Robert A. Heinlein
Étoiles, garde-à-vous !
Au « juteux » Arthur George Smith, soldat, citoyen, homme de science, et à tous les adjudants de tous les temps qui ont œuvré pour faire de jeunes garçons des hommes.
R. A. H.
Le traducteur et les éditions « J’ai Lu » remercient M. Guy Béart de les avoir aimablement autorisés à reprendre, pour le présent ouvrage, le titre d’une de ses chansons.
En avant, tas de babouins ! Vous vous croyez immortels ?
Un adjudant anonyme de la Grande Guerre, 1918.
A chaque fois, avant de sauter, j’ai les chocottes. J’ai eu droit à la préparation hypnotique et à toutes les injections et, raisonnablement, on pourrait penser que je ne peux pas avoir peur. Le psychiatre du vaisseau, qui a analysé mes ondes cérébrales et qui m’a posé des tas de questions idiotes pendant que je dormais, m’a dit que ça n’a rien à voir avec la peur, que c’est un peu comme le tremblement d’un cheval de course dans le starting-gate.
Pour ça, je ne peux pas dire. Je n’ai jamais été dans la peau d’un cheval de course. Ça ne change rien : j’ai bêtement la trouille, chaque fois.
A moins 30, on était entassés dans la chambre de saut du Rodger Young et c’est là que notre chef de section nous a passés en revue. D’habitude, c’était le lieutenant Rasczak, mais il s’était fait avoir au dernier saut et c’est l’adjudant Jelal qui le remplaçait. Jelly était un Finno turc d’Iskander, dans le système de Proxima. Un type râblé et noiraud qui avait la tête d’un prêtre. Je l’avais vu régler leur compte à deux soldats qui piquaient une crise. Les types étaient tellement plus grands que lui qu’il avait dû lever les mains pour les empoigner. Il leur avait fait cogner la tête, comme deux noix de coco, et il avait juste reculé d’un pas comme ça, pendant que les deux types s’écroulaient.
En dehors du service, ça n’était pas le mauvais bougre, mais là, il était en service. On avait tous vérifié notre équipement de combat. Après tout, c’était de notre peau qu’il s’agissait, non ? Et le sergent-chef lui-même avait fait une inspection après le rassemblement. Mais c’était Jelly qui était là, maintenant, l’air mauvais, le regard aux aguets. Il ne laissait rien passer. Il s’est arrêté devant le gars qui me faisait face et il a appuyé sur le bouton qui indiquait son état physique sur son ceinturon.
— Dégage !
— Mais, mon adjudant, c’est un rhume ! Le toubib a dit…
— Mais mon adjudant ! a gueulé Jelly. Le toubib ne saute pas, lui, et personne ne sautera, même avec trois degrés de fièvre ! Parce que vous croyez que j’ai le temps de discuter en ce moment ?… Allez, dégage !
Et Jenkins nous a laissés. Il avait l’air furieux et triste. Je ne me sentais pas tellement à l’aise, moi non plus. Parce que, depuis que le lieutenant avait dégusté, la dernière fois, avec tous les décalages que ça avait provoqué, je me retrouvais adjoint au chef du deuxième groupe pour ce saut. Et le trou laissé par Jenkins, je n’avais aucun moyen de le combler. Très mauvais. Si jamais un de nos gars tombait dans un sale coup et qu’il demande de l’aide, je n’aurais personne à lui envoyer.
Jelly ne s’est pas attardé sur les autres. Il s’est retourné, a regardé notre rang et a secoué la tête d’un air accablé.
— Quel tas de pouilleux ! Peut-être que si vous dégustez ce coup-ci, on pourra mettre sur pied l’équipe que le lieutenant voulait. Mais y a peu de chances… avec les recrues qu’on nous envoie tous ces temps-ci.
Brusquement, il s’est redressé et a braillé :
— Je tiens seulement à vous rappeler, faces de singes, ce que chacun de vous a coûté au gouvernement, en comptant les armes, les munitions, le matériel, tout, l’entraînement et ce que vous goinfrez !… En gros, comme ça sur pied, vous valez chacun un demi-million ! Si vous ajoutez les trente-cinq cents de votre peau, ça fait un joli paquet ! (Il nous foudroya du regard :) Alors, ramenez-moi tout ça ! On peut se passer de votre viande, mais pas des tenues mignonnes que vous avez sur le cul ! Et je ne veux pas de héros. Ça n’aurait pas été du goût du lieutenant. Vous avez un boulot à faire, c’est tout. Alors vous sautez, vous le faites, vous ouvrez bien grand vos oreilles et, quand je vous rappelle, vous vous pointez pour rembarquer en vitesse et en ordre. C’est vu ? (Une fois encore, il promena sur nous son regard méchant :) Vous êtes censés connaître le plan d’attaque, mais certains d’entre vous n’ont même pas assez de cervelle pour l’hypno, alors je vais vous refaire un topo. Vous allez être largués en tirailleurs, sur deux lignes, à intervalle de deux mille mètres. Dès que vous touchez le sol, vous prenez vos repères et vos distances sur moi et sur les gars de votre peloton, des deux côtés. Vous vous planquez. Ça fera déjà dix secondes de perdues et vous n’aurez qu’une chose à faire : bousiller tout ce qui se trouvera à votre portée jusqu’à ce que les types de flanc décrochent.
(C’était de moi dont il était question. En tant qu’adjoint au chef de groupe, je me trouverais sur le flanc gauche, sans personne sur qui m’appuyer. C’est là que je me suis mis à trembler vraiment.)
— Quand les flancs-gardes auront décroché – redressez l’alignement ! — vous me rectifierez les intervalles ! Vous ne ferez que ça ! Vous aurez douze secondes. Puis vous progresserez par bonds, pair et impair. Les adjoints de groupes donneront la cadence et c’est eux qui dirigeront le bouclage. (Cette fois, il me regarda directement :) Si tout se passe correctement, et j’en doute, les flancs-gardes feront la jonction au moment du rappel. Ensuite, tout le monde à bord. Des questions ?
Pas de questions. Jamais. Alors, Jelly a repris :
— Encore un mot : il s’agit d’un raid, pas d’une bataille. On veut seulement leur faire la démonstration de notre puissance de feu, pour les terroriser. Notre mission, c’est de faire savoir à l’ennemi qu’on aurait pu détruire toute la ville, mais qu’on ne l’a pas fait. Il faut qu’ils comprennent qu’ils ne sont plus en sécurité, même si nous cessons les bombardements massifs. Vous ne ferez pas de prisonniers. Ne tuez que lorsque c’est nécessaire. Mais toute la zone couverte doit être ravagée. Vous m’avez compris, fainéants ? Je ne veux voir personne revenir avec une bombe. (Nouveau regard méchant, au bon moment :) Les Têtes Dures de Rasczak ont une réputation à soutenir. Avant de se faire descendre, le lieutenant m’a demandé de vous dire qu’il serait sur votre dos à chaque seconde… et qu’il comptait bien sur vous pour casser la baraque !
Sur ce, Jelly s’est tourné vers l’adjudant Migliaccio, chef du premier groupe :
— Cinq minutes pour le Padre.
Quelques-uns des gars ont quitté le rang et sont allés s’agenouiller devant Migliaccio. Ils n’étaient pas tous de sa confession. Il y avait des Musulmans, des Chrétiens, des Juifs et des Gnostiques. Tout ce qu’ils voulaient, c’est lui dire un mot, juste avant de sauter. Il était là pour ça. J’ai bien entendu parler de certaines unités dont les aumôniers ne se battent pas au côté des autres, mais je ne vois pas comment ça peut marcher. Comment un aumônier peut-il donner sa bénédiction pour une chose qu’il n’est pas prêt à accomplir lui-même ? En tout cas, tout ce que je sais, c’est que dans l’Infanterie Mobile, tout le monde saute et tout le monde va au combat. L’aumônier, le cuistot comme le secrétaire du Vieux. Une fois qu’on nous aurait largués, il ne resterait pas une seule Tête Dure à bord – à l’exception de Jenkins, mais ce n’était pas sa faute.
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