Est-ce la véritable origine du bâton merdeux ? Une autre possible source est évoquée dans certaines pages de littérature pornographique qui, pas plus que le bâton en question, n’est à mettre entre toutes les mains, par exemple :
« Oh ! par ma foi, moi qui suis sans culture,
J’appelle un con un con, et dis sans bouffissure
Qu’un vit de bougre est un bâton merdeux […] »
(
L’Odissée en raccourci , in
Origine des puces , 1793)
Quand on sait que « bougre » (déformation de « bulgare » datant du XII esiècle) fut un surnom donné aux sodomites, on comprend l’allusion graveleuse.
Comme « argousin » (voir supra) ou « zigomar » (voir infra), le paroissien est souvent qualifié de drôle quand il désigne, non le fidèle d’une paroisse, mais un individu peu recommandable bien que sympathique. Quand, à la suite d’une bêtise, grand-mère me disait : « Tu me fais un drôle de paroissien ! », je pouvais en conclure qu’elle ne m’en voulait pas trop. En ce sens, le mot est attesté dès 1585 dans les Contes et discours d’Eutrapel de Noël du Fail : « Je connois le paroissien, qui pour son vin du coucher, entonne volontiers, en franc fief et nouvel acquêt, un pot de vin tout comble […] » (ch. XIX).
En 1963, Jean-Pierre Mocky joue sur les sens propre et figuré de l’expression quand il intitule son film Un drôle de paroissien : Bourvil y joue le rôle d’un bourgeois oisif, Georges Lachaunaye, qui assure ses revenus et ceux de sa famille en pillant les troncs des églises parisiennes.
Envoyer quelqu’un chez Plumeau
L’expression est synonyme d’« envoyer à Dache » (voir supra), envoyer promener, sur les roses, un équivalent argotique de « va voir là-bas si j’y suis ». Esnault nous dit que Plumeau serait une altération de Plumepatte , personnage de légende appartenant à un régiment de hussards et faisant fonction de barbier (d’où aussi chez Plumepatte, le perruquier des zouaves dont l’attribut fut repris avec « Envoyer à Dache » — voir supra). Ce Plumepatte -là est cité par Émile Gaboriau dans son livre Le Treizième Hussards , publié en 1861. De la même année date un ouvrage satirique de Charles Dumay [6]: M. Jules Baizef de Plume-patte ou Les étapes d’une gloire calicotière. Plusieurs auteurs de théâtre donnèrent aussi à leur personnage principal le nom de Plumepatte : Les Aventures de Thomas Plumepatte , pièce en cinq actes de Gaston Marot créée en 1895, L’Affaire Plumepatte , folie-vaudeville en un acte de René Dubreuil représentée en 1911. C’est dire combien Plumepatte fut populaire, popularité à laquelle la cocasserie du patronyme ne fut pas étrangère.
De nos jours, la référence à Plumepatte n’est plus perçue. Plumeau est désormais assimilé à l’ustensile de ménage et, pour la plupart, l’expression en évoque d’autres issues du même contexte : Oust ! Du balai ! ou encore, Débarrassez-moi le plancher ! Pour quelques-uns, elle renvoie au nom d’un cabaret montmartrois des années 1950 où se produisirent de nombreux artistes (Léo Ferré, entre autres).
On explique aussi l’expression en faisant allusion à un M. Plumeau qui aurait été fripier (marchand de vêtement d’occasion). Va te faire voir chez Plumeau serait alors une autre façon de dire : Va te faire rhabiller !
Pour sûr, un tel individu est bizarre, aussi bizarre que le nom qu’il porte : il est une espèce de Gugusse (altération d’Auguste, souffre-douleur du clown blanc), un cousin de Zigoto (ou Zigoteau, lui-même descendant de Zig ou Zigue), celui qui fait l’intéressant, le zèbre, le zouave, le zozo, un peu zinzin (drôlerie du « z » !).
Zigomar fut d’abord le personnage éponyme d’une série de 164 feuilletons de Léon Sazie, parus en 1909 et 1910 dans le quotidien Le Matin . Digne successeur de Rocambole et distingué prédécesseur de Fantômas, ce Zigomar était un criminel cagoulé de rouge, chef d’une bande d’apaches … zigouillant les femmes avec férocité. Leur signe de reconnaissance ? Un « Z » majuscule brodé sur leur cagoule ou dessiné d’un geste aérien, comme le « z » de Zorro, signé de la pointe de l’épée. Est-ce par référence à ce héros que zigomar est entré dans l’argot militaire pour désigner un sabre de cavalerie (1915) ? Un autre Zigomar intervient dans plusieurs pièces de théâtre dues à un autre Léon, Léon Gandillot (1862–1912), vaudevilliste et journaliste à succès. Le nom fit florès et prit la place de Zig et Zigoto pour qualifier avec humour et une certaine cordialité un individu dont les comportements surprennent : « À preuve qu’elle est entrée au “106” et qu’à son jour de sortie son époux est venu la chercher et l’a ramenée chez lui… — … pour lui faire repriser ses chaussettes ! — Tout de même, c’est un drôle de Zigomar ! fit Mignon. » (Jean Galtier-Boissière, La Bonne Vie , 1925.)
En matière de bruit, grand-mère possédait un vocabulaire varié. Empêchions-nous le grand-père de faire sa sieste qu’elle nous accusait d’avoir fait du barouf , du boucan, du chambard, du potin ou du ramdam.
Barouf nous vient de l’italien baruffa qui désigne un procès, une querelle, une bagarre, donc un conflit nécessairement bruyant. Le mot serait entré en France dans la deuxième moitié du XIX esiècle via les ports de la Méditerranée, en particulier celui de Marseille où la variante baroufo fut en usage avec le sens de « rixe », le radical occitan bar -, que l’on retrouve dans barat , « tromperie » et barata , « bavarder » (à l’origine de « baratin »), ayant pu avoir une influence. L’idée de désaccord, de contestation, liée à celle d’arbitrage judiciaire (procès), fut sans doute contenue dans la toute première étymologie remontant au germanique commun et qui se retrouve en allemand moderne dans Berufung , « appel, recours ». Les variantes baroufle et baroufe ont aussi désigné une violente altercation : « Même je vous dirai que les gabiers ont fait une grande baroufe, la seconde nuit, contre des Allemands, et il y a eu du mal avec les couteaux » (Pierre Loti, Mon Frère Yves , 1883).
Dans la Bible et l’imagination populaire, le bouc est depuis toujours un animal maudit. Le Lévitique, par exemple (XI), nous parle d’un bouc que la communauté d’Israël chassait chaque année dans le désert après l’avoir chargé symboliquement des malédictions de tout un peuple (d’où l’expression « bouc émissaire »). Mi-homme, mi- bouc , le Satyre de la mythologie grecque est probablement devenu l’incarnation du démon, présidant au sabbat des sorcières et à leurs rites orgiaques. Ce « bouc d’abomination », comme disait Bossuet, est donc un puissant symbole de débauche. Il est alors logique que l’expression « faire le bouc » ait eu le sens de « fréquenter les mauvais lieux ».
Dans plusieurs départements du centre de la France (Allier, Creuse et Puy-de-Dôme), boucan est un équivalent dialectal de « bouc ». Cela peut expliquer que le verbe boucaner ait été lié à des attitudes de débauche aux XVI eet XVII esiècles, boucan étant, au XVIII e, synonyme de « bordel » et boucanière , de « prostituée ». Parce que ces lieux mal famés devaient résonner d’un certain tapage, boucaner puis faire du boucan ont signifié « faire beaucoup de bruit ».
Читать дальше