Aussi dès le matin suivant se faisait-il annoncer chez celle qu’il considérait déjà comme sa propriété. Isabelle qui – rappelons-le ! – avait fort mal dormi – et on pouvait en lire les traces sur son visage – lui fit répondre qu’étant souffrante elle avait pris médecine et le priait de l’excuser. Cependant il insista : il ne la dérangerait pas mais il était de la dernière importance de pouvoir échanger quelques mots avec elle !
Que pouvait-il y avoir de si urgent pour lui tomber ainsi dessus dès potron-minet ? Le sachant capable de passer outre à toute interdiction, elle appliqua sur son visage une crème au blanc de céruse qui le pâlit, ombra légèrement ses paupières inférieures, ramassa ses cheveux dans un bonnet de dentelle, enfila une camisole et retourna se coucher tandis qu’Agathe disposait à son chevet une tisanière et un flacon d’eau de senteur, puis s’enfonça dans ses draps et envoya chercher son visiteur.
Ne croyant absolument pas à la maladie soudaine d’une femme qu’il avait vue resplendissante – sévère mais resplendissante ! – quelques heures plus tôt, Condé ne cacha pas sa surprise :
— Quoi ? Vous êtes réellement souffrante ? (Puis avec un sourire entendu :) Nemours aurait-il osé vous maltraiter ?
— Me maltraiter ? Où vous croyez-vous donc ? Il n’y a que vous, Monseigneur, pour en avoir seulement l’idée ! Et à quel titre s’il vous plaît ?
— Ne vous fâchez pas, de grâce ! Je vous demande pardon. D’autant que je ne viens que demander votre aide !
— Mon aide ? En quoi ? Je ne parle pas l’espagnol.
— Oh, vous êtes insupportable. La malade que vous êtes de toute évidence devrait se ménager davantage.
Cette fois elle ne put s’empêcher de rire, se redressa, donna deux ou trois coups de poing à ses oreillers et resta assise en s’y adossant :
— Voilà ! Je suis tout ouïe !
Il exposa alors l’ensemble de ses soucis après la réception plutôt fraîche reçue à Saint-Germain :
— Outre que je ne me sente plus très en sûreté à l’hôtel de Condé, je vous avoue que je ne sais plus à quel saint me vouer et j’ai besoin de conseils.
— De conseils ? Vous n’en manquez pourtant pas…
— Justement ils sont trop nombreux et souvent d’avis si différents que je ne peux me résoudre à écouter celui-ci de préférence à celui-là 1.
— Vous voulez venir habiter ici ? Je peux vous dire tout de suite que ce n’est pas une bonne idée…
— Non. Je veux seulement y rassembler mes amis sous votre égide et ce que je vous propose c’est le rôle d’arbitre. Vous ne perdez jamais la tête… du moins à ma connaissance, ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire. La façon dont vous avez enlevé ma mère sous le nez de M. Du Vouldy en est la meilleure preuve ! Et puis… j’ose espérer que vous m’aimez un peu ? Alors, aidez-moi !
— Je ne dis pas non, mais si vous n’êtes pas à l’aise chez vous, que ne retournez-vous à Saint- Maur comme vous l’avez déjà fait ?
— Il faudrait pour cela que vous veniez vous y établir… et ce serait certes empiéter sur une liberté à laquelle vous semblez tenir, répondit-il, affichant une mine tellement confite qu’Isabelle, oubliant ses maux supposés, se remit à rire.
— Quel bel hypocrite vous faites, Monseigneur ! Vous ne le proposez pas parce que vous savez parfaitement que je refuserais. Cela posé, continua-t-elle le payant de la même monnaie, je ne vous cache pas que je n’avais pas l’intention de rester à Paris. Les beaux jours sont venus et j’ai grande envie de revoir Mello… et mon fils !
— Vous l’avez laissé seul là-bas ?
— Non. Ma mère veille sur lui. Peut-être même l’a-t-elle emmené à Précy. Elle n’aime pas être longtemps éloignée de son chez-elle ! Mais revenons à votre problème. Si vous voulez tenir conseil ici, je n’y vois pas d’inconvénient et, si vous le demandez, je vous donnerai mon avis…
— … Et peut-être me permettrez-vous de… m’attarder auprès de vous ?
— Nous verrons ! Une question, cependant ! Je ne veux à aucun prix recevoir chez moi Mme de Longueville et je suppose qu’elle joue un rôle important dans votre « conseil » ?
— Rassurez-vous ! Elle en est absente. Elle se trouve actuellement en Guyenne avec mon jeune frère Conti et ils ont fait de Bordeaux le centre privilégié des négociations avec l’Espagne… Selon la façon dont tourneront mes pourparlers avec la Cour, elle saura quelle conduite tenir.
— J’ose espérer qu’elle ne prendra pas sur elle de signer quoi que ce soit en votre nom ?
— Non ! Bien sûr que non ! Elle n’oserait !
— Elle ? Ne pas oser ? Ou elle a énormément changé ou vous la connaissez mal ! Nous pourrons nous estimer heureux si elle ne nous arrive pas un beau jour flanquée d’une armée espagnole avec tambours et trompettes par-dessus le marché. Vous aurez alors le choix entre tomber dans ses bras ou l’exécuter à coups de mousquet !… Et je ne vous envie pas !
— Vous exagérez ! Elle ne veut que mon bonheur !
— A condition qu’il serve sa gloire ! Or, ne vous y trompez pas, Monseigneur, la gloire m’importe peu à moi. En revanche, je tiens particulièrement à ce que le vainqueur de Rocroi et de tant d’autres batailles reste prince français et à ce que, étant donné l’attachement qu’il vous montre, le dernier des illustres Montmorency n’aille pas le payer de sa tête ! Parce que si ce malheur devait arriver, vous auriez en moi une implacable ennemie !
— Je croyais que vous m’aimiez ? Du moins l’avez-vous dit !
— Je souhaite pouvoir le dire encore ! Cela dépend exclusivement de vous, Monseigneur !
— Alors je vous donne toutes assurances ! Pouvons-nous nous réunir une première fois ce soir ?
— Oui mais pas à une heure indue : cela ferait par trop de conspirations…
— C’est un peu cela, non ?
— Oui mais il est inutile de le crier sur les toits. Venez dans l’après-midi… et séparément comme nous étions accoutumés lorsque nous allions à l’hôtel de Rambouillet passer un moment, entendre les dernières trouvailles de nos poètes, écouter de la musique. Je veillerai à ce qu’il y en ait : ni trop faible ni trop bruyante, juste ce qu’il faut pour apporter un fond… sonore !
— Votre idée me semble bonne mais sera-t-elle crédible sans femmes ?
— Je ne vous empêche pas d’inviter Mademoiselle qui brûle de se dévouer pour vous… surtout quand la santé de votre épouse donne des inquiétudes ! Elle se verrait parfaitement princesse de Condé !
— Je pensais que vous la détestiez ? D’ailleurs à vous entendre…
— Moi ? Non ! C’est elle qui me déteste… ou plutôt qui ne sait pas exactement quel sentiment je lui inspire : elle aime à me rencontrer pour bavarder, égratigner les autres et faire assaut d’esprit, mais quand elle parle de moi, c’est en général pour me dénigrer !
— C’est le plus vraisemblable ! Vous êtes ravissante et elle est bâtie comme les suisses de la garde royale !
— Quoi qu’il en soit, invitez-la. Elle en sera ravie et représentera son père ! Monsieur est toujours des vôtres je suppose ? Ne plus être lieutenant général du royaume depuis la majorité du Roi doit le désoler bien qu’il se garde de le montrer ! Et s’il vous faut d’autres dames, Mme de Brienne, qui est restée amie de la Reine, et mon amie Saint-Sauveur devraient faire illusion. Ce sont toutes deux des femmes d’esprit qui ne sont aucunement douées pour l’espionnage ! Je les fais appeler ce soir si vous le voulez ?
— Ce soir ? Non… Ayez pitié de moi, Isabelle, et laissez-moi revenir seul ! J’ai tant de choses à vous dire !
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