La fatalité de l’Élysée ?
En y arrivant, le dimanche 14 mai 2017, Brigitte Macron connaît bien ces écueils. Son mari lui a tout raconté de cet endroit corseté. Pendant les deux ans qu’il y a passés comme secrétaire général adjoint de la présidence, il s’était efforcé d’en détendre l’ambiance, enchaînant par exemple un jour vingt pompes pour amuser ses collègues. Mais il sait bien que François Hollande n’a pas aimé y vivre, lui qui voulait initialement rester, « normalement », dans son appartement du XV earrondissement. Pendant la campagne, l’ex-enseignante s’est en outre documentée, parcourant les ouvrages sur celles qui l’ont précédée. « Elles n’y ont pas été très heureuses ! », lance-t-elle à ses proches. Et au cas où elle n’aurait pas complètement imprimé, quelques bonnes âmes la mettront en garde sur les cinq ans de malheur qui l’attendent. « Madame Macron, soyez prudente », lui glisse un passant le 11 juin, au Touquet, où elle est venue voter au premier tour des législatives. « Parce qu’il y a une malédiction à l’Élysée, vous savez ? Les premières dames disparaissent quelques mois après l’élection. » Cécilia Sarkozy et Valérie Trierweiler ne s’y sont en effet pas éternisées… « Ouh là là, on va conjurer ! », lui répond en riant la nouvelle venue. Brigitte Macron ne compte pas se laisser hanter par les spectres du palais. Dès l’élection, elle n’a pas hésité à quitter l’appartement qu’elle louait avec son mari dans le VII e arrondissement – après la vente de leur bien du XV e, fin 2015, pour près d’un million d’euros. Et elle s’est installée, apparemment avec enthousiasme, dans les 300 m 2du logement présidentiel. « J’ai plutôt senti l’empreinte des femmes qui y ont vécu et je pense qu’elles ont aussi connu des moments heureux ici [4] Elle , « Appelez-moi Brigitte », op. cit.
», raconte-t-elle, trois mois après son emménagement… boostée sans doute par la conviction que « l’inquiétude nous permet aussi d’apprécier les moments de bonheur ».
Elle le dit elle-même : si elle a accepté de poser ses valises au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, c’est pour s’assurer de voir son époux. Après avoir quitté l’enseignement pour l’assister à Bercy, elle n’allait pas surjouer l’indépendance ! « Cela nous permet de nous voir dans la journée, entre deux rendez-vous, et d’être ensemble pour dîner presque tous les soirs lorsque nous n’avons pas d’obligations particulières [5] Joëlle Chevé, L’Élysée au féminin de la II e à la V e République , Éditions du Rocher, 2017.
», explique-t-elle. Et quitte à être là, elle va embrasser pleinement le rôle de maîtresse de maison. Dans les jours suivant son installation, elle a en effet rencontré chacun des services de l’Élysée. Cuisines, standard, intendance, crèche… Tous ont reçu, ravis, la visite de la nouvelle première dame. Il faut dire qu’après Bernadette Chirac, personne ne s’était vraiment penché sur leur travail – des non-résidentes Cécilia et Carla Sarkozy à la fantomatique « deuxième dame » Julie Gayet. La grosse machine élyséenne « tourne parfaitement » de toute façon, comme Brigitte Macron le dit à ses proches. La preuve : elle n’a pas eu besoin de briefer le chef Guillaume Gomez sur les goûts de son mari. En découvrant l’appétit présidentiel pour les cordons-bleus, le cuisinier aurait pris l’initiative d’en servir dans les cocktails élyséens, en version miniature. Ici, le rôle d’hôtesse n’est pas le plus compliqué à tenir…
S’approprier l’endroit – 11 179 m 2de surface exploitée tout de même – peut en revanche s’avérer difficile. Spécialiste de cette question, la psychothérapeute Christine Ulivucci [6] Auteur de Psychogénéalogie des lieux de vie . Ces lieux qui nous habitent , Petite Bibliothèque Payot, 2010.
nous l’explique. « L’Élysée est un lieu professionnel, mais pas neutre. Il est investi par un poids historique, et par quelque chose de l’ordre de la représentation et de la transmission. Il n’est donc pas aisé d’en prendre possession. » Du général de Gaulle qui l’occupait comme un appartement de fonction jusqu’à François Hollande pour qui c’est « un décor de théâtre », les présidents ont souvent rechigné à le personnaliser. « La difficulté est double pour une première dame, poursuit Christine Ulivucci. Ce n’est ni son lieu d’habitation, ni son lieu d’investiture. Malgré une marge de manœuvre assez réduite, il reste toutefois important d’insuffler un nouvel esprit qui corresponde à sa personnalité [7] Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.
. » Brigitte Macron va s’y atteler très vite… Imaginant sans doute qu’elle serait la gardienne d’une rénovation de grande ampleur. Fissures aux murs, rongeurs au sol (les équipes de Nicolas Sarkozy avaient déploré la présence de souris, outre la saleté des lieux et l’odeur de cigarette) : le palais n’est pas un palace ! Et au-delà de l’aspect esthétique, les infrastructures manquent cruellement de modernité. Électricité, plomberie, sécurité incendie… De grands travaux avaient même été budgétés et encouragés par la Cour des comptes, pour la préservation du patrimoine national. Pourtant, en octobre, Emmanuel Macron a finalement renoncé, refroidi par le devis de cent millions d’euros établi pour la réfection des résidences présidentielles.
La métamorphose, ce ne sera donc pas pour tout de suite. Mais, en attendant, Brigitte s’est immédiatement attachée à relooker l’ancien hôtel d’Évreux. Exit, les vieilles tapisseries inchangées depuis les années 1950, les lourdes tentures de la salle des fêtes et les tapis ringards. « J’ai fait retirer les bergères et les moutons ! », s’amuse-t-elle à lancer à ses conseillers. Avant même l’été, elle se rendait d’ailleurs au Mobilier national et à la manufacture des Gobelins, puis au Fonds national d’art contemporain, pour sélectionner quelques pièces plus modernes. Tapis et tapisseries d’artistes comme Hans Hartung et Pierre Alechinsky, table de travail en béton gris… Assistée par le chef du protocole José Pietroboni, elle a commencé à revisiter les lieux, comme l’avait fait à son époque Claude Pompidou. Elle a également commandé un nouveau service de table à la manufacture de Sèvres. « L’Élysée a une histoire ancienne, mais il n’est pas figé dans le temps, explique-t-elle. J’ai fait ma part des changements et j’ai surtout souhaité libérer les fenêtres d’un trop-plein de tentures épaisses qui assombrissaient les salons. La lumière y pénètre désormais beaucoup plus et la vue sur les jardins est moins occultée [8] Joëlle Chevé, op. cit.
. » Une façon de se sentir un peu plus chez elle. « Un lieu d’habitation est comme une seconde peau, un miroir, insiste Christine Ulivucci. On va y projeter ce que l’on est ou ce que l’on aimerait être [9] Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.
. » La démarche d’appropriation est d’autant plus importante que, pour le reste, la première dame n’est plus vraiment dans son élément…
Une liberté surveillée
Elle qui a toujours tenu à sa liberté, et jurait vouloir conserver une vie normale, a dû en admettre l’impossibilité. Oubliées, les petites sorties incognito, avec son déguisement de choc – des lunettes et un bonnet. Désormais, ses officiers de sécurité l’accompagnent où qu’elle aille. Des contraintes qu’elle a commencé à intégrer pendant la campagne, lorsque sa maison du Touquet a dû être sécurisée. De quoi créer des tensions avec certains voisins, exaspérés par la présence des deux fourgons de CRS postés en permanence devant et derrière la villa Monéjan. « C’est devenu une avenue de pèlerinage ici, déplore-t-on au Algy’s Bar, juste à côté. Et avec les CRS, les automobilistes ne peuvent pas s’arrêter pour venir acheter des cigarettes. » Pour d’autres, le problème émane surtout du défilé oppressant de policiers lourdement armés. À la suite de plaintes, ceux-ci ont été priés pendant quelques semaines de patrouiller discrètement, et de laisser leurs fusils d’assaut dans leur voiture ! En cas d’attaque, ils n’auraient qu’à aller les y chercher…
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