Le sex-appeal, c’est le charme qui émane des personnes désirables. Ce mot anglais fit mode dans l’entre-deux-guerres, après le passage des premières troupes américaines qui avait contribué à le répandre ; cette notion d’attirance qui pouvait s’appliquer aussi aux hommes mettait au rancart la vieille expression « avoir du chien » qui ne se disait que des femmes. Le sex-appeal faisait plus neuf, plus franc, plus dynamique, autorisant un désir moins retors, plus ouvert que les fièvres louches chargées du péché des vieilles lunes ; reste que le succès du mot se fondait sans doute sur un curieux calembour phonétique chez des usagers dont la plupart ignoraient tout de l’anglais, et entendaient naïvement « sexe-à-pile. »
« Pour mieux mettre ses jambes en valeur, elle avait gardé ses bas. Des bas bien tirés par un porte-jarretelles de dentelle noire. Sous son bas gauche, elle portait une chaînette d’or à la cheville. Ça faisait plus gousse. Et pas de danger non plus qu’elle enlève ses escarpins. Elle s’en moquait bien de salir le divan. Avant tout, avoir du sex-appeal ! Quelle salope elle était ! » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
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Avoir le coup de foudre
La foudre a frappé les imaginations depuis les temps les plus reculés. Le coup de foudre était connu au XVII e siècle, mais pas encore comme le témoignage d’une « passion violente et soudaine » ; il traduisait alors la stupeur d’un événement inattendu, généralement catastrophique. Furetière commente ainsi ce coup-là en 1690 : « Quand ce favory apprit la nouvelle de sa disgrâce, ce fut un coup de massue qui l’estourdit tout à fait, ce fut un coup de foudre qui l’abattit. »
Ce sens dura tout au long du XVIII e siècle, et bien au-delà, toujours lié à l’annonce d’une nouvelle étonnante ; en 1925 encore, Blaise Cendrars écrivait : « Il éclate de rire à la pensée de la niche qu’il va jouer au courrier officiel en arrivant avant lui à Washington et en apportant lui-même la grande nouvelle ! Dieu, quel coup de foudre ! » (B. Cendrars, L’or, 1925.)
Cependant la métaphore s’est appliquée de bonne heure à un « amour à première vue », traduisant la stupéfaction ravissante d’une passion prise au premier regard sur la personne aimée. Cette acception amoureuse, popularisée par le XIX e siècle, est entrée dans la langue plus tôt que ne le disent les dictionnaires — celui de l’Académie la relève pour la première fois en 1798. Voici ce qui constitue à ma connaissance la première attestation de ces foudroyantes atteintes, et que j’ai glanée dans une œuvre peu connue du rare comte de Caylus, publiée au milieu du XVIII e siècle : « Veuve de très bonne heure, elle goûtait à vingt ans avec une parfaite indolence les tristes agrémens d’une liberté dont elle ne sentait pas le prix ; un de ces coups de foudre, rares à la vérité, mais que l’amour lance de tems-en-tems pour prouver qu’il porte aussi son tonnerre, causa dans son esprit, dans son cœur, dans son caractère, un changement qui échappa aux yeux même de celui qui l’avoit causé. » (Caylus, Les Manteaux, 1746.)
Il est plaisant de fournir à l’appui de ces « coups de cœur » une citation qui vient deux cents ans, date pour date, après l’ancêtre : « Tout de même, si on lui avait dit, ce matin, qu’il s’embarquerait ce soir dans une histoire semblable ! On habite pendant des mois dans la même maison. On n’y pense jamais. On s’ignore. Et tout d’un coup, c’est le coup de foudre. L’amour était une chose bien bizarre. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
En pincer pour quelqu’un
Le pincement délicat que le sentiment amoureux produit dans la poitrine, entre autres choses, a toujours été remarqué : « Philis que l’amour toujours pince, / Par un désir parfait et beau… » sont des octosyllabes du Cabinet Satyrique, de 1618. Pourtant en pincer pour une chose, en être entiché, ou pour une personne, en être épris, n’est venu dans l’usage du parler populaire parisien que vers la fin du XIX e siècle, et semble s’être employé d’abord aussi bien pour des entités, des objets, ou des symboles : « Socialos et anarchos ne barguignent pas : ils défendent la république actuelle » — écrit Le Père Peinard en octobre 1898. « Non pas qu’ils en pincent pour ses beaux yeux, mais parce qu’ils considèrent qu’il est indispensable de lui passer sur le ventre pour aller à la Sociale. »
Le mot était à la mode en 1900 ; dans le № 1 de l’Escarmouche, daté du 22 avril, on le trouve deux fois à la même page sous des signatures différentes :
« Si t’en pinc’ pour le drapeau
Donn’ ta viande »
chante Piouitt — « Toi, t’en pinces pour le panache, la grosse caisse, le règlement… », écrit Duchemin. Toujours dans le monde anarchisant de l’époque, le voici dans un roman de Darien : « Pour le moment je me contente de jouer au petit ménage, avec celle-ci ou avec celle-là ; on en pince pour la culotte, à Paris » (i.e. la culotte de peau des troupiers). (G. Darien, L’Épaulette, 1900.)
À cause de cette ambiance de gaieté générale il me semble que l’expression a pu se forger à partir de locutions courantes à l’époque, telles que « pincer un rigodon, pincer la guitare, ou pincer la chansonnette » (1866) — de même que les « poèt’s pinc’nt leur lyre » au printemps de Jehan Rictus. À l’origine en pincer a dû être senti comme « chanter la gloire, ou les louanges », voire jouer un air, ou exécuter des pas de danse en forme de salutation enthousiaste. Le sentiment d’amour diffus, greffé sur le pincement typique du plexus, paraît avoir suivi très vite, au sens d’inclination plus ou moins avouée, plus ou moins secrète, dans lequel l’expression s’est popularisée. Ainsi sous la plume ruralisante de Gaston Couté :
« Ah ! Ah !… Tiens, mais comme je vois, ça fait mine de marcher les amours. Le gâs en pince pour not’ fille, y a pas de doute, et dam’ ! not’ fille…
— M’étonnerait pas qu’alle en pince itou pour le gâs ! » (G. Couté, La chanson d’un gâs qui a mal tourné, 1910.)
Cette façon d’aimer a été l’apanage des milieux populaires pendant tout le siècle : « C’était la faute à Totoche tout ce qui était arrivé. Totoche, pourquoi s’était-elle jetée à sa tête ? Pourquoi avait-il pris feu, lui aussi ? Pas de cuisses, pas de bras, pas même de nichons. Et pourtant, il en pinçait bougrement pour elle. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.) De nos jours en pincer peut s’employer absolument, comme dans cette petite histoire de basse banlieue : « Quand Chopard a tringlé la gonzesse à Dédé Briffaut, elle était d’accord. Il l’a eue au charme. C’est d’ailleurs ce qui les fait chier. Elle est retournée dans leur camp par force. Elle y reste par trouille. Mais Chopard reçoit des bafouilles où elle dit qu’elle en pince. » (Berroyer, J’ai beaucoup souffert, 1981.)
Taper dans l’œil
Le XVII e siècle connaissait donner dans la vue au sens de « plaire » et aussi donner dans la visière :
« plust à Dieu qu’elle fût à disputer entre luy et moy à la pointe de l’épée.
— Elle vous a donc bien donné dans la veüe. » ( Les Ramoneurs, 1624.)
« Ce jeune homme est amoureux de cette fille, elle lui a donné dans la visière. » (Furetière, 1690.)
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