Eugène Sue - Les Mystères De Paris Tome III

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Voici un roman mythique, presque à l'égal du Comte de Monte-Cristo ou des Trois mousquetaires, un grand roman d'aventures, foisonnant, qui nous décrit un Paris mystérieux et inconnu, dévoilé dans ses recoins les plus secrets, un Paris exotique où les apaches de Paris remplacent ceux de l'Amérique.
Errant dans les rues sombres et dangereuses de la Cité, déguisé en ouvrier, le prince Rodolphe de Gérolstein sauve une jeune prostituée, Fleur-de-Marie, dite la Goualeuse, des brutalités d'un ouvrier, le Chourineur. Sans rancune contre son vainqueur, le Chourineur entraîne Rodolphe et Fleur-de-Marie dans un tripot, Au Lapin Blanc. Là, le Chourineur et Fleur-de-Marie content leur triste histoire à Rodolphe. Tous deux, livrés dès l'enfance à l'abandon et à la misère la plus atroce, malgré de bons instincts, sont tombés dans la dégradation: le meurtre pour le Chourineur, dans un moment de violence incontrôlée, la prostitution pour Fleur-de-Marie. Rodolphe se fait leur protecteur et entreprend de les régénérer en les arrachant à l'enfer du vice et de la misère où ils sont plongés…

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– Elle vous a dit devant moi que c’était une folie…

– J’en ai tant fait dans ma vie!

– Des folies élégantes et charmantes, à la bonne heure, comme qui dirait de vous ruiner par vos magnificences de Sardanapale, j’admets ça; mais aller vous enterrer dans un trou de cour pareil… à Gerolstein! Voyez donc la belle poussée… Ça n’est pas une folie, c’est une bêtise, et vous avez trop d’esprit pour en faire… des bêtises.

– Prenez garde, mon cher Lucenay; en médisant de cette cour allemande, vous allez-vous faire une querelle avec d’Harville, l’ami intime du grand-duc régnant, qui, du reste, m’a l’autre jour accueilli avec la meilleure grâce du monde à l’ambassade de ***, où je lui ai été présenté.

– Vraiment! mon cher Henri, dit M. d’Harville, si vous connaissiez le grand-duc comme je le connais, vous comprendriez que Saint-Remy n’ait aucune répugnance à aller passer quelque temps à Gerolstein.

– Je vous crois, marquis, quoiqu’on le dise fièrement original, votre grand-duc; mais ça n’empêche pas qu’un beau comme Saint-Remy, la fine fleur de la fleur des pois, ne peut vivre qu’à Paris… il n’est en toute valeur qu’à Paris.

Les autres convives de M. d’Harville venaient d’arriver, lorsque Joseph entra et dit quelques mots tout bas à son maître.

– Messieurs, vous permettez?… dit le marquis. C’est le joaillier de ma femme qui m’apporte des diamants à choisir pour elle… une surprise. Vous connaissez cela, Lucenay, nous sommes des maris de la vieille roche, nous autres…

– Ah! pardieu, s’il s’agit de surprise, s’écria le duc, ma femme m’en a fait une hier… et une fameuse encore!!!

– Quelque cadeau splendide?

– Elle m’a demandé… cent mille francs…

– Et comme vous êtes magnifique… vous les lui avez…

– Prêtés!… Ils seront hypothéqués sur sa terre d’Arnouville… Les bons comptes font les bons amis… Mais c’est égal… prêter en deux heures cent mille francs à quelqu’un qui en a besoin, c’est gentil et c’est rare… n’est-ce pas, dissipateur, vous qui êtes très-connaisseur en emprunts?… dit en riant le duc à M. de Saint-Remy, sans se douter de la portée de ses paroles.

Malgré son audace, le vicomte rougit d’abord légèrement un peu, puis il reprit effrontément:

– Cent mille francs! mais c’est énorme… Comment une femme peut-elle jamais avoir besoin de cent mille francs?… Nous autres hommes, à la bonne heure.

– Ma foi, je ne sais pas ce qu’elle veut faire de cette somme-là… ma femme. D’ailleurs ça m’est égal. Des arriérés de toilette probablement… des fournisseurs impatientés et exigeants; ça la regarde… et puis vous sentez bien, mon cher Saint-Remy, que, lui prêtant mon argent, il eût été du plus mauvais goût à moi de lui en demander l’emploi.

– C’est pourtant presque toujours une curiosité particulière à ceux qui prêtent de savoir ce qu’on veut faire de l’argent qu’on leur emprunte…, dit le vicomte en riant.

– Parbleu! Saint-Remy, dit M. d’Harville, vous qui avez un si excellent goût, vous allez m’aider à choisir la parure que je destine à ma femme; votre approbation consacrera mon choix, vos arrêts sont souverains en fait de modes…

Le joaillier entra, portant plusieurs écrins dans un grand sac de peau.

– Tiens, c’est M. Baudoin! dit M. de Lucenay.

– À vous rendre mes devoirs, monsieur le duc.

– Je suis sûr que c’est vous qui ruinez ma femme avec vos tentations infernales et éblouissantes? dit M. de Lucenay.

– M mela duchesse s’est contentée de faire seulement remonter ses diamants cet hiver, dit le joaillier avec un léger embarras. Et justement, en venant chez M. le marquis, je les ai portés à M me la duchesse.

M. de Saint-Remy savait que M mede Lucenay, pour venir à son aide, avait changé ses pierreries pour des diamants faux; il fut désagréablement frappé de cette rencontre… mais il reprit audacieusement:

– Ces maris sont-ils curieux! ne répondez donc pas, monsieur Baudoin.

– Curieux! ma foi, non, dit le duc; c’est ma femme qui paye… elle peut se passer toutes ses fantaisies… elle est plus riche que moi…

Pendant cet entretien, M. Baudoin avait étalé sur un bureau plusieurs admirables colliers de rubis et de diamants.

– Quel éclat!… et que ces pierres sont divinement taillées! dit lord Douglas.

– Hélas! monsieur, répondit le joaillier, j’employais à ce travail un des meilleurs lapidaires de Paris; le malheur veut qu’il soit devenu fou, et jamais je ne retrouverai un ouvrier pareil. Ma courtière en pierreries m’a dit que c’est probablement la misère qui lui a fait perdre la tête, à ce pauvre homme.

– La misère!… Et vous confiez des diamants à des gens dans la misère!

– Certainement, monsieur, et il est sans exemple qu’un lapidaire ait jamais rien détourné, quoique ce soit un rude et pauvre état que le leur.

– Combien ce collier? demanda M. d’Harville.

– Monsieur le marquis remarquera que les pierres sont d’une eau et d’une coupe magnifiques, presque toutes de la même grosseur.

– Voici des précautions oratoires des plus menaçantes pour votre bourse, dit M. de Saint-Remy en riant; attendez-vous, mon cher d’Harville, à quelque prix exorbitant.

– Voyons, monsieur Baudoin, en conscience, votre dernier mot? dit M. d’Harville.

– Je ne voudrais pas faire marchander monsieur le marquis… Le dernier prix sera de quarante-deux mille francs.

– Messieurs! s’écria M. de Lucenay, admirons d’Harville en silence, nous autres maris… Ménager à sa femme une surprise de quarante-deux mille francs!… Diable! n’allons pas ébruiter cela, ce serait d’un exemple détestable.

– Riez tant qu’il vous plaira, messieurs, dit gaiement le marquis. Je suis amoureux de ma femme, je ne m’en cache pas; je le dis, je m’en vante!

– On le voit bien, reprit M. de Saint-Remy; un tel cadeau en dit plus que toutes les protestations du monde.

– Je prends donc ce collier, dit M. d’Harville, si toutefois cette monture d’émail noir vous semble de bon goût, Saint-Remy.

– Elle fait encore valoir l’éclat des pierreries; elle est disposée à merveille!

– Je me décide pour ce collier, dit M. d’Harville. Vous aurez, monsieur Baudoin, à compter avec M. Doublet, mon homme d’affaires.

– M. Doublet m’a prévenu, monsieur le marquis, dit le joaillier, et il sortit après avoir remis dans son sac, sans les compter (tant sa confiance était grande), les diverses pierreries qu’il avait apportées, et que M. de Saint-Remy avait longtemps et curieusement maniées et examinées durant cet entretien.

M. d’Harville, donnant le collier à Joseph qui avait attendu ses ordres, lui dit tout bas:

– Il faut que M lleJuliette mette adroitement ces diamants avec ceux de sa maîtresse, sans que celle-ci s’en doute, pour que la surprise soit plus complète.

À ce moment, le maître d’hôtel annonça que le déjeuner était servi; les convives du marquis passèrent dans la salle à manger et s’attablèrent.

– Savez-vous, mon cher d’Harville, dit M. de Lucenay, que cette maison est une des plus élégantes et des mieux distribuées de Paris?

– Elle est assez commode, en effet, mais elle manque d’espace… mon projet est de faire ajouter une galerie sur le jardin. M med’Harville désire donner quelques grands bals, et nos salons ne suffiraient pas. Puis je trouve qu’il n’y a rien de plus incommode que les empiétements des fêtes sur les appartements que l’on occupe habituellement, et dont elles vous exilent de temps à autre.

– Je suis de l’avis de d’Harville, dit M. de Saint-Remy; rien de plus mesquin, de plus bourgeois que ces déménagements forcés par autorité de bals ou de concerts… Pour donner des fêtes vraiment belles sans se gêner, il faut leur consacrer un emplacement particulier; et puis de vastes éblouissantes salles, destinées à un bal splendide, doivent avoir un tout autre caractère que celui des salons ordinaires: il y a entre ces deux espèces d’appartements la même différence qu’entre la peinture à fresque monumentale et les tableaux de chevalet.

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