En voilà plus qu’il ne t’en faut, Juliette, pour te convaincre, à ce que j’imagine, du néant de l’existence de Dieu et de celui du dogme de l’immortalité de l’âme. Quelle adresse dans ceux qui inventèrent ces deux monstrueux dogmes! Et que n’entreprenait-on pas sur un peuple, en se disant les ministres d’un Dieu dont la haine ou l’amour était d’un si grand intérêt pour la vie future! Quel crédit n’avait-on pas sur l’esprit de gens qui, redoutant des peines ou des récompenses futures, étaient obligés de recourir à ces fourbes, comme aux médiateurs d’un Dieu, seuls capables d’éviter les unes et de valoir les autres! Toutes ces fables ne sont donc que le fruit de l’ambition, de l’orgueil et de la démence de quelques individus, nourries par l’absurdité de quelques autres, mais qui ne sont faites que pour nos mépris… que pour être éteintes… absorbées dans nous, au point de ne jamais reparaître. Oh! combien je t’exhorte, ma chère Juliette, à les détester comme moi! Ces systèmes, dit-on, mènent à la dégradation des mœurs. Eh! mais les mœurs sont-elles donc plus importantes que les religions? Absolument soumises au degré de latitude d’un pays, elles n’ont et ne peuvent avoir rien que d’arbitraire. Rien ne nous est défendu par la nature: les lois seules se sont crues autorisées d’imposer de certaines bornes au peuple, relatives à la température de l’air, à la richesse ou à la pauvreté du climat, à l’espèce d’hommes qu’elles maîtrisent. Mais ces freins, purement populaires, n’ont rien de sacré, rien de légitime aux yeux de la philosophie, dont le flambeau dissipe toutes les erreurs, ne laisse exister dans l’homme sage que les seules inspirations de la nature. Or, rien n’est plus immoral que la nature: jamais elle ne nous imposa de freins; elle ne nous dicta jamais de lois. Ô Juliette! tu vas me trouver bien tranchante, bien ennemie de toutes les chaînes; mais je vais jusqu’à repousser sévèrement cette obligation aussi enfantine qu’absurde, qui nous enjoint de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait. C’est précisément tout le contraire que la nature nous conseille, puisque son seul précepte est de nous délecter, n’importe aux dépens de qui. Sans doute, il peut arriver, d’après ces maximes, que nos plaisirs troubleront la félicité des autres: en seront-ils moins vifs pour cela? Cette prétendue loi de la nature, à laquelle les sots veulent nous astreindre, est donc aussi chimérique que celles des hommes, et nous savons, en foulant aux pieds les unes et les autres, nous persuader intimement qu’il n’est de mal à rien. Mais nous reviendrons sur tous ces objets, et je me flatte de te convaincre en morale comme je crois t’avoir persuadée en religion. Mettons maintenant nos principes en pratique, et après t’avoir démontré que tu peux tout faire sans crime, commettons tant soit peu de crimes, pour nous convaincre que l’on peut faire tout.
Électrisée par ces discours, je me jette dans les bras de mon amie; je lui rends mille et mille grâces des soins qu’elle veut bien prendre de mon éducation.
— Je te devrai bien plus que la vie, ma chère Delbène! m’écriai-je; qu’est-ce que l’existence sans la philosophie? Est-ce la peine de vivre quand on languit sous le joug du mensonge et de la stupidité? Va, poursuivis-je avec chaleur, je me sens digne de toi maintenant, et c’est sur ton sein que je fais le serment sacré de ne jamais revenir aux chimères que ta tendre amitié vient de détruire en moi! Continue de m’instruire, de diriger mes pas vers le bonheur; je me livre à tes conseils; tu ferais de moi ce que tu voudras, bien sûre que tu n’auras jamais eu d’écolière ni plus ardente, ni plus soumise que Juliette.
La Delbène était dans l’ivresse: il n’est point, pour un esprit libertin, de plaisir plus vif que celui de faire des prosélytes. On jouit des principes qu’on inculque; mille sentiments divers sont flattés, en voyant les autres se gangrener à la corruption qui nous mine. Ah! comme on chérit cette influence obtenue sur leur âme, unique ouvrage de nos conseils et de nos séductions! Delbène me rendit tous les baisers dont je l’accablais; elle me dit que j’allais devenir une fille perdue, comme elle, une fille sans mœurs, une athée, et qu’unique cause de mon désordre, elle aurait à répondre devant Dieu de l’âme qu’elle lui enlevait. Et ses caresses devenant plus ardentes, nous allumâmes bientôt le feu des passions au flambeau de la philosophie.
— Tiens, me dit Delbène, puisque tu veux être dépucelée, je vais te satisfaire à l’instant.
Ivre de luxure, la friponne s’arme aussitôt d’un godemiché; elle me branle pour endormir en moi la douleur qu’elle va, dit-elle, me causer, et me porte ensuite des coups si terribles, que mon pucelage disparut au second bond. On ne se peint point ce que je souffris; mais, aux douleurs cuisantes de cette terrible opération, succédèrent bientôt les plus doux plaisirs. Delbène, que rien n’épuisait, était loin de se fatiguer; me limant à tour de reins, sa langue enfoncée dans ma bouche, et de ses mains chatouillant mon derrière, il y avait une heure que je déchargeais dans ses bras, lorsqu’à la fin je lui demandai grâce.
— Rends-moi tout ce que je viens de te faire, me dit-elle aussitôt… Je suis dévorée de luxure, je n’ai pas joui, moi, pendant que je te foutais; je veux décharger à mon tour.
De maîtresse chérie je devins bientôt l’amant le plus passionné: j’enconne Delbène, je la lime. Dieu! quel égarement! Nulle femme n’était aussi aimable, aucune n’était emportée comme elle dans le plaisir; dix fois de suite la friponne se pâma dans mes bras, je crus qu’elle se distillerait en foutre.
— Ô ma bonne, lui dis-je, n’est-il pas vrai que plus l’on a d’esprit et mieux l’on goûte les douceurs de la volupté?
— Assurément, me répondit Delbène, et la raison de cela
est bien simple: la volupté n’admet aucune chaîne, eue ne jouit jamais mieux que quand elle les rompt toutes; or, plus un être a d’esprit, plus il brise de freins: donc l’homme d’esprit sera toujours plus propre qu’un autre aux plaisirs du libertinage.
— Je crois que l’extrême finesse des organes y contribue beaucoup aussi, répondis-je.
— Cela n’est pas douteux, dit Mme Delbène: plus la glace est polie, mieux elle reçoit, et mieux elle réfléchit les objets qui lui sont présentés.
Enfin, épuisées toutes deux, je rappelai à mon institutrice la promesse qu’elle m’avait faite de dépuceler Laurette.
— Je ne l’ai point oubliée, me répondit Mme Delbène, c’est pour cette nuit. Dès que l’on sera remonté dans les dortoirs, tu t’échapperas, Volmar et Flavie en feront autant. Ne t’inquiète pas du reste; te voilà maintenant initiée dans nos mystères: sois ferme, sois courageuse, Juliette, et je te ferai voir d’étonnantes choses.
Je quittai mon amie pour reparaître dans la maison; mais jugez quelle fut ma surprise lorsque j’entendis raconter qu’une pensionnaire venait de se sauver du couvent; je demande aussitôt son nom: c’est Laurette.
— Laurette! m’écriai-je; puis à part: Ô Dieu! elle sur qui je comptais; elle qui m’avait si bien échauffé la tête!… Perfides désirs, vous aurai-je donc conçus vainement?
Je demande des détails, personne ne peut m’en donner; je vole chez Delbène pour l’instruire, sa porte est fermée, il m’est impossible de la joindre avant l’heure qu’elle m’a indiquée. Qu’elle me parut longue, cette heure! Elle sonne enfin; Volmar et Flavie m’avaient devancée; elles étaient déjà chez Delbène[3].
— Eh bien, dis-je à la supérieure, comment me tiendras-tu la parole que tu m’as donnée? Laurette n’est plus ici: par qui la remplacer maintenant?
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