Le guilledou a fait, comme on dit, couler beaucoup d’encre. On y a vu des choses un peu extravagantes, le terme venant pour M. Rat d’un certain kveldulr, un « loup du soir » Scandinave ; selon lui il s’agirait de « courir à la rencontre du loup-garou à l’heure où la nuit tombe. »
Pour Furetière, à la fin du XVII e siècle, le guilledou est un « terme burlesque dont on se sert pour exprimer la débauche des personnes. On dit qu’une femme court le guilledou lorsqu’elle se dérobe à son domestique [entendez sa “maison”] & qu’on ne sçait où elle va ; ce qui fait présumer que c’est dans de mauvais lieux. Ménage croit — continue Furetière — que le mot vient de gildonia, qui était une espèce d’ancienne confrérie qui a lieu encore en quelques endroits d’Allemagne, où on faisait quelques festins et réjouissances : & comme ces assemblées étaient licencieuses, ou pouvaient servir à d’autres débauches on a appelé les débauchés des coureurs de guilledou. » — Décidément ces messieurs voyaient des partouzes partout !
Je croirais plutôt avec Bloch & Wartburg que le mot est « sans doute composé de l’ancien verbe guiller, “tromper, attraper” et de l’adjectif doux dans son acception morale. » Cela d’autant plus volontiers que la guille, la ruse, était un terme très courant dans l’ancienne langue, où il est de surcroît souvent associé à l’amour !
… Vous veut requerre
que ne mainteniez plus guerre
vers le chaitif qui languit là,
qui d’amour onques ne guilla
(qui ne trompa jamais personne avec des paroles amoureuses), dit le Roman de la Rose ; et dans les Chansons satyriques de la même époque :
Cils qui veulent aimer
Par amour, sans guiller,
Sans nulle vilainie,
Doivent souvent aller
Au jeu pour quaroler [7] Danser.
Pour voir qui leur sied.
Le mot est formé comme guillemin, c’est-à-dire « trompe la main », ce jeu bête et méchant, très en vogue au XV e siècle, qui consistait à faire saisir par un joueur aux yeux bandés un bâton enduit de merde ! Rabelais l’appelle « Guillemin, baille ma lance » …
Le guilledou est-il une caresse, la ruse en douceur, le trompe la belle qui veut bien, dans les soirs palpitants et les herbes folles ?… C’est fort probable. Cependant, selon une enquête récente, le verbe guiller semble avoir eu dans certaines régions une acception plus précise. Ainsi dans le sud-est du Poitou il signifie : « introduire dans un petit orifice. Se glisser dans un passage étroit. » Pour cette raison le lézard vert s’appelle « guillenvert » — « il se guille dans les buissons [8] L. et J. Blondeau, Un parlement du Poitou, 1977.
. »
C’est là un éclairage neuf et particulièrement vif qui se passe de commentaires.
Courir la prétentaine
Dans la même idée générale, courir la prétentaine (ou prétantaine) a un sens plus anecdotique et moins leste que le précédent. Le mot signifiait seulement au XVII e siècle « aller deçà et delà », aller et venir sans sujet particulier. C’est ainsi que l’emploie Scarron, s’adressant à ses propres vers qu’il appelait des « vermisseaux » :
Petits enfants ecervelez
Sçavez vous bien où vous allez ?
Vostre entreprise est bien hautaine,
D’aller courir la prétentaine.
A peine estes vous avortez
Et desja dehors vous sortez,
Et desja vous courez les rues.
Ce n’est qu’au XVIII e siècle que le Dictionnaire de Trévoux relève une possible intention galante : « On dit qu’une femme court la prétantaine ; pour dire qu’elle fait des promenades, des voyages contre la bienséance, ou dans un esprit de libertinage » (1771).
Dans le même temps, en 1773, l’auteur des Porcherons l’associe aux affaires de cœur :
Un’n fill met rudement dans la peine,
Quand son cœur court la prétentaine ;
Drès qu’al fait comm le parpillon
Al vous met l’ame au court bouillon.
Selon Bloch & Wartburg le mot est à rapprocher du normand pertintaille, ou prétintaille, « collier de cheval garni de grelots. » La terminaison serait venue par évocation des refrains de chansons du type « tonton-ton-taine », etc. C’est vrai que flâner « deçà et delà » donne souvent du cœur à la chansonnette…
Faire des fredaines
« Les fredaines qu’on fait ensemble rendent camarades », disait M me de Genlis au XVIII e siècle. C’est sûrement vrai, et pas très méchant. Les fredaines sont des « écarts de conduite par folie de jeunesse, de tempérament ou autrement », précise Littré.
Gardez-vous d’imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines
conseillait prudemment Arnolphe de L’École des femmes.
Ce vieux mot représente le féminin de l’adjectif fredain qui signifiait « mauvais. » Selon Bloch & Wartburg il se rattache à un groupe de termes d’ancien provençal désignant un scélérat, avec pour origine lointaine celui « qui a renié le serment prêté. »
Être un chaud de la pince
C’est être, pour un homme, d’une humeur ardente aux plaisirs — comme dit Delvau, « un bon fouteur. » L’expression était courante au XIX e siècle, ainsi dans cette chanson de Festeau (1867) :
C’’était un chaud, de la pince
Qui peuplait dans chaqu’ province
L’hospice des enfants trouvés.
Elle pourrait provenir d’un croisement burlesque entre « chaud de la pointe », fort compréhensible, et le « chaud lapin » dont nous avons l’habitude, si ce dernier, malheureusement, ne semblait être venu plus tardivement dans l’usage… Les dates tendraient à faire penser que c’est le « chaud lapin » qui s’est créé par glissement à partir de l’original chaud de la pince, et du « lapin » tout court dont on désignait un « rude gaillard » au siècle dernier. Un jeu de mots sur chaud de la pine — vieux mot séculaire pour le pénis — serait plus satisfaisant, au moins pour l’esprit.
L’expression est demeurée relativement vivante ; elle était fort en usage jusqu’aux années 50 : « Lui, si guindé dans le service ! C’était un Alsacien au teint vif, aux cheveux blonds, avec quelque chose de fripé dans toute sa petite personne. Ce qui ne l’empêchait pas d’être aussi chaud de la pince que Pacot. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
Être porté sur la question
C’est là une variante d’être « porté sur la chose », c’est-à-dire aux plaisirs de l’amour, comme depuis longtemps on a pu être « porté sur sa bouche » ou « sur sa gueule. » La « question » est donc un euphémisme de teinte plus intellectuelle dans un parler populaire qui singe les manies des gens instruits. Cette façon de dire ne semble pas avoir plus d’un demi-siècle d’existence.
« Je peux vous dire que Nicole, sur la question elle était portée pas qu’un peu. Oh là là, ces râles infinis ! Plus de « mon cœur », une fois au page… Mon machin en salut nazi, sans défaillance, je m’attaquais à des records de durée. » (A. Boudard, La Cerise, 1963.)
Avoir du sex-appeal
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