Anton Soliman - Le Grand Ski-Lift
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- Название:Le Grand Ski-Lift
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- ISBN:978-8-87-304886-2
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Quand il ouvrit les yeux, il faisait encore nuit noire, la pièce lui apparut à la seule clarté irrégulière des braises de la cheminée. Il se sentait épuisé. Il regretta dâavoir quitté la Ville, même sâil se rendait compte quâil y vivait mal, noyé dans lâinutilité qui lui avait rongé lââme. Il était malade depuis trop longtemps, du reste, pour pouvoir espérer une résurrection et, pour survivre, il avait abusé des émotions, qui avaient fini par se déformer. Il décida donc quâil rentrerait en Ville le lendemain. Il ne pouvait pas rester dans cet hôtel à mendier la compagnie de la fille des propriétaires, qui sâétaient peut-être entendus entre eux pour ne pas le laisser seul. Clara était charmante, ou du moins elle lui paraissait charmante dans ces circonstances. Il lui semblait quâelle vivait une vie plutôt compacte, de celles où les pensées existent à lâétat solide.
Lâidée dâaccéder au Grand Ski-lift était maintenant devenue un exploit hors de sa portée. Oskar nâétait plus en mesure dâemprunter seul le téléphérique, et encore moins de passer la nuit en altitude dans un chalet dâalpage perdu. Il pensa quâil en serait certainement mort, anéanti par une immensité quâil ne pouvait assimiler.
Malgré sa fragilité, il oubliait parfois son mal-être et rêvait de parcourir le vaste monde, seul, sans destination précise, comme aurait pu le faire nâimporte quel sage capable dâidentifier les infinies nuances de la liberté.
Il était maintenant tout à fait réveillé, et ne se sentait plus fatigué. Ses yeux sâétaient habitués à la pénombre, la chambre commençait à lui procurer une sensation de bien-être, car il était allongé sur une surface sur laquelle glissaient les sentiments de sécurité et de continuité : un lieu lunaire, la Mer de la Tranquillité.
Clara ouvrit lentement la porte, sâapprochant du lit pour vérifier si Oskar dormait : en le voyant les yeux ouverts, elle sourit et lui posa une main sur le front.
â Je suis venue il y a un bon moment pour tâemmener aux sources voir le coucher de soleil. Tu te plaignais dans ton sommeil, tu as dû faire un cauchemar.
â Câest vrai ?
â Tu avais le front brûlant, dit-elle à voix basse.
â Quelle heure est-il ?
â Presque minuit.
Oskar fut surpris, il devait être très fatigué pour avoir dormi autant. Mais il se sentait mieux.
Ils trouvèrent une lampe à pétrole et lâallumèrent, puis sâassirent près de la cheminée, restant lâun à côté de lâautre devant le feu, sans rien dire. Ce fut Oskar qui rompit le silence :
â Quâest-ce que tu faisais, quand tu étais en Ville ?
â Jâétais inscrite à lâAcadémie des Beaux-Arts, et tant que je faisais mes études, je me suis amusée. Jâavais plein dâamis, jâai même joué dans un bar, jâaime la musique.
â Bien ! Bravo, tu ne pouvais pas faire mieux. Et quâest-ce quâil sâest passé, ensuite ?
Clara se fit sérieuse, sâinstalla plus confortablement dans son fauteuil.
â Les problèmes sont apparus quand jâai commencé à travailler. Le travail est quelque chose dâincompréhensible, en Ville. Je crois quâil nây a que très peu de gens qui comprennent comment cela fonctionne.
â Je pense que tu as raison, le travail est une chose vraiment mystérieuseâ¦. Et tu es donc rentrée à Valla Chiara ?
â Bien sûr. Quel sens ça avait de rester en Ville ? Jâaurais fini par avoir une existence plate.
Câétait vrai, pensa Oskar. Par certains aspects, les impressions de Clara nâétaient pas très différentes des siennes.
â Toi, par contre, tu es ingénieur, pas vrai ? Où travailles-tu ?
â à la H.M.C. comme expert des matériaux.
â Ãa doit être intéressant, comme travail.
â Assez. Mais les derniers temps, jâai trop travaillé, câest pour ça que je suis en vacances.
Il y avait une place quâil connaissait bien, en Ville, et câest là quâil avait retrouvé un homme qui ne lui avait pas proposé de partir en vacances, mais⦠de sâinsérer dans le Grand Ski-lift, comme si câétait un travail à accomplir.
Clara se tourna vers lui et lui posa délicatement une main sur le front, et le caressa.
â Je sais tout. Jâai compris que quelque chose nâallait pas dès que je tâai vu dans la salle à manger. Je me suis intéressée à toi parce que jâai pensé que tu avais besoin de quelquâun.
Ils sâembrassèrent longuement, puis sâendormirent dans les bras lâun de lâautre.
Il se réveilla en sursaut. La jeune femme dormait. Clara lui sembla très belle, il sentit quâil sâattachait. Cette pièce pleine de souvenirs de famille lui plaisait, et il aimait parler avec Clara : il ne se sentait plus seul, et ressentait même quelque chose de plus essentiel, la Protection.
Le lendemain, ils partirent se promener dans la forêt, le soleil apparaissait de temps à autres entre deux nuages, et ses rayons illuminaient alors le paysage ; puis il disparaissait à nouveau, laissant les arbres dans une pénombre opaque.
Oskar et Clara passèrent quelques jours ensemble. La nuit, ils parlaient longuement dans la chambre des souvenirs, puis ils sâendormaient, enlacés. Un jour ils allèrent jusquâà lâesplanade du téléphérique. Câétait le matin, la lumière était forte, Oskar regarda les câbles dâacier monter au-dessus de la forêt : on voyait les petites cabines émerger après une deuxième crête, puis, de plus en plus haut, les câbles sâenfiler dans un passage qui disparaissait contre le ciel. On devinait que lâinstallation continuait ensuite à monter pour atteindre une altitude invisible de là . Mais, aussi loin que portaient les yeux, on nâapercevait aucune trace de neige, à lâexception de quelques taches blanches près des buissons.
Il nâéprouva aucune répulsion, cette fois-ci, et observa même avec curiosité la chaîne interminable de pylônes qui sâétirait le long des pentes de la montagne. De leur point dâobservation, lâexistence des plateaux semblait invraisemblable...Lâinstallation ressemblait à une échelle magique pour sâélever vers le Ciel, et Oskar émit lâhypothèse que son promoteur avait peut-être voulu ouvrir une espèce de trappe vers un autre Monde.
Il pensa quâen cet instant, il aurait pu monter seul sur les plateaux ; mais au village, il avait rencontré Clara, la fille du propriétaire de lâhôtel.
Il la prit dans ses bras :
â Clara, je tâaime.
â Tu vas rester encore quelques jours ? demanda la jeune femme en souriant.
â Tu sais, maintenant que je te connais, jâaime cet endroit. Mais oui, Valle Chiara est un endroit magnifique ! sâexclama-t-il.
Ce soir-là , le coucher du soleil le surprit alors quâil était derrière lâhôtel, à fendre du bois. Les eaux dâun étang tout proche sâétaient teintées de rouge. En levant les yeux, il vit les murs de la maison, les fenêtres, les pots de fleurs et les tuiles sâenvelopper dâune lumière feutrée. à lâest, le ciel mourait dans des langues de feu, et de lâautre côté, là où le soleil se couchait, le paysage hivernal sâétait illuminé de façon presque impérieuse. Il entendit un par un les bruits de la vallée : les aboiements dâun chien, le cri dâun enfant, des coups de marteau sur une planche de bois, une charrette qui sâéloignait⦠il pensa alors quâelle devait déjà être ailleurs. Elle devait sâêtre arrêtée, à certains bruits. Câétait le monde, quoi quâil en soit, et il tournait. Ce quâil voyait et entendait était-il le résultat dâun fonctionnement ? Oui, il se souvenait parfaitement quâun jour il avait écrit quelque part :
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