Ont, par la mort frappés, quitté leur tendre ami.
Cette voix qu’ils aimaient résonne plus touchante,
Mais elle ne peut plus pénétrer jusqu’aux morts ;
J’ai perdu d’amitié l’oreille bienveillante,
Et mon premier orgueil et mes premiers accords !
Mes chants ont beau parler à la foule inconnue,
Ses applaudissements ne me sont qu’un vain bruit,
Et, sur moi, si la joie est parfois descendue,
Elle semblait errer sur un monde détruit.
Un désir oublié, qui pourtant veut renaître,
Vient, dans sa longue paix, secouer mon esprit ;
Mais, inarticulés, mes nouveaux chants peut-être
Ne sont que ceux d’un luth où la bise frémit.
Ah ! je sens un frisson : par de nouvelles larmes,
Le trouble de mon cœur soudain s’est adouci.
De mes jours d’autrefois renaissent tous les charmes,
Et ce qui disparut pour moi revit ici.
FAUST 1
LE DIRECTEUR, LE POËTE DRAMATIQUE.
LE PERSONNAGE BOUFFON.
LE DIRECTEUR.
Ô vous dont le secours me fut souvent utile,
Donnez-moi vos conseils pour un cas difficile.
De ma vaste entreprise, ami, que pensez-vous ?
Je veux qu’ici le peuple abonde autour de nous,
Et de le satisfaire il faut que l’on se pique,
Car de notre existence il est la source unique.
Mais, grâce à Dieu, ce jour a comblé notre espoir,
Et le voici là-bas, rassemblé pour nous voir,
Qui prépare à nos vœux un triomphe facile,
Et garnit tous les bancs de sa masse immobile.
Tant d’avides regards fixés sur le rideau
Ont, pour notre début, compté sur du nouveau ;
Leur en trouver est donc ma grande inquiétude :
Je sais que du sublime ils n’ont point l’habitude ;
Mais ils ont lu beaucoup : il leur faut à présent
Quelque chose à la fois de fort et d’amusant.
Ah ! mon spectacle, à moi, c’est d’observer la foule,
Quand le long des poteaux elle se presse et roule,
Qu’avec cris et tumulte elle vient au grand jour
De nos bureaux étroits assiéger le pourtour ;
Et que notre caissier, tout fier de sa recette,
A l’air d’un boulanger dans un jour de disette…
Mais qui peut opérer un miracle si doux ?
Un poëte, mon cher !… et je l’attends de vous.
LE POËTE.
Ne me retracez point cette foule insensée,
Dont l’aspect m’épouvante et glace ma pensée,
Ce tourbillon vulgaire, et rongé par l’ennui,
Qui dans son monde oisif nous entraîne avec lui ;
Tous ses honneurs n’ont rien qui puisse me séduire :
C’est loin de son séjour qu’il faudrait me conduire,
En des lieux où le ciel m’offre ses champs d’azur,
Où, pour mon cœur charmé, fleurisse un bonheur pur,
Où l’amour, l’amitié, par un souffle céleste,
De mes illusions raniment quelque reste…
Ah ! c’est là qu’à ce cœur prompt à se consoler
Quelque chose de grand pourrait se révéler ;
Car les chants arrachés à l’âme trop brûlante,
Les accents bégayés par la bouche tremblante,
Tantôt frappés de mort et tantôt couronnés,
Au gouffre de l’oubli sont toujours destinés :
Des accords moins brillants, fruits d’une longue veille,
De la postérité charmeraient mieux l’oreille ;
Ce qui s’accroît trop vite est bien près de finir :
Mais un laurier tardif grandit dans l’avenir.
LE BOUFFON.
Oh ! la postérité ! c’est un mot bien sublime !
Mais le siècle présent a droit à quelque estime ;
Et, si pour l’avenir je travaillais aussi,
Il faudrait plaindre enfin les gens de ce temps-ci :
Ils montrent seulement cette honnête exigence
De vouloir s’amuser avant leur descendance…
Moi, je fais de mon mieux à les mettre en gaîté ;
Plus le cercle est nombreux, plus j’en suis écouté !
Pour vous qui pouvez tendre à d’illustres suffrages,
À votre siècle aussi consacrez vos ouvrages :
Ayez le sentiment, la passion, le feu !
C’est tout… Et la folie ! il en faut bien un peu.
LE DIRECTEUR.
Surtout de nos décors déployez la richesse ;
Qu’un tableau varié dans le cadre se presse,
Offrez un univers aux spectateurs surpris…
Pourquoi vient-on ? pour voir : on veut voir à tout prix.
Sachez donc par l’EFFET conquérir leur estime,
Et vous serez pour eux un poëte sublime.
Sur la masse, mon cher, la masse doit agir :
D’après son goût, chacun voulant toujours choisir,
Trouve ce qu’il lui faut où la matière abonde,
Et qui donne beaucoup donne pour tout le monde.
Que votre ouvrage aussi se divise aisément ;
Un plan trop régulier n’offre nul agrément ;
Le public prise peu de pareils tours d’adresse,
Et vous mettrait bien vite en pièces votre pièce.
LE POËTE.
Quels que soient du public la menace ou l’accueil,
Un semblable métier répugne à mon orgueil ;
À ce que je puis voir, l’ennuyeux barbouillage
De nos auteurs du jour obtient votre suffrage.
LE DIRECTEUR.
Je ne repousse pas de pareils arguments :
Qui veut bien travailler choisit ses instruments.
Pour vous, examinez ce qui vous reste à faire,
Et voyez quels sont ceux à qui vous voulez plaire.
Tout maussade d’ennui, chez nous l’un vient d’entrer ;
L’autre sort d’un repas qu’il lui faut digérer ;
Plusieurs, et le dégoût chez eux est encore pire,
Amateurs de journaux, achèvent de les lire :
Ainsi qu’au bal masqué, l’on entre avec fracas,
La curiosité de tous hâte les pas :
Les hommes viennent voir ; les femmes, au contraire,
D’un spectacle gratis régalent le parterre.
Qu’allez-vous cependant rêver sur l’Hélicon ?
Pour plaire à ces gens-là, faut-il tant de façon ?
Osez fixer les yeux sur ces juges terribles !
Les uns sont hébétés, les autres insensibles ;
En sortant, l’un au jeu compte passer la nuit ;
Un autre chez sa belle ira coucher sans bruit.
Maintenant, pauvre fou, si cela vous amuse,
Prostituez-leur donc l’honneur de votre muse !
Non !… mais, je le répète, et croyez mes discours,
Donnez-leur du nouveau, donnez-leur-en toujours ;
Agitez ces esprits qu’on ne peut satisfaire..,
Mais qu’est-ce qui vous prend ? est-ce extase, colère ?
LE POËTE.
Cherche un autre valet ! tu méconnais en vain
Le devoir du poëte et son emploi divin !
Comment les cœurs à lui viennent-ils se soumettre ?
Comment des éléments dispose-t-il en maître ?
N’est-ce point par l’accord, dont le charme vainqueur
Reconstruit l’univers dans le fond de son cœur ?
Tandis que la nature à ses fuseaux démêle
Tous les fils animés de sa trame éternelle ;
Quand les êtres divers, en tumulte pressés,
Poursuivent tristement les siècles commencés ;
Qui sait assujettir la matière au génie ?
Soumettre l’action aux lois de l’harmonie ?
Dans l’ordre universel, qui sait faire rentrer
L’être qui se révolte ou qui peut s’égarer ?
Qui sait, par des accents plus ardents ou plus sages,
Des passions du monde émouvoir les orages,
Ou dans des cœurs flétris par les coups du destin,
D’un jour moins agité ramener le matin ?
Qui, le long du sentier foulé par une amante,
Vient semer du printemps la parure éclatante ?
Qui peut récompenser les arts, et monnayer
Les faveurs de la gloire en feuilles de laurier ?
Qui protége les dieux ? qui soutient l’empyrée ?…
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