— Estimation du délai avant contact : vingt minutes. »
Les spectres de l’ Écume de guerre atteignirent finalement le croiseur de combat syndic déjà gravement endommagé par les mines et franchirent ses défenses sans être inquiétés par les boucliers. Quatre explosions monstrueuses s’épanouirent à son bord, anéantissant tous ses systèmes opérationnels et le réduisant à l’état d’épave.
Les forces syndics survivantes étaient désormais largement surpassées en nombre mais elles présentaient une formation nettement plus déployée. Si ni leur commandant en chef ni Geary ne modifiaient leur disposition, celle de l’Alliance ne frapperait que la moitié des bâtiments syndics qu’elle affrontait. Geary voyait mal comment son adversaire pourrait s’y résoudre, puisqu’elle garantirait à la flotte de l’Alliance une puissance de feu dévastatrice au point de contact.
« Les Syndics modifient de nouveau leur trajectoire. Vers le bas et bâbord, semble-t-il. »
Sur l’écran de Geary, la formation ennemie pivotait de nouveau et s’éloignait en adoptant une trajectoire ascendante pour présenter son flanc aplati à celui de l’Alliance qui la frôlerait. La manœuvre n’était pas stupide, reconnut Geary. Le commandant adverse n’était manifestement pas un imbécile. « À toutes les unités : pivotez sur tribord de quatre-vingt-dix degrés et descendez de soixante à T soixante. Détachement Furieux, ajustez votre trajectoire de manière à interdire aux Syndics de rallier le point de saut vers Tavika. » Il devait partir du principe qu’ils rompraient pour fuir et, dans la mesure où le champ de mines de l’Alliance s’interposait désormais entre eux et leur point d’émergence, celui qui menait à Tavika restait leur seule solution acceptable.
« Huit minutes avant contact. »
Les vaisseaux ennemis avaient cessé de rouler et chacun pivotait dans sa formation pour présenter sa proue à la flotte, de sorte qu’ils se déplaçaient obliquement à l’intérieur de leur rectangle, dont le côté aplati s’orientait presque verticalement face à l’ennemi.
Geary envisagea un instant de faire un usage fantaisiste de la puissance de feu de son vaisseau puis vota contre. « À toutes les unités : usez à discrétion de votre armement. Ciblez en priorité les bâtiments lourds. Maintenez la formation sauf pour esquiver les tirs ennemis. Permission d’ouvrir le feu accordée dès que se présentent des occasions favorables.
— Contact dans six minutes. »
Craignant sans doute de se laisser surprendre au beau milieu d’une nouvelle manœuvre, les Syndics en étaient encore à assumer la formation quand la flotte de l’Alliance passa à leur portée. Geary regarda les deux forces se précipiter l’une vers l’autre sur son écran : l’hémisphère de celle de l’Alliance enveloppait déjà la moitié arrière de la formation syndic. Il avait assigné une position à ses vaisseaux et à sa flotte, autorisé ses commandants à tirer, et il ne lui restait plus qu’à assister au choc.
« L’ennemi tire », signala sans nécessité la vigie des armements ; des alarmes s’allumaient déjà sur l’écran de Geary. De la mitraille, concentrée sur les zones que traverseraient bientôt certains de ses vaisseaux et tirée à très courte portée. Geary espérait que ses commandants sauraient profiter du bref délai qui leur était accordé pour modifier légèrement leur trajectoire et esquiver le plus gros de ce tir de barrage. D’autres symboles d’alarme s’allumèrent sur l’hologramme : des missiles.
Sur l’écran en visuel, des points lumineux commencèrent de crépiter à mesure que la mitraille des Syndics frappait les boucliers de l’Alliance. Geary vit tirer ses propres vaisseaux ; pour les plus éloignés, les données ne lui parvenaient qu’au bout d’un délai de plusieurs secondes.
Les yeux du capitaine Desjani étaient rivés sur son propre écran. Elle mit en surbrillance un cuirassé syndic : « Notre cible, avisa-t-elle son personnel. Démolissons-la. »
Les parois de la coupe de l’Alliance mordaient dans le rectangle syndic ; chacun de ses vaisseaux n’était exposé que très brièvement au feu de l’ennemi pendant son passage, tandis que, dans le même temps, ceux des Syndics essuyaient leur tir en continu. Leurs unités les plus légères, déchiquetées par ces coups cumulés, flamboyaient et mouraient tout autour des îlots plus solides constitués de gros vaisseaux rescapés.
Puis le corps principal de l’Alliance entra en contact avec l’ennemi.
Au terme de très longues minutes d’attente, et à mesure qu’étaient grignotées les dernières distances, pourtant encore énormes, les engagements effectifs se firent d’une rapidité déconcertante. Sans la capacité des systèmes de combat à acquérir leur cible et à tirer à une vitesse surhumaine, sans doute n’aurait-on dénombré aucune victime, les deux flottes s’interpénétrant à des vélocités frisant une fraction respectable de celle de la lumière. Geary eut l’impression que le combat n’avait duré que le temps d’un clin d’œil, alors que l’ Indomptable vibrait encore des impacts amortis par ses boucliers et rendait déjà compte de dommages causés par une frappe occasionnelle qui avait profité d’un de leurs fléchissements.
Derrière lui, le cuirassé syndic ciblé par Desjani avait aussi essuyé le tir de nombreux autres vaisseaux de l’Alliance, dont l’Audacieux, le Terrible et le Victorieux. Sous ce déluge de feu, le puissant cuirassé de classe S avait perdu tout d’abord ses boucliers puis avait été criblé de coups. L’un d’eux l’avait salement touché et son réacteur explosa au moment où quelques bâtiments de l’Alliance s’en rapprochaient.
Ils étaient beaucoup trop près quand ça se produisit. Geary fixait son écran et constata que le Terrible, le croiseur de combat qui formait l’arrière-garde de la formation de l’Alliance, avait frôlé le cuirassé syndic en le martelant à très courte portée de ses lances de l’enfer. Le Terrible, avait lui aussi essuyé de nombreux impacts, qui avaient considérablement affaibli ses boucliers. L’onde de choc de l’explosion du cuirassé se répandit, frappa le croiseur de l’Alliance comme un poing de géant et l’envoya bouler au loin. Il aurait sans doute pu s’en remettre si un des croiseurs de combat rescapés du Syndic ne s’était pas trouvé tout près et sur la pire trajectoire possible. Même les ordinateurs ultrarapides responsables des manœuvres des vaisseaux n’auraient pu éviter cette collision-là. Geary y assista horrifié.
À une vélocité relative d’environ 0,06 c, soit à peu près dix-huit mille kilomètres par seconde, l’impact transforma les deux vaisseaux en une unique et gigantesque boule de chaleur, de lumière et de débris scintillants sur le fond noir de l’espace, nébuleuse créée de la main de l’homme qui illuminerait brièvement le vide du système d’Ilion.
Un cri de stupeur et de désarroi monta de la passerelle de l’ Indomptable. Geary entendit une voix répéter par trois fois le mot « Malheur ! » et se rendit compte que c’était la sienne. « Puissent vos ancêtres vous protéger et les vivantes étoiles vous accueillir en leur sein », ajouta-t-il à l’intention des spatiaux disparus.
Afin d’obliger son équipage à reprendre ses esprits, Desjani, visiblement ébranlée pour la première fois depuis qu’ils s’étaient échappés du système mère du Syndic (du moins si Geary se fiait à sa mémoire), beugla quelques ordres : « Rapport d’avaries !
— Dommages mineurs au fuselage, lança une vigie d’une voix mal assurée. Aucun système touché. »
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