« Les crampons sont détachés ici », dit Tina. Elle était en sueur. Elle sentait un souffle frais sur son visage, car le système d’aération fonctionnait pour empêcher son masque de s’embrumer.
La voix de Nate retentit derrière son oreille. « Bon travail, Tina. »
Einar dit à son tour : « Nous aurions pu emporter un quatrième homme dans le système de survie du monoplace. Zut ! Je regrette de n’y avoir pas pensé. Nous aurions été deux à faire la connaissance de l’intrus.
— Cela n’a probablement pas d’importance. L’intrus est parti. C’est un vaisseau mort. » Néanmoins, Nate avait l’air mal à l’aise.
« Et combien de gens a-t-il laissés derrière ? Je n’ai jamais beaucoup cru que l’intrus naviguerait tout seul en monoplace entre les étoiles. Trop poétique. N’importe. Tina, donnez-nous cinq secondes de poussée sous la tuyère de fusion. »
Tina arrondit les épaules et alluma les jets de son réacteur dorsal. D’autres flammes jaillirent en avant sous la coque. Le vieux monoplace se souleva lentement entre les grandes portes.
« Okay, Nate, montez vite à bord. Veillez à conserver le Bœuf entre vous et l’intrus à tout moment. Espérons qu’il ne possède pas de radar de profondeur. »
Impossible à l’un et à l’autre de voir le froncement de sourcils de Tina.
La taille moyenne des femmes de la Zone était d’un mètre quatre-vingts ; mais elles avaient tendance à être minces et élancées. Tina Jordan mesurait un mètre quatre-vingts et était bâtie en proportion, à l’échelle terrienne. Elle avait des formes parfaites, et elle s’en enorgueillissait. Elle trouvait ennuyeux que les Zoniers la prissent encore pour une Terrienne.
Elle avait quitté la Terre à vingt et un ans. Depuis quatorze ans, elle vivait dans la Zone : sur Cérès, Junon, Mercure, à la station d’Héra en orbite rapprochée autour de Jupiter, et dans les troyens arrière. Elle considérait la Zone et le système solaire comme sa patrie. Elle se souciait fort peu de n’avoir jamais piloté de monoplaces. Beaucoup de Zoniers étaient dans son cas. Les mineurs en monoplace ne représentaient qu’un aspect de l’économie de la Zone qui comprenait des chimistes, des physiciens nucléaires, des astrophysiciens, des hommes politiques, des astronomes, des employés de bureau, des marchands et… des programmeurs d’ordinateurs.
Elle avait toujours entendu dire que, dans la Zone, les femmes n’étaient victimes d’aucun préjugé défavorable. Et c’était vrai ! Sur la Terre, des femmes occupaient encore des emplois mal rétribués. Les employeurs prétendaient que certains travaux nécessitaient de la force physique, ou qu’une femme les quitterait pour se marier au moment le plus opportun, ou même qu’une femme qui travaillait rendait sa famille malheureuse. Dans la Zone, il en allait autrement ; et Tina en avait été plus surprise que réjouie. Elle s’était attendue à être déçue.
Et voilà qu’une femme, programmeuse d’ordinateur, était l’élément le plus important du personnel du Bœuf . C’était à la fois une crainte et une joie. La crainte était pour Nate, qui était trop jeune pour courir un tel risque ; car un Zonier avait déjà rencontré l’intrus, et nul n’en avait plus entendu parler depuis.
Mais que faisait Nate à bord du monoplace ?
Elle aida Einar à retirer son scaphandre – il était une montagne de chair ; jamais, il n’aurait pu se soulever contre la pesanteur de la Terre – puis elle le laissa faire la même chose pour elle.
« Je croyais, dit-elle, que ce serait Nate qui aborderait l’intrus. »
Einar parut étonné. « Quoi ? Non. Ce sera vous.
— Mais… » Elle chercha ses mots, et elle les trouva avec horreur. « Mais je suis une femme . » Elle se tut.
« Réfléchissez, reprit Einar en se forçant à la patience. Le vaisseau pourrait ne pas être vide. Monter à bord risque d’être dangereux.
— En effet ! dit-elle avec énergie.
— « Voilà pourquoi nous assurerons à quiconque montera à bord toute la protection dont nous disposons. Le Bœuf fait partie de cette protection. Je garderai le moteur atomique en marche ; il devrait suffire à pulvériser le salaud s’il essayait je ne sais quoi, et le com-laser, à cette portée, le perforerait de part en part. Mais il y a une chance pour que le Bœuf soit lui aussi anéanti.
— Le monoplace monte donc la garde. » Tina fit un geste comme pour écarter le sujet. « J’avais découvert cela toute seule. Je pensais que je…
— Non, ne dites pas de bêtises. Vous n’avez jamais piloté un monoplace dans toute votre existence. Ici, je n’ai guère le choix. J’avais envisagé de laisser Nate piloter le Bœuf ; mais quoi ! C’est mon astronef, et il connaît les monoplaces. Je ne pouvais pas vous confier l’un ou l’autre de ces postes.
— Non, bien sûr. » Elle était calme, apparemment, mais une boule glacée de peur s’installait dans son ventre.
« De toute façon, vous êtes le meilleur choix. Vous serez celle qui établira le contact avec l’intrus ; vous essaierez d’apprendre sa langue. En dehors de cela, vous êtes une Terrienne et, physiquement, la plus robuste d’entre nous. »
Tina approuva d’un geste saccadé de la tête.
« Vous auriez pu ne pas venir, vous savez.
— Oh ! Ce n’est pas cela ! Vous ne croyez pas, j’espère, que je songeais à mourir. Tout simplement… je ne m’étais pas…
— Non, vous ne vous étiez pas donné la peine de réfléchir. Il faudra vous habituer à réfléchir, en vivant dans la Zone », dit gentiment Einar. Maudit bonhomme !
La poussière de Mars est unique.
Son unicité est le résultat de la cimentation du vide. Il fut un temps où la cimentation du vide était le croque-mitaine des industries de l’espace. De petits composants de sonde spatiale, qui dans l’air glisseraient aisément les uns sur les autres, se soudaient solidement dans le vide, dès que les gaz absorbés par leurs surfaces pouvaient s’évaporer. La cimentation du vide a fondu des éléments dans les premiers satellites américains et dans les premières sondes interplanétaires soviétiques. La cimentation du vide empêche la Lune d’être profondément enfouie sous la poussière des météores. Les particules se soudent en une roche craquante, en un ciment naturel, sous la même attraction moléculaire qui soude les blocs de Johanssen et transforme la vase des fonds marins en roches sédimentaires.
Mais sur Mars, il y a juste assez d’atmosphère pour arrêter ce processus et pas tout à fait assez pour arrêter un météore. Une poussière de météores recouvre presque toute la planète. Les météores peuvent fondre la poussière en cratères, mais elle ne se cimente pas, bien qu’elle soit assez fine pour couler comme de l’huile visqueuse.
« Cette poussière va être notre plus gros problème, dit Luke. L’Intrus n’a même pas eu besoin de se creuser un trou. Il a pu s’enfoncer n’importe où. »
Nick coupa l’émetteur laser qui, après deux jours d’usage, était brûlant. « Il aurait pu se dissimuler n’importe où dans le Système, mais il a choisi Mars. Il devait avoir une raison. Peut-être s’agit-il de quelque chose d’impossible à faire sous la poussière. Ce qui le situerait dans un cratère ou sur une montagne.
— Il aurait été repéré. « Luke regarda une photographie tirée de la mémoire du pilote automatique et prise par un groupe près du piège à contrebandiers. Elle représentait un œuf métallique vaguement luisant dont le petit bout était pointu. L’œuf se déplaçait le gros bout en avant, et il filait comme s’il était propulsé par une fusée. Mais il n’y avait pas de jet de propulsion, du moins aucun qui aurait pu être détecté par un instrument.
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