– Que tu la fasses plus abandonnée, – toi la lointaine, – aux courbes lentes des nuées que tes lueurs argentent.
– Que tu la fasses plus extasiée, songeuse encore plus qu'assoupie. – par tes silences, – taciturne, – sur tes clartés aériennes.
Ce serait le sommeil au gré de tes berceuses.
Dans la nuit, par la fenêtre penché, je regarde la nuit étendue, le pâle enchantement des ombres au clair de lune romantique.
Oh ! quand l'âme saura...
Silence. –
⁂ Quand l'âme a su, elle s'est écriée :
« O que tu sois maudite encore. – chair avilie. O maudite ! maudite sois-tu ! »
Puis elle a gémi de ce qu'elle ne trouvait plus de prières – et s'est désolée pareillement de ce que les mots pour prier dussent sortir de ces mêmes lèvres qui tant avaient souhaité des caresses abhorrées. Les mots se souillent au passage ; la prière ne monte plus.
Elle dit :
« Voici ! Voici ! je t'ai reperdue, fraîche et blanche pureté, si ardûment de nouveau regagnée. Elles s'en sont allées, les promesses, et de Toi les remémorances affectueuses, en allées ! en allées ! »
Puis elle s'est morigénée :
« Que t'en allais-tu donc aussi, vagabonde ! – vers tes rêvasseries toujours ! Il te fallait rester près du corps et veiller. – Te voilà maintenant honteuse. Lamente et pleure lâchement. »
Et s'est lamentée alors et a pleuré parce qu'elle s'est sentie malheureuse.
Samedi 14.
J'ai prié toute la nuit, à genoux, sans me retourner. Je n'ose pas dormir – ô l'effroi des sombres ténèbres ! deuil des visions disparues. La terreur des témoins qu'autrefois j'invoquais. – Se cacher... ô leur regard qui se courrouce contre le faible enfant de la terre ! Comme il est triste, leur regard ! comme il est triste ! – La paix de leur front qui se ride...
Toute la nuit j'ai pleuré : les larmes sont pieuses ; seule prière qu'on ose, après qu'on a beaucoup péché et qu'on a honte.
O les larmes qui tombent dans l'ombre...
Il se terrifie de cette grande nuée de témoins qu'il évoquait.
« Éternel ! aie pitié de moi ! J'ai peur de la nuit ! Ils sont partis tous les aimés, ceux qui peuplaient mes veilles – ils m'ont laissé tout seul ; ils m'ont abandonné. J'ai peur de la nuit ; le silence frémit d'imaginaires alarmes. Je n'ose pas me retourner ; j'ai peur ! j'ai peur, mon Dieu – oh ! je suis un enfant ! un petit enfant. » – Il sanglote.
... Parce qu'elle ne possède pas la pleine lumière et que toutes ses affections sont malades. (Imit., III, 55.)
Il faut travailler.
15 septembre.
L'évolution est toujours la même. L'esprit s'exalte ; il oublie de veiller : la chair tombe. On se réveille ; puis vient un travail excessif pour distraire des mauvaises pensées. Le travail fatigue, on se dit : à quoi bon ! on prie, on recherche l'extase, – et l'évolution recommence.
Quand on en a plusieurs fois fait le tour, on n'a même plus de surprises : c'est désespérant. Pourtant ce n'est pas un cycle, mais une spirale qui s'élargit toujours et dont les anneaux s'écartent toujours plus du centre et se distendent ; les sauts sont plus brusques ; les élans, plus forcenés.
Lundi 16.
Il pense :
Rousseau travaillait dix-huit heures. –
Balzac de minuit à huit heures. –
Flaubert... etc.
Il tâche de veiller ; – la chair est faible... (admirable) : dire le sommeil qui, malgré qu'il résiste, arrive – il s'endort le coude sur la table...
« de ma tête lassée. »
Le corps dira :
« Voici, ramène-nous en Égypte ! nous y mangions des oignons succulents, nous y vivions dans l'abondance ; – mais tu nous fais errer dans un désert aride et sans eau, où nous manquons de tout et souffrons de bien des choses. »
... c'est, dans la chair plaintive, l'écho mal endormi des voluptés passées où traîne encore quelque refrain qui vous rappelle, – et l'image surgit, évoquée malgré soi, l'image corruptrice.
Mardi soir.
Méditations métaphysiques.
« Le temps et l'espace n'existent que pour la raison de l'homme. » – Se pencher sur ces profondeurs et les fixer jusqu'au vertige. Le charme lent des tristesses passées ; – la douleur présente, se la représenter déjà lointaine en arrière, se regarder en souffrir sans penser que c'est soi qui souffre, et la tourner en une exquise tristesse, comme d'un souvenir de douleur · · · · · · · · · · · · l'illusion des phénomènes. Car la mort n'est un accident que pour des raisons survivantes ; mais l'âme sitôt la mort ne s'aperçoit plus de la mort et l'oublie, car la mémoire d'autrefois s'en est allée avec la raison morte. L'âme traverse la mort, indifférente.
Ce qui change, c'est le corps seul : il retourne en poussière – (encore que phénoménalement). La mort n'est pas une conclusion ; le roman ne s'arrête pas là, – qui sait seulement s'il s'arrête ?... et s'il commence avec la vie ? – qui sait seulement s'il commence ? – si l'âme n'est pas éternellement voyageuse, et ne poursuit pas, au travers de formes sans cesse nouvelles et qui s'écoulent, au travers de multiples vies, d'inquiètes migrations pour manifester son essence ?... peut-être c'est ce qui lui fait ces lassitudes infinies, toutes les vies antérieures ; – peut-être aussi qu'elle est encore très jeune, et c'est ce qui lui fait ces désirs infinis.
Ah ! quand nous connaîtrons ! – ah ! quand ce sera la lumière ! Car jusqu'à ce jour le même voile demeure. – Mais, après, nous connaîtrons comme nous aurons été connus ,
§ Oui ! mais quand nous connaîtrons, nous n'aurons plus la raison pour le savoir, non plus que pour le désirer ; nous connaîtrons sans nous en douter, sans enchantement de surprise ; nous ne nous en apercevrons pas. Ce sera la résolution d'un accord trop longtemps suspendu, sans plus d'oreilles pour l'entendre ; – et nous n'aurons plus d'yeux pour voir l'éblouissement des grandes clartés qui se lèvent. Nous serons plongés dans l'infini bonheur, sans plus cette douloureuse résistance du moi qui seule pourrait nous le faire sentir.
§ Alternative ; un nirvâna prodigieux, où le « moi » tout entier se fondrait, s'abîmerait en extase et garderait pourtant la volontaire conscience de son évanouissement ; ce serait comme un néant voluptueusement perceptible.
⁂ Spéculations abstraites : poursuite de vent, course après la chimère – ô le mirage, pendant la vie, des choses d'au-delà de la vie...
Mercredi 18.
Il ne faut surtout pas que la ferveur faiblisse, – sinon tout retombe aussitôt ; il ne faut même pas y songer de peur que la pensée du néant de toute sa vie ne vienne à effleurer mon âme, – mais la maintenir toujours brûlante par le désir incessant des extases nouvelles.
Jeudi.
Je travaille excessivement : Allain avance ; c'est superbe ! Puis chaque jour naissent des projets nouveaux que je voudrais aussitôt écrire – des contes philosophiques surtout, puis le traité des Refuges – le poème du Juif Errant ...
Ma pensée est si vivement active, que le moment de s'endormir lui fait mal comme physiquement. C'est comme une cessation d'être ; l'idée seule en est insupportable. Je retarde chaque jour le moment du coucher – et, sitôt dans le noir, c'est une angoisse épouvantable ; je ne veux pas m'endormir, et ma raison dit qu'il le faut ; progressivement la pensée s'arrête, s'alentit – elle va mourir, mais de brusques ressauts de vie la secouent longtemps encore ; – elle sent trop l'évanouissement lent qui la gagne, et s'effraie. – Ou bien ce sont les obsessions énervantes.
Les nuits viendront que je chercherai le sommeil et que je ne le trouverai pas.
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