L’écrivain demanda la recette de ce régal.
— C’est du bœuf, répondit la cuisinière.
— Mais on doit donner un nom à une telle merveille.
— C’est du bœuf, se contenta de répéter madame Yvon.
Pour la petite histoire ce mets est désormais le bœuf à l’ancienne de Colette.
BOUDIN RICHELIEU. Ce boudin est dû au gourmet maréchal de Richelieu, les ingrédients en sont les plus variés et les plus surprenants pour le néophyte : farine, œufs, lait, mais aussi truffes, brochet, graisse de bœuf ; le tout nappé d’une sauce Nantua riche en queues d’écrevisses.
CHATEAUBRIAND. François René, vicomte de Chateaubriand, est le célèbre écrivain et homme politique (1768–1848) que chacun connaît. Il a voyagé en Amérique, a été soldat, secrétaire d’ambassade, ministre, ambassadeur et son œuvre — trente-six volumes — va des Natchez au Génie du christianisme et de René à Mémoires d’outre-tombe .
Est-ce d’un de ses voyages qu’il a rapporté une habitude alimentaire, reprise et développée par son cuisinier, un nommé Montmireil ?
Toujours est-il qu’il appréciait particulièrement un carré de filet de bœuf rôti, saignant et accompagné de pommes de terre soufflées, comme celui que Montmireil lui aurait préparé, un jour de 1822, alors que Chateaubriand était ambassadeur à Londres.
C’est après sa mort — vers 1868 — que l’on baptisa du terme de chateaubriand un morceau de filet de bœuf grillé entre deux autres morceaux de la même viande, servi avec pommes soufflées et cresson.
Mais la paternité semble incertaine : ne dit-on pas qu’un chateaubriand s’appelle ainsi tout simplement parce que dans la ville de ce nom — située en Loire-Atlantique — se trouvait un marché réputé par son élevage de bœuf ? Les négociants se seraient volontiers servis de la viande de leur production pour en montrer toute la qualité.
FAISAN. C’est le fleuve Phase (aujourd’hui appelé Rion, il se jette dans la mer Noire et coule en Géorgie) qui, jadis, séparait la Colchide de l’Arménie.
Lorsque Jason — ce héros grec, fils d’Aeson, roi d’Iolcos en Thessalie, qui devait épouser Médée — et les Argonautes partirent à la conquête de la Toison d’Or, c’est en Colchide qu’ils débarquèrent, sur la Phase.
Or, sur les bords de la rivière, se trouvait un fort bel oiseau (de la famille des gallinacés) que les héros grecs eurent vite fait de baptiser du nom de Phasianos ornis , c’est-à-dire d’oiseau ou de poule de Phase.
Le phasianos omis devint plus tard le merveilleux faisan, qu’il soit commun ou vénéré, selon les espèces ; le nom, cité en 1172, devint usuel en 1694.
FILETS D’AGNEAU À LA CONDÉ. Le plus illustré membre de la famille Condé est Louis II, prince de Condé (1621–1686), surnommé le Grand, vainqueur à Rocroi et chef de la Fronde des Princes. Ses cuisiniers l’honorèrent par une recette de filets d’agneau.
Couper les filets d’agneau en tranches épaisses, piquer de truffes, de cornichons et d’anchois, faire macérer dans une marinade d’huile d’olive, de beurre et de citron. Hacher champignons, ciboulette, câpres, basilic, œufs durs et chapelure ; enrober les filets de cette mixture et entourer de crépine ; passer le tout à la broche et paner aux trois quarts de la cuisson.
Du grand art culinaire !
GIBRALTAR. Au sud de l’Espagne, se trouve la ville de Gibraltar et son fameux détroit ; les montagnes qui l’encadrent avaient reçu des Anciens le nom de colonnes d’Hercule, et des Arabes celui de Djebel-el-Tarik. C’est une corruption de ce mot qui a fini par donner celui de Gibraltar.
L’histoire de ce lieu est chargée, depuis Tarik, roi des Arabes qui arriva en 711, jusqu’à la domination espagnole à partir de 1501 et l’arrivée des Anglais en 1704.
Ce jalon sur les routes maritimes du globe devait donner son nom à une spécialité ; c’est ce qui s’est produit, vers 1825, puisque Brillat-Savarin parle de ce gros pâté — cela peut aussi bien être du foie gras ! — dont la forme rappelle le fameux rocher de Gibraltar.
HACHIS PARMENTIER. Antoine Augustin Parmentier vit le jour à Montdidier, en 1737, et entra dans l’armée où il devint aide-apothicaire. Durant l’expédition de Hanovre, au cours de la guerre de Sept Ans, il fut fait prisonnier et, lors de sa captivité, se nourrit de pommes de terre, inconnues en France à cette période.
À son retour, il fut nommé pharmacien des Invalides ; plus tard, l’Académie de Besançon fonda un prix pour promouvoir des produits de remplacement de l’alimentation humaine : Parmentier proposa la pomme de terre.
En 1785, la famine frappa la population et Louis XVI accorda à Parmentier la faculté de planter cinquante arpents, dans la plaine des Sablons, à Neuilly. La culture du tubercule, de la pomme de terre, en un mot de la parmentière connaissait le succès. Il ne devait plus se démentir. Toutefois, le nom de l’invention devait revenir à l’homme qui devint apothicaire-major, inspecteur général de la Santé, membre de l’Institut et qui écrivit au total plus de quatre-vingt-dix ouvrages traitant de la conservation du lait, du vin et de la vaccination antivariolique !
L’adjectif parmentier réapparut en 1930 dans les livres de cuisine pour désigner les préparations faisant intervenir la pomme de terre : hachis, potage, poulet, miroton…
À noter : entre juillet et septembre 1944, dans les décombres de la ville de Saint-Lô ravagée par les bombardements, les responsables chargés du déblaiement et de la reconstruction s’éclairaient au moyen de pommes de terre creusées dans lesquelles brûlait une mèche trempée de beurre normand, appelées « parmentières ».
NAVARIN. Le 20 octobre 1827, la flotte turque fut totalement détruite par les forces navales anglaises, françaises, russes, dans un combat qui fut le premier épisode de l’intervention de l’Europe en faveur de l’indépendance de la Grèce.
Le lieu s’appelait Navarin, dans une baie du Péloponnèse. Par une déformation burlesque, vers 1856, du mot navet, on aurait commencé d’appeler navarin le ragoût de mouton aux navets : le nom se fixa en 1867.
PERDREAUX DE LA BELLE OTERO. Caroline Puentovalga, plus connue sous le nom de la Belle Otero (1868–1965), fut l’une des femmes les plus adulées de la Belle Époque. Si elle mourut ruinée par le jeu, elle avait brillamment vécu.
Un cuisinier lui avait dédié une recette de perdreaux, imaginée par Curnonsky : chaque perdreau est bardé et enveloppé d’une feuille de vigne. Au fond d’une casserole, on mignote un petit bain de beurre, d’huile, d’ail et de champignons de Paris au bordeaux ou au vin blanc cassis et l’on réduit. On ajoute les perdreaux ainsi que des truffes en dés et un peu d’ail.
POULET JOSÉPHINE. Les recettes de poulet furent nombreuses sous l’Empire : poulet à la Duroc, poularde à l’Albuféra, poulet Masséna.
Majesté oblige le poulet Joséphine est flambé à la fine Champagne.
POULET MARENGO. C’est la campagne d’Italie. Bonaparte, renouvelant l’exploit d’Annibal, franchit les Alpes au Saint-Bernard en mai 1800, atteint Milan. Malheureusement, Masséna capitule à Gênes. Le 14 juin, pour effacer ce revers, le premier consul envoie ses troupes en avant, dans la banlieue d’Alexandrie, entre Mêlas et Marengo. La situation est difficile ; on croit la France vaincue.
Desaix arrive ; la bataille fait rage : Desaix y trouve la mort, mais la bataille est finalement une éclatante victoire. Le lendemain, les Autrichiens demanderont un armistice. Pour l’heure, Bonaparte a besoin de repos : dure bataille, amère victoire. Peut-être un bon repas récompensera-t-il le Premier Consul ?
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