estime de soi-même ; le contentement dans l'âme ! la splendeur de la vertu, que d'abord je cherchais pour toi, m'éblouit peu à peu et m'attire elle-même.
Il est des émotions plus hautes, des ferveurs plus nobles, des enthousiasmes plus sublimes.
L'âme évolue. »
(22 oct.)
« Pour moi seul ! pour moi seul !
Ils ne comprendront pas – que m'importe ?
Mon cœur déborde : il faut chanter.
Un peu d'harmonie plutôt que des mots – pas de phrases – ô les phrases pour qu'ils comprennent.
« Des paroles pleines de charme bouillonnent dans mon cœur. » Mon âme se balance sur les ondulations moduleuses, les arpèges rompus, soulevés comme un vol inquiet d'ailes furtives, sans cesse retombant sans jamais se résoudre.
La passion se rythme, se scande et s'apaise... la passion s'endort, l'âme médite. »
« ALLAIN.
Pour ne pas troubler sa pureté, je m'abstiendrai de toute caresse – pour ne pas inquiéter son âme – et même des plus chastes, des enlacements de main... de peur qu'après elle ne désire davantage, que je ne pourrais pas lui donner ;... et je détournerai de ses yeux mes regards, de peur qu'elle ne les désire plus proches, et qu'alors. malgré moi, je n'aille jusqu'au baiser.
Notre âme ainsi restera craintive, malgré que l'appelle l'autre âme... »
(25 oct.)
« L'âme médite :
Pas de vertu sans effort : – ma charité n'est pas vertueuse ; j'aime aimer parce qu'il m'est doux d'aimer et parce que je voudrais qu'on m'aime autant que j'aime... mais il n'y a pas d'effort.
– Ou bien l'effort tenté attend l'estime d'autrui, son estime ; il n'est pas encore méritoire. Il faudrait l'effort sans l'espoir de la récompense.
Je cherche où est la vertu ?
La vertu serait le bien sans qu'elle le sache... oui, sans qu'après, auprès d'elle, je revendique des droits à une estime plus grande...
Sans qu'elle le sache, .. et volontairement, est-ce possible ? Il faudrait que d'abord, avant de faire l'action, je me promette de ne rien lui en dire, ni à personne qui le lui redirait – d'ensevelir l'acte en mon cœur – c'est là que l'idée de Dieu est nécessaire. il faudrait que je me paraisse le lui offrir comme un intime sacrifice dont la fumée monterait jusqu'à lui sans être vue des hommes – que je me promette de te le cacher toujours !...
Mais cette pensée m'effleure : « A quoi bon alors ? – puisqu'elle ne le saura pas. »
Mercenaire ! Il faut trouver la récompense du bien en le bien lui-même, – ne pas attendre sa récompense des hommes ; – puis cependant, la récompense de mériter son estime, quand je l'approche, sentir que je suis digne (un peu plus, tout au moins). Oh ! sans que je lui dise rien, elle le lira bien dans mes yeux, à travers mes yeux jusqu'à mon âme... « Va ! je le sentirai bien sans que tu parles », disait-elle.
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