— Les Syndics demeurent l’ennemi, souligna Geary. Tant que nous gardons cela en tête, les choses ne devraient pas être trop compliquées.
— Vous me demandez de respecter une politicienne, lui rappela-t-elle. Ce ne sera ni simple ni facile. »
Geary la dévisagea longuement en s’efforçant de comprendre comment des officiers de la flotte comme Desjani pouvaient rester fidèles à l’Alliance tout en méprisant ses dirigeants élus. C’était certes dû en partie à un besoin bien humain d’attribuer à d’autres la responsabilité des échecs de cette guerre, mais Rione elle-même avait reconnu en sa présence que les leaders politiques de l’Alliance méritaient d’endosser la pleine culpabilité des décisions prises au cours du dernier siècle. Officier convaincu que le respect était automatiquement dû aux dirigeants élus et acceptant difficilement qu’il pût en être autrement, sans doute était-il lui-même un vivant anachronisme. « Vous allez devoir vous fier à moi, j’imagine, quand je vous affirme que nous pouvons lui faire confiance. »
Desjani lâcha un petit bruit méprisant. « Je ferai de mon mieux pour lui témoigner tout le respect qui lui est dû puisque c’est mon devoir d’officier et que vous vous portez garant pour elle, mais ne vous attendez pas à ce que je lui fasse confiance. » Elle recula d’un pas vers l’écoutille, sans le quitter des yeux. « J’accepte votre opinion parce que je me fie à vous. »
Des centaines de vaisseaux et de spatiaux se fiaient à lui pour les ramener chez eux, le sort de l’Alliance, voire celui de l’humanité elle-même, reposait sur ses décisions, mais seule lui importait la confiance que lui accordait cette femme. Rione lui avait déclaré une fois que les gens ne se battent jamais vraiment pour une grande cause ou des projets grandioses, mais pour les raisons les plus personnelles et qui les touchent de plus près. Sans doute se targuaient-ils de combattre pour des idéaux élevés, mais, en pratique, ils le faisaient pour leurs camarades sur le champ de bataille et pour les êtres chers qu’ils avaient laissés chez eux. Il reporta le regard sur l’hologramme des étoiles, se focalisa sur Héradao puis, au-delà, sur Padronis, Atalia et enfin Varandal.
Si près. Ils étaient arrivés jusque-là. En dépit des obstacles qui les guettaient peut-être à Héradao, il veillerait à ce que la flotte franchît le reste du chemin.
Parce que d’innombrables gens se fiaient à sa capacité à les ramener chez eux. Dont Tanya Desjani.
Il fallait absolument tenir une autre réunion stratégique avant de quitter Dilawa. Une fois dans l’espace du saut, seuls des messages brefs et simples pouvaient être transmis d’un vaisseau à l’autre. Auparavant, Geary devait impérativement consulter un groupe restreint d’officiers triés sur le volet.
Il prit de nouveau place dans la salle de conférence, mais, cette fois, la table ne semblait pas beaucoup plus longue qu’en réalité. Les images des capitaines Duellos, Tulev et Cresida, ainsi que les personnes réelles de Geary, Desjani et Rione, étaient installées tout autour. « Nous nous rapprochons de chez nous, commença-t-il. Mais nous n’y sommes pas encore et je m’attends à une bataille sanglante à Héradao ou dans un des systèmes stellaires syndics qu’il nous reste à traverser. Nous pouvons raisonnablement prévoir que nous triompherons des Syndics. Ce que nous ignorons encore, c’est comment les extraterrestres réagiront au retour de cette flotte chez elle. »
Tulev opina lentement. Le visage impassible, il évoquait un taureau. « Ils ont tenté d’assurer la défaite et la destruction de cette flotte à Lakota. Autant dire qu’ils ne seront pas contents de nous voir rentrer.
— Mais que feront-ils ? se demanda Cresida. Si nos spéculations sont exactes, ils pourraient déclencher l’effondrement de tous les portails de l’hypernet dans l’espace colonisé par l’homme. S’y résoudront-ils effectivement à notre retour ?
— C’est un de mes sujets d’inquiétude, affirma Geary.
— Nous aurons un peu de temps devant nous », déclara Rione, calmement mais avec assurance. Tous lui jetèrent un regard interrogateur, de sorte qu’elle montra d’un geste l’hologramme qui flottait au-dessus de la table. « Songez avant tout à ce que nous savons de leurs tactiques. Ils ne donnent pas l’impression d’avoir agi directement contre nous ou les Syndics. Ils ont préféré nous pousser à nous entretuer par la ruse.
— C’est assez vrai, convint Duellos.
— Bon, que savent-ils de cette flotte ? poursuivit Rione. Que nous avons appris l’emploi potentiel des portails de l’hypernet comme une arme extrêmement puissante. Ces extraterrestres disposent-ils d’agents ou de sources de renseignement dans l’espace de l’Alliance, serait-ce sous la forme de virus informatiques ou de robots ? Il faut le présumer.
— Ils ont réussi à en infiltrer dans les systèmes de nos vaisseaux, fit remarquer Cresida. Ces vers basés sur les probabilités au niveau quantique. Nous pensons les avoir tous trouvés et neutralisés, mais, pour autant que nous le sachions, ils peuvent en activer d’autres, à moins que certains événements n’en déclenchent de nouveaux.
— Exactement. » Rione désigna un secteur de l’hologramme par-delà l’espace syndic. « Ils nous observaient. Ils ont vu comment nous réagissions. En se fondant sur ces observations, les extraterrestres peuvent raisonnablement parvenir à la conclusion que l’Alliance, une fois au courant de l’existence de ces armes, optera pour les employer. »
Cresida montra les dents. « Je crois que vous avez raison, madame la coprésidente. Ils attendront de voir si nous apprenons à nos hiérarchies politique et militaire que les portails des systèmes stellaires syndics peuvent être utilisés pour balayer l’ennemi. Et si ces autorités choisissent d’y recourir. Si j’avais observé la progression de cette guerre pendant un siècle, je me persuaderais volontiers que, tôt ou tard, un des deux camps finira par se décider, de sorte que l’autre ripostera avec la même vigueur.
— Merci, capitaine Cresida, fit Rione. Après quoi ils n’auront plus qu’à se tourner les pouces et à regarder l’Alliance anéantir l’un après l’autre les systèmes syndics, puis les Syndics exercer des représailles à la même échelle. Ils n’auront même pas à lever le petit doigt pendant que l’humanité s’anéantira elle-même avec les armes qu’ils lui auront fournies. »
Geary hocha la tête, un goût acide dans la gorge. « Ils attendront donc un moment de voir ce que nous faisons. Ça nous laisse effectivement un peu de temps.
— Pas énormément, capitaine Geary. » Rione fixait l’hologramme, le visage assombri. « J’ai émis cette hypothèse à la lumière de ce que nous avons cru deviner sur les débuts de cette guerre et le fait que les extraterrestres avaient incité par la ruse les Syndics à nous attaquer en leur faisant miroiter une alliance. Mais les Syndics étaient-ils poussés par la cupidité, ou bien les extraterrestres leur ont-ils fait croire, en leur racontant des salades, que cette agression était une bonne idée ?
— Qu’auraient-ils bien pu leur raconter ? » s’enquit Desjani.
Rione lui jeta un regard assez glacial pour liquéfier l’oxygène. « Tout et n’importe quoi. De fausses informations. Que l’Alliance comptait les attaquer, par exemple.
— Nous ne disposions pas à l’époque des forces qui auraient pu nous le permettre, argua Geary.
— Les Syndics n’en savaient rien, déclara Rione, sarcastique. Pourquoi n’auraient-ils pas été disposés à croire que l’Alliance dissimulait ses capacités militaires réelles ? Mais ces détails sont sans importance. Ne nous laissons pas aveugler par eux. Les extraterrestres ont dupé une première fois les Syndics et les ont poussés à nous attaquer. Ils peuvent recommencer.
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