— C’est sans doute justement parce qu’ils ne sont plus jeunes ? Les amours d’automne sont peut-être plus précieuses que les autres, fit Marie songeuse.
— Peut-être ! Et à ce propos, savez-vous que votre père vient de se remarier ?
La surprise coupa le souffle de la jeune femme :
— Mon père ? Remarié ? À son âge ? Il doit avoir dépassé la soixantaine à présent ?
— Exact ! Et vient d’épouser un tendron de dix-sept ans !
— Vous vous moquez ? J’aurais une belle-mère de dix ans plus jeune que moi ? Et qui en aurait… – elle compta un instant sur ses doigts –… quarante-deux de moins que son époux ? C’est à n’y pas croire ! Et… où l’a-t-il trouvée ?
— Dans un couvent de Dinan. Elle s’appelle Marie d’Avaugour de Dinan et elle est très belle !
— Dans quel genre ?
— Comment vous dire ? C’est une grande fille brune avec un teint de fleur et de magnifiques yeux bleus, un port de déesse et des appas fort évidents. La nouvelle duchesse de Montbazon sort peut-être d’un couvent, elle n’en affiche pas moins une extrême envie de plaire. Et elle plaît énormément !
Les beaux sourcils de Marie remontèrent jusqu’au milieu de son front :
— Seriez-vous en train de me dire que mon père est déjà cornard ?
— S’il ne l’est pas il le sera. Le bruit court qu’il l’a été.
— Alors qu’elle vivait au milieu des nonnes ? Peste, quelle luronne !
— Quand même pas. On dit seulement qu’à quinze ans, elle aurait perdu sa virginité avec son frère le comte de Vertus…
Du coup, Marie éclata de rire et tendit son verre pour que Claude l’emplît de nouveau :
— C’est vraiment trop drôle ! Perdre sa vertu avec un comte de Vertus cela n’arrive que chez nous ! J’espère au moins qu’il est beau ce garçon et que la pauvrette a puisé dans cet amour le courage d’entrer dans le lit d’Hercule.
— Votre passion pour votre père est touchante, Marie !
— Vous n’allez pas me demander de le plaindre ? C’est un balourd, presque un rustre qui, si j’en crois ce que j’ai pu apprendre, n’a pas rendu ma mère particulièrement heureuse ! Si cette Marie d’Avaugour la venge, j’applaudirai de tout mon cœur ! J’ajoute que j’aimerais la connaître !
— Cela ne devrait pas tarder. La nouvelle Duchesse entretient une grande amitié avec la princesse de Guéménée, l’épouse de votre frère dont nous allons recevoir la visite ces jours prochains puisque je les ai invités à fêter avec nous la Nativité. Je peux envoyer un courrier au château de Rochefort en Yvelines où sont les Montbazon pour les prier de se joindre à nous ?
— Une réunion de famille ? C’est gentil d’y avoir songé. Après tout, je suis contente de revoir ce vieux grognon. Il va m’accabler de reproches selon son habitude et déverser sur moi sa bile en même temps qu’une avalanche de prédictions désastreuses mais cela sera amusant. Vous auriez dû inviter aussi votre sœur.
— Ne vous ai-je pas dit qu’elle allait venir ? J’espère seulement que Bassompierre ne sera pas retenu au Louvre. À présent, Marie, ajouta-t-il en se levant après avoir vidé son verre d’un seul coup, l’heure est venue, je crois, de nous retirer…
— Croyez-vous ? fit-elle coquette.
— J’en suis plus que sûr.
Il vint prendre sa main et sa taille comme pour un pas de danse et, se penchant, posa ses lèvres au défaut de l’épaule de sa femme pour remonter le long de son cou. En même temps, sa main remontait de la taille à un sein qu’elle emprisonna. Marie comprit qu’il ne pourrait contenir davantage le désir qu’il avait d’elle et de son côté, elle sentait son corps s’émouvoir. Un frisson parcourut son dos, prélude à l’appel toujours exigeant de ses sens. Claude était un bon amant et le plaisir avec lui était une affaire certaine. Elle glissa de ses bras mais retint une main pour l’entraîner avec elle :
— Il est grand temps en effet si nous ne voulons pas nous donner en spectacle à nos gens !
Ils partirent en courant comme deux jeunes amoureux qui vont chercher refuge dans une meule de paille.
CHAPITRE II
UNE CAVALIÈRE DANS LA NUIT
La fête de Noël à Dampierre fut, cette année-là, pour Marie une sorte de bain de jouvence. Pendant quelques jours elle oublia ses menées politiques, ses projets, ses rancunes et sa soif de revanche pour n’être plus qu’une jeune femme heureuse de se retrouver en famille et une maîtresse de maison soucieuse du bien-être de ses hôtes ainsi que de l’éclat de sa demeure.
Au matin de leur nuit de retrouvailles, elle découvrit qu’en réalité elle aimait encore son mari. Ce n’était pas de la passion – elle ne l’avait éprouvée et ne l’éprouverait que pour le seul Holland dont il lui suffisait d’évoquer l’image pour se sentir bouleversée –, loin de là, mais en mesurant l’étendue de l’amour de Claude, capable d’accepter n’importe quoi pour la garder, d’oublier ce qu’il avait enduré de son fait, et simplement heureux de l’avoir tenue dans ses bras durant quelques heures, elle se renouvela à elle-même la promesse qu’elle s’était faite au lendemain de leur mariage quand en l’épousant il en avait fait une princesse lorraine en la sauvant de la disgrâce : essayer de lui donner autant de bonheur que possible et peut-être le protéger des conséquences de ses actions à venir. Car, naturellement, elle se savait incapable de lui rester fidèle et certainement plus encore de renoncer aux intrigues dont elle portait en elle les germes irrésistibles. C’était pour elle le sel de la terre.
Elle était heureuse aussi de retrouver ses enfants : surtout son fils dont elle était assez fière alors qu’elle tenait ses filles pour quantité négligeable ne pouvant attendre d’illustrations que par un mariage : Louis, prématurément duc, portait de grandes espérances…
Quant à ceux qui vinrent à Dampierre célébrer auprès d’elle la naissance du Christ, elle les reçut avec une véritable joie : ils apportaient avec eux les parfums de cette Cour qui lui était interdite. Les Lorrains d’abord : sa plus fidèle amie Louise de Conti, sœur du duc de Guise, et son époux secret, François de Bassompierre un couple déjà âgé mais la beauté de Louise était de celles qui résistent au temps et François, qui avait été un séducteur redoutable, conservait un charme, une silhouette et un appétit de vivre que beaucoup pouvaient lui envier. Enfin, ils s’aimaient et cela se voyait.
Un peu moins d’amour chez le deuxième couple : Louis de Rohan-Montbazon, prince de Guéménée, frère de Marie, et son épouse Anne de Rohan, fille du chef protestant éternellement rebelle. Un couple harmonieusement assorti cependant : elle avait l’âge de Marie lui deux ans de plus ; elle était belle, il n’était pas laid mais la passion des premiers temps s’était estompée : Anne était pétulante, vive, bavarde, intrigante même, lui le calme – on pourrait presque dire la placidité – incarné. Ils ne s’entendaient pas toujours mais le vernis mondain y suppléait.
Enfin, les « jeunes mariés » venus en voisins de leur château de Rochefort présentaient un aspect aussi disparate que possible. Lui un barbon grisonnant, ronchonnant et d’une intelligence si moyenne qu’on pouvait le croire à certains moments idiot. Elle ravissante dans l’éclat de ses dix-huit ans, coquette, visiblement sensuelle mais charmante menant son vieil époux en laisse comme un toutou. Elle séduisit Marie, fut séduite de son côté et les quatre dames luttèrent d’éclat au cours de cette fête familiale.
Fidèle à la vieille tradition allemande souvent respectée en Lorraine, Bassompierre [4]s’était fait précéder d’un immense sapin que l’on planta dans la cour du château et que l’on décora de bougies, de rubans, d’étoiles d’argent, de noix dorées. On plaça solennellement dans la cheminée de la salle principale la bûche de Noël – fragment d’un vieil orme que le maître de maison arrosa de sel et d’eau bénite puis alluma avant que l’on ne se rende tous ensemble à la messe de minuit dans l’église du village où maîtres, serviteurs et paysans chantèrent à l’unisson les anciens chants venus du fond des âges. Après quoi on revint avec le vieux curé dévorer le repas pantagruélique préparé dans les cuisines du château, suffisamment abondant pour nourrir un régiment et dont, à l’habitude, les pauvres eurent leur part. Après quoi on échangea des cadeaux… Ce fut, en vérité une bien belle fête, sous un ciel froid mais pur et plein d’étoiles, dont chacun profita sans arrière-pensée et dans une atmosphère à la fois conviviale et bon enfant.
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