— À Meereen. » Paisselande fit signe à son écuyer. « Watkyn, une serviette. L’eau devient froide et mes orteils sont fripés comme des raisins secs. Non, pas cette serviette-là. La douce.
— Tu as refusé, dit Griff.
— Je lui ai répondu que je réfléchirais à sa proposition. » Harry fit la grimace tandis que son écuyer lui essuyait les pieds. « Doucement, avec les orteils. Traite-les comme des grains de raisin à la peau délicate, petit. Tu dois les sécher sans les écraser. Tapote , ne frotte pas. Voilà, oui, comme ça. » Il se retourna vers Griff. « Refuser brutalement n’aurait pas été sage. Les hommes pourraient à bon droit se demander si j’avais perdu la tête.
— Vous ne tarderez pas à avoir de l’emploi pour vos lames.
— Vraiment ? interrogea Lysono Maar. Vous savez, je suppose, que la Targaryen n’a pas encore pris la route vers l’ouest ?
— Nous avons entendu cette fable à Selhorys.
— Ce n’est pas une fable. Une simple vérité. La raison en est plus difficile à saisir. Mettre Meereen à sac, certes, pourquoi pas ? J’aurais agi de même à sa place. Les cités esclavagistes puent l’or, et les conquêtes exigent de l’argent. Mais pourquoi traîner ? La peur ? La folie ? La mollesse ?
— Peu importe la raison. » Harry Paisselande déroula une paire de bas de laine rayés. « Elle est à Meereen et nous, ici, où les Volantains sont chaque jour moins ravis de notre présence. Nous sommes venus proclamer un roi et une reine qui nous ramèneraient chez nous à Westeros, mais cette Targaryen semble plus soucieuse de planter des oliviers que de revendiquer le trône de son père. Pendant ce temps, ses ennemis se massent. Yunkaï, la Nouvelle-Ghis, Tolos. Barbesang et le Prince en Guenilles se rangeront tous les deux sur le champ de bataille contre elle… Et bientôt, les flottes de l’antique Volantis vont également fondre sur elle. De quoi dispose-t-elle ? D’esclaves de plaisir armés de bâtons ?
— Des Immaculés, corrigea Griff. Et des dragons.
— Des dragons, certes, admit le capitaine général. Mais jeunes encore, récemment éclos. » Paisselande glissa délicatement le bas sur ses ampoules, et le long de sa cheville. « À quoi lui serviront-ils quand toutes ces armées se refermeront comme un poing sur sa ville ? »
Tristan Rivers tambourinait de ses doigts contre son genou. « Raison de plus pour la rejoindre en toute hâte, selon moi. Si Daenerys ne vient pas à nous, nous devons aller à Daenerys.
— Savons-nous marcher sur les vagues, ser ? s’enquit Lysono Maar. Je vous le répète, nous ne pouvons atteindre la reine d’argent par voie de mer. Je me suis personnellement introduit dans Volantis, en me faisant passer pour un négociant, afin de déterminer de combien de vaisseaux nous pourrions disposer. Le port regorge de galères, de cogues et de caraques de toutes sortes et de toutes tailles, et pourtant, je me suis vite vu contraint de traiter avec des contrebandiers et des pirates. Nous avons dix mille hommes dans la compagnie, comme lord Connington s’en souvient, j’en suis sûr, après ses années de service chez nous. Cinq cents chevaliers, chacun avec trois chevaux. Cinq cents écuyers, avec une monture chacun. Et des éléphants, n’oublions surtout pas les éléphants. Un navire pirate ne suffira pas. Nous aurions besoin d’une flotte pirate… Et même si nous en trouvions une, la nouvelle s’est propagée depuis la baie des Serfs : Meereen est soumise à un blocus.
— Nous pourrions feindre d’accepter l’offre des Yunkaïis, le pressa Gorys Edoryen. Les laisser nous transporter jusqu’en Orient, puis leur restituer leur or sous les remparts de Meereen.
— Un contrat rompu est une tache suffisante sur l’honneur de la compagnie. » Harry Sans-Terre s’arrêta, son pied dolent en main. « Laisse-moi te rappeler que c’est Myles Tignac qui a scellé ce pacte secret, pas moi. J’honorerais cet accord, si je le pouvais, mais comment ? Il me semble évident que la Targaryen ne retournera jamais à l’Ouest. Westeros était le royaume de son père. Le sien est à Meereen. Si elle arrive à briser les Yunkaïis, elle sera reine de la baie des Serfs. Sinon, elle mourra longtemps avant que nous puissions espérer l’atteindre. »
Ses paroles ne surprenaient guère Griff. Harry Paisselande avait toujours été un homme jovial, meilleur à travailler les contrats que l’ennemi. Il avait du flair en matière d’or, mais savoir s’il avait des tripes pour la bataille, c’était un autre problème.
« Y a la voie de terre, suggéra Franklyn Flowers.
— La route des démons, c’est la mort. Les désertions nous feront perdre la moitié de la compagnie, si nous nous lançons dans cette marche, et nous enterrerons la moitié de ce qui reste au bord de la route. Il m’en coûte de le dire, mais maître Illyrio et ses amis ont peut-être été mal avisés de placer tant d’espoirs en cette enfant reine. »
Non, se dit Griff, mais ils ont été fort mal avisés de placer leurs espoirs en toi.
C’est alors que le prince Aegon prit la parole. « En ce cas, placez vos espoirs en moi. Daenerys est la sœur du prince Rhaegar, mais je suis le fils de Rhaegar. Je suis le seul dragon dont vous ayez besoin. »
Griff posa une main gantée de noir sur l’épaule du prince Aegon. « Hardiment répondu, mais réfléchissez à ce que vous dites.
— Je l’ai fait, insista le jeune homme. Pourquoi devrais-je courir auprès de ma tante comme si j’étais un mendiant ? Mon droit surpasse le sien. À elle de venir à moi… à Westeros. »
Franklyn Flowers éclata de rire. « Ça, ça me plaît. Naviguer vers l’ouest, et pas vers l’est. Laisser la p’tite reine à ses oliviers et asseoir le prince Aegon sur le Trône de Fer. Le gamin a des couilles, faut lui r’connaître ça. »
Le capitaine général donnait l’impression d’avoir été giflé. « C’est le soleil qui t’a tourné la cervelle, Flowers ? On a besoin de cette fille. On a besoin du mariage. Si Daenerys accepte notre petit prince et le prend pour consort, les Sept Couronnes en feront autant. Sans elle, les lords vont se foutre des revendications d’Aegon et le traiter de faussaire et d’escroc. Et comment vous proposez-vous de rejoindre Westeros ? Vous avez entendu Lysono. On peut pas trouver de navire. »
Cet homme a peur de se battre , comprit Griff. Comment ont-ils pu le choisir pour prendre la place de Cœurnoir ? « Pas de navires pour la baie des Serfs. Westeros, c’est une autre affaire. L’Orient nous est fermé, pas la mer. Les triarques seraient ravis de nous voir partir, je n’en doute pas. Ils pourraient même nous aider à arranger la traversée du retour vers les Sept Couronnes. Aucune cité n’aime avoir une armée sur le pas de sa porte.
— Il n’a pas tort, observa Lysono Maar.
— Désormais, le lion a dû flairer l’odeur du dragon, déclara un des Cole, mais l’attention de Cersei sera fixée sur Meereen et sur cette autre reine. Elle ne sait rien de notre prince. Une fois que nous aurons débarqué et que nous lèverons nos bannières, ils seront beaucoup à venir nous rejoindre.
— Certains, reconnut Harry Sans-Terre, pas beaucoup. La sœur de Rhaegar a des dragons. Pas le fils de Rhaegar. Nous n’avons pas assez de forces pour prendre le royaume sans Daenerys et son armée. Ses Immaculés.
— Le premier Aegon a pris Westeros sans eunuques, répliqua Lysono Maar. Pourquoi le sixième n’en ferait-il pas autant ?
— Le plan…
— Quel plan ? voulut savoir Tristan Rivers. Le plan du pansu ? Celui qui se métamorphose à chaque changement de lune ? C’était d’abord Viserys Targaryen qui devait se joindre à nous, soutenu par cinquante mille gueulards dothrakis. Puis, le Roi Gueux étant mort, ce devait être la sœur, une jeune reine enfant malléable qui se dirigeait vers Pentos avec trois dragons nouvellement éclos. Mais voilà que la garce se retrouve dans la baie des Serfs et laisse dans son sillage un chapelet de cités incendiées, et notre pansu décide que nous devrions aller à sa rencontre à Volantis. Maintenant, ce plan aussi est en ruine.
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