L’idée que les prêtres veulent nous donner de la divinité n’est autre chose que celle d’une cause universelle, et de laquelle toutes les autres sont des effets. Les imbéciles, auxquels ces imposteurs se sont adressés, ont cru qu’une telle cause existait… pouvait exister séparément des effets particuliers qu’elle produit, comme si les modalités d’un corps pouvaient être séparées de ce corps, comme si la blancheur étant une des qualités de la neige, il était possible de séparer d’elle cette qualité. Les modifications quittent-elles les corps qu’elles modifient! Eh bien! votre Dieu n’est qu’une modification de la matière perpétuellement en action par son essence: cette action que vous croyez pouvoir en séparer, cette énergie de la matière, voilà votre Dieu. Examinez maintenant, sots adorateurs d’un tel être, de quel hommage il peut être digne!
Ceux qui ne font produire à la première cause que le mouvement local des corps, et qui donnent à nos esprits la force de se déterminer, bornent étrangement cette cause et lui ôtent son universalité, pour la réduire à ce qu’il y a de plus bas dans la nature, c’est-à-dire à l’emploi de remuer la matière. Mais comme tout est lié dans la nature, que les sentiments spirituels produisent des mouvements dans les corps vivants, que les mouvements des corps excitent des sentiments dans les âmes, on ne peut avoir recours à cette supposition pour établir ou pour défendre le culte religieux. Nous ne voulons qu’en conséquence de la perception des objets qui se présentent à nous; les perceptions ne nous viennent qu’à l’occasion du mouvement excité dans nos organes: donc la cause du mouvement est celle de notre volonté. Si cette cause ignore l’effet que produira le mouvement en nous, quelle idée indigne d’un Dieu! S’il le sait, il en est complice, et il y consent; si, le sachant, il n’y consent pas, il est donc forcé de faire ce qu’il ne veut pas; il y a donc quelque chose de plus puissant que lui: donc il est contraint de suivre des lois. Comme nos volontés sont toujours suivies de quelques mouvements, Dieu est par conséquent obligé de concourir avec notre volonté: il est donc dans le bras du parricide, dans le flambeau de l’incendiaire, dans le con de la prostituée. Dieu n’y consent-il pas, le voilà moins fort que nous, le voilà contraint à nous obéir. Donc, quelque chose que l’on dise, il faut avouer qu’il n’y a point de cause universelle; ou si vous voulez absolument qu’il y en ait une, il faut que nous convenions qu’elle consent à tout ce qui nous arrive et ne veut jamais autre chose; il faut que vous avouiez encore qu’elle ne peut aimer ni haïr aucun des êtres particuliers qui émanent d’elle, parce que tous lui obéissent également, et que, d’après cela, les mots de peines, de récompenses, de lois, de défenses, d’ordre, de désordre, ne sont que des mots allégoriques, tirés de ce qui se passe parmi les hommes.
Si l’on n’est pas obligé de regarder Dieu comme un être essentiellement bon, comme un être qui aime les hommes, on peut croire qu’il a voulu les tromper. Ainsi, quand même tous les prodiges sur lesquels se fondent ceux qui prétendent connaître les lois qu’il a révélées à quelques hommes seraient véritables, comme tout nous confirme que c’est un être injuste, inhumain, nous n’avons pas d’assurance qu’il n’ait pas fait ces prodiges exprès pour nous tromper, et rien ne nous autorise à croire que l’observation la plus stricte de ses lois puisse jamais me rendre son ami. S’il ne punit pas ceux qui ont observé ces lois, leur observance devient inutile; et comme cette observance est pénible, votre Dieu, en la promulguant, s’est à la fois rendu coupable d’inutilité et de méchanceté: je vous demande dès lors si c’est là un être digne de nos hommages. Ces lois, d’ailleurs, n’ont rien de respectable: elles sont absurdes, contraires à la raison, elles répugnent au moral, affligent le physique; ceux qui les annoncent les violent à tout moment; et s’il est quelques individus dans le monde qui s’avisent d’y ajouter foi, scrutons avec soin leur esprit: nous les reconnaîtrons bientôt pour des imbéciles. Veux-je approfondir les preuves de ce fatras de mystères et de lois dictées par ce Dieu ridicule, je ne les trouve appuyées que sur des traditions confuses, incertaines, et toujours victorieusement combattues par les adversaires.
Disons-le avec vérité: de toutes les religions établies parmi les hommes, il n’en est aucune qui puisse légitimement l’emporter sur l’autre; pas une qui ne soit remplie de fables, de mensonges, de perversités, et qui n’offre à la fois les dangers les plus imminents, à côté des contradictions les plus palpables. Des fous veulent-ils établir leurs rêveries, ils appellent les miracles à leur secours: d’où il résulte que, toujours dans le même cercle, à présent c’est le miracle qui prouve la religion, tandis que tout à l’heure la religion prouvait le miracle. Encore s’il n’en était qu’une qui pût s’étayer de prodiges: mais toutes en citent, toutes en offrent.
Et le beau cygne de Léda
Vaut bien le pigeon de Marie.
Si, néanmoins, tous ces miracles étaient vrais, il résulterait nécessairement que Dieu aurait permis qu’il en fût fait pour les fausses religions comme pour les bonnes, et que, d’après cela, l’erreur ne le toucherait guère plus que la vérité. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que chaque secte est également persuadée de la réalité de ses prodiges. Si tous sont faux, on doit en conclure que des nations entières ont pu croire des prodiges supposés: donc sur le chapitre des prodiges, la persuasion vive d’une nation entière n’en prouve pas la vérité. Mais il n’y a aucun de ces faits dont on puisse autrement prouver la vérité que par la persuasion de ceux qui les croient maintenant: donc il n’y en a aucun dont la vérité soit suffisamment établie; et comme ces prodiges sont les seuls moyens par lesquels on puisse nous obliger à croire une religion, nous devons conclure qu’il n’en est aucun de prouvé, et les regarder comme l’ouvrage du fanatisme, de la fourberie, de l’imposture et de l’orgueil.
— Mais, interrompis-je ici, s’il n’y a ni Dieu, ni religion, qui gouverne donc l’univers?
— Ma chère amie, reprit Mme Delbène, l’univers est mû par sa propre force, et les lois éternelles de la nature, inhérentes à elle-même, suffisent, sans une cause première, à produire tout ce que nous voyons; le mouvement perpétuel de la matière explique tout: quel besoin de supposer un moteur à ce qui est toujours en mouvement? L’univers est un assemblage d’êtres différents qui agissent et réagissent mutuellement et successivement les uns sur les autres; je n’y découvre aucune borne, je n’y aperçois seulement qu’un passage continuel d’un état à un autre, par rapport aux êtres particuliers qui prennent successivement plusieurs formes nouvelles, mais je ne crois point une cause universelle, distinguée de lui, qui lui donne l’existence et qui produise les modifications des êtres particuliers qui le composent: j’avoue même que j’y vois absolument tout le contraire, et que je crois l’avoir démontré. Ne nous inquiétons donc nullement de mettre quelque chose à la place des chimères, et n’admettons jamais comme cause de ce que nous ne comprenons pas quelque chose que nous comprenons encore moins.
Après t’avoir démontré l’extravagance du système déifique, poursuivit cette charmante femme, je n’aurai pas grand-peine, sans doute, à détruire en toi les préjugés inculqués dès l’enfance sur le principe de notre vie. Est-il rien de plus extraordinaire en effet que la supériorité que les hommes s’arrogent sur les autres animaux? Dès qu’on leur demande ce qui fonde cette supériorité: Notre âme, répondent-ils imbécilement. Les prie-t-on d’expliquer ce qu’ils entendent par ce mot: âme? Oh! pour lors, vous les voyez balbutier, se contredire: C’est une substance inconnue, disent-ils; c’est une force secrète distinguée de leur corps; c’est un esprit dont ils n’ont nulle idée. Demandez-leur comment cet esprit, qu’ils supposent, comme leur Dieu, totalement privé d’étendue, a pu se combiner avec leur corps étendu et matériel, ils vous diront qu’ils n’en savent rien, que c’est un mystère, que cette combinaison est l’effet de la toute-puissance de Dieu. Voilà les idées nettes que l’imbécillité se forme de sa substance cachée, ou plutôt imaginaire, dont elle a fait le mobile de toutes ses actions.
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