Anton Soliman - Le Grand Ski-Lift
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- Название:Le Grand Ski-Lift
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- ISBN:978-8-87-304886-2
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Il fut encore une fois sidéré par le panorama grandiose des plateaux, immenses et sans limites : pour lui, ces lieux auraient aussi bien pu avoir été montés la nuit précédente par de mystérieux architectes.
Le soleil était bas, effleurant à peine le manteau neigeux ; les plaques de glace brillaient sous la lumière quâil réfléchissait. Le paysage pénétra avec force dans le cerveau dâOskar, et balaya toute la mélancolie accumulée dans les petites rues boueuses de Valle Chiara, dans lesquelles il avait subi lâenvoûtement dâun Archétype.
La salle à manger du machiniste avait été confortablement aménagée, il y avait quelques meubles de bonne facture. Une grande cheminée était allumée sur le côté. La table était mise, le machiniste annonça quâil avait préparé un ragoût de viande :
â Du gibier, déclara-t-il, lâair satisfait. Il y a beaucoup de cerfs par ici, les bois sont pleins dâanimaux parce que plus personne ne vit ici, sur la Sierra, ajouta-t-il.
â Tu veux dire quâil nây a pas âme qui vive aux alentours ? demanda Oskar.
â Ces sont des zones dépeuplées, maintenant ! Lâélevage a été abandonné, les montagnes sont retournées à lâétat sauvage. Pas vrai, Mario ?
Au signe dâassentiment du guide, il poursuivit :
â Il y a quelques années, des touristes venaient lâété pour des randonnées, mais ça a été une mode passagère, câest trop dur, la montagne. Ils allaient aussi loin quâune jeep pouvait se traîner, mais le gouvernement les a interdites, parce quâelles perturbent le Grand Ski-lift.
â Pas de mouvement, donc, par ici. Mais la construction de lâinstallation amènera sûrement des touristes ! affirma Oskar pour dire quelque chose, bien quâil connût déjà la réponse.
Le machiniste mâchait son fromage, mais il répondit quand même, la bouche pleine :
â Pour ce que jâen sais, ils sont en train de faire une période dâessai. Il nây aura en tout et pour tout quâune dizaine de personnes qui sont passées jusquâà aujourdâhui. Un peu à la montée, dont le maire, et le reste à la descente. Certains viennent du Grand Ski-lift, en général des skieurs perdus en hors-piste -lâhomme se mit un nouveau morceau de fromage à la bouche- mais les illegales sont arrivés presque tout de suite, ils prenaient les cabines dâassaut dès quâelles avaient passé le col.
â Câest-à -dire ? Oskar était intrigué.
â Eh bien ces singes-là sâagrippaient aux cabines en se jetant des pylônes, et puis, avant dâarriver dans la vallée, à lâendroit où le câble passe en traînant presque au sol, ils se jetaient dans les arbres de la forêt.
â Quâest-ce que vous avez fait ?
â Nous avons arrêté les installations qui tournaient à vide toute la journée pour attirer les touristes, câest du moins ce quâespérait le directeur. Mais avec ces Asiatiques qui rodent dans la Sierra, toutes les voies de communication doivent être attentivement surveillées.
â Il y a vraiment des clandestins partout !
Oskar hochait la tête.
â Ces maudites gens sont partout. Je les entends même la nuit : ils tournent autour de lâinstallation et même les tempêtes ne les arrêtent pas, quelques fois jâen trouve un mort, gelé, sous les pylônes.
Le machiniste avait mis les petits plats dans les grands, sans rien oublier.
â Pour ce qui est de boire et de manger, je nâai pas à me plaindre. Mais je suis mieux au village, avec ma famille.
â Mais alors, excusez-moi, pourquoi avez-vous accepté ce poste ? demanda Oskar.
â Jâavais besoin de travailler. Et puis je ne pensais pas que la vie serait si dure, ici, sur la Sierra.
Le guide ne disait rien, il sâétait installé devant le feu et fumait sa pipe.
â Vous nâaimez pas être seul, alors ?
â Ah non, vraiment pas. Quand les nuits sont tranquilles, ça va, bien sûr, mais vous devriez voir ce que câest quand ça tourne à la tempête. On dirait que toutes les âmes du purgatoire frappent à votre porte.
Lâhomme continua une bonne heure encore à parler de ses problèmes ; sa crainte véritable était dâavoir un malaise pendant une tempête, de nuit, et de mourir seul. Oskar pensa que pour lui, le meilleur endroit devait être le bar du village, où il pouvait jouer aux cartes avec ses amis.
Il se rendit compte quâil éprouvait un sentiment de répulsion à lâégard du machiniste, à cause de son indigence sournoise ; quelque chose qui remontait à très loin. Il devait cependant surmonter cet état dâesprit négatif par la « compassion ». Mais câétait impossible à ce moment, le machiniste transmettait des émotions dâun type traditionnel : un mur quâOskar essayait dâabattre. Il resta donc silencieux, écoutant les plaintes de lâhomme qui avait juste besoin de parler, sans écouter de réponses. Pendant ce temps, le guide sâétait endormi devant le feu.
Allongé sur sa couchette, Oskar passa une mauvaise nuit, à cause du froid. On frappa à sa porte aux premières lueurs de lâaube.
â Monsieur Zerbi, courage, habillez-vous ! Nous devons y aller, dit le guide gentiment, mais dâune voix résolue et autoritaire.
Il se leva péniblement, et sâhabilla en toute hâte. Il était ému, il se rendait compte quâil ne sâagissait pas dâune banale randonnée en montagne. Il y avait quelque chose de plus essentiel, qui ne transparaissait pas encore du projet général du promoteur de lâinstallation. Ils burent tous les deux un café noir, alors quâon devinait par la fenêtre la lueur enchantée de la lumière de lâaube. Le machiniste leur dit que pendant la nuit, la température était tombée bien en-dessous de zéro ; puis il les accompagna jusquâà la lourde porte quâil lui fallut presque ouvrir à coups dâépaule, à cause du gel.
Mario sâétait mis une coiffe de fourrure et, pour la première fois, Oskar remarqua quâil avait les cheveux rassemblés en une queue de cheval. Il semblait différent de lâhomme de la vallée que le directeur lui avait envoyé la veille au matin, il ressemblait maintenant à un animal sauvage qui aurait enfin retrouvé sa liberté.
Le guide se mit en chemin dâun pas décidé :
â Ãa va, comme allure, Monsieur ?
Puisque lâhomme lui avait adressé la parole, Oskar lui demanda :
â Quâest-ce que tu penses de ce type ?
â Qui, Franz, lâemployé de lâinstallation ? Câest le râleur de service, comme beaucoup au village. Il se plaint tout le temps. Jâétais là , le jour où il sâest quasiment mis à genoux devant le maire pour avoir ce boulot. Il avait même dit que plus les endroits où on le mettrait seraient isolés, mieux il sâen trouverait, vu que sa femme est vieille et quâelle sent mauvais.
â Câest ce que jâimaginais, fit Oskar.
Il pensa que la compassion était tout de même nécessaire à son équilibre spirituel. Une autre forme subtile dâégoïsme ? Ãvidemment. Câétait la patine de protection quâadoptent les saints et les professionnels du Bien : une espèce de crème solaire.
Dès quâils arrivèrent au col, le vent devint violent. Ils franchirent une arête de glace prise entre dâénormes blocs dâune roche blanchâtre. Une fois quâils lâeurent franchie, ils descendirent à moindre altitude et le vent ne fut à nouveau plus quâune brise légère. Le dernier plateau sâétendait devant eux, après quoi ils verraient les tracés des pistes du Grand Ski-lift.
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