La fée qui m’avait donné la canne, un vieil homme, s’est avancée.
« Fais, restez ensemble, a dit Glorfindel. Restez.
— Non ! ai-je dit. Ce n’est pas ce que je veux. Ce n’est pas ce que tu veux non plus. À mi-chemin, as-tu dit, à Halloween. J’aurais pu le faire alors si tu l’avais voulu.
— Reste. Guéris. Réunis », a dit Glorfindel.
Le vieil homme a touché ma canne, qui s’est transformée en couteau, un couteau de bois affilé. Il a mimé le fait de me le plonger dans le cœur.
« Non ! » ai-je dit, et je l’ai lâchée.
« Vis, a dit Glorfindel. Parmi. Ensemble.
— Non ! » J’ai commencé à m’éloigner du couteau, lentement, parce que bien sûr c’était aussi ma canne, et sans elle je ne pouvais bouger que lentement. Mor l’a ramassé et me l’a tendu.
« Après mourir, a dit le vieillard. Vivre parmi, devenir, rejoindre. Ensemble. Guérir. Force, atteindre, toucher, toujours sauves, toujours fortes, ensemble.
— Non, ai-je dit plus tranquillement. Écoutez, ce n’est pas ce que je veux. L’hiver dernier, peut-être, juste après l’accident, mais pas maintenant. Mor sait. Glorfindel sait. J’ai évolué. Des choses sont arrivées. J’ai changé. Vous pouvez me voir comme la moitié d’une paire brisée, et vous pouvez voir ma mort comme un moyen de recoller les morceaux et d’obtenir plus de prise sur le monde réel, mais ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Plus maintenant. J’ai entrepris de faire des choses.
— Faire c’est faire », a-t-il dit, ce que j’ai trouvé beaucoup moins rassurant que la dernière fois. « Aide. Réunis. Agis. »
Mor a tendu le couteau, la lame vers moi. Il y avait des fées tout autour de moi, des fées tangibles, substantielles, qui me poussaient vers le couteau. Je savais que le couteau était substantiel. Je m’étais appuyée dessus pendant des semaines. J’avais établi une connexion magique avec lui, comme lui avec moi.
« Non. Je ne veux pas, ai-je insisté. Un peu de sang et de magie pour aider Mor, pour vous aider, si ça vous aide, oui, j’ai accepté ça, mais pas de mourir. »
Que penserait Wim ? Pire, que penserait tante Teg, qui n’avait aucune idée des fées, qui croirait que j’étais montée ici sans rien dire et que je m’étais tuée ? Et Daniel ? « Je ne peux pas », ai-je dit.
J’ai essayé de m’écarter, de reculer, mais elles se pressaient contre moi, me poussaient vers la lame.
« Non », ai-je répété, fermement. Elles étaient tout autour de moi, et le couteau plus près que jamais, il voulait mon sang, ma vie, m’invitant à devenir une fée. Si j’étais une fée je pourrais voir en permanence la structure de la magie. Il n’y aurait plus de douleur, plus de larmes. Je comprendrais la magie. Je serais avec Mor, je serais Mor, nous serions une seule personne, réunies. Mais nous n’avions jamais vraiment été ça, et c’était tout. J’ai fait un pas en arrière et déclaré le plus calmement possible : « Non. Je ne veux pas être une fée. Je ne veux pas me joindre à vous. Je veux vivre et être une personne. Je veux grandir dans le monde. » Être calme m’a aidée, pour la même raison que la Litanie contre la peur marche, parce que la peur est ce dont se sert la magie. Et la rejeter de mon cœur aidait encore davantage, car une autre chose dont elle se servait était la partie de moi-même qui voulait devenir une fée, qui avait toujours voulu cela.
Devant moi, il y avait Mor et le couteau et, derrière elle, la mare. Tout autour de moi, les fées. J’ai tendu la main vers le couteau. Quoi qu’il soit d’autre, il était en bois, et le bois aime brûler, brûler est dans la nature du bois, son feu potentiel est le feu du soleil. Le soleil se couchait, mais le bois s’est enflammé, et j’étais une flamme, j’étais une flamme un moment contenue dans ma propre enveloppe, et puis j’ai été une immense flamme. La terre ici connaissait la flamme. Ici les flammes de l’enfer avaient brûlé, ici le charbon des mines avait été traité de façon à perdre sa fumée et ses poisons. Le charbon voulait brûler, il savait brûler encore mieux que le bois. Les fées m’avaient fui, toutes sauf Mor, qui tenait le couteau enflammé et, à travers lui, était connectée à moi. Nous étions deux immenses flammes symétriques.
Je n’avais pas de feuille de chêne et nous n’étions pas près de la porte de la mort, mais j’étais du feu et elle était du feu, et je possédais le schéma et je l’aimais. Elle n’était pas moi, mais elle était dans mon cœur, elle l’avait toujours été. « Tiens bon, Mor », ai-je dit et, bien qu’elle fut une flamme, elle a souri de son vrai sourire, le sourire qu’elle avait le matin de Noël quand Gramma était vivante et que nous nous réveillions pour voir les ballons accrochés dans le couloir qui voulaient dire que le Père Noël était passé et qu’il y avait des bas attendant d’être explorés. J’ai ouvert un espace entre la flamme et l’endroit où les morts tombaient suivant le schéma et je l’ai projetée dedans, avec le couteau, puis je l’ai refermé, me suis affaissée, ai étouffé les flammes jusqu’à ce que j’aie repris ma forme. Je brûlais encore, mais je savais comment arrêter les flammes, comment réintégrer la chair qui est la mienne. Il aurait été facile d’oublier, d’être consumée par la transformation. J’ai repris ma chair, et avec la chair est venue la douleur. Je n’avais même pas de brûlures superficielles, mais ma jambe protestait à force de soutenir tout mon poids.
Les fées s’étaient écartées, mais elles étaient toujours tout autour de moi. Glorfindel était lugubre et le vieil homme avait l’air en colère. « Adieu », ai-je dit, et j’ai reculé de plusieurs pas vers le haut de la colline. Le soleil s’était couché pendant que je parlais et tout était plongé dans l’ombre. Les fées disparaissaient. Je me suis retournée lentement.
Et elle était là, bien sûr, sur la route dans le crépuscule. Tante Gwennie devait lui avoir dit que j’étais là et elle avait probablement suivi l’effervescence parmi les fées pour me trouver.
Elle n’avait pas du tout changé. Elle a l’air d’une sorcière. Elle a de longs cheveux noirs et gras, une peau sombre, un nez crochu et une verrue sur la joue. On ne pourrait trouver personne qui ressemble davantage à une sorcière – quoique, bien sûr, les sœurs sont aussi des sorcières et elles sont impeccablement blondes et parfaitement bien élevées. Ses vêtements étaient typiques d’elle – c’est-à-dire tout ce qui lui tombait sous la main en comptant trois par trois dans la penderie. Ça lui permet de trouver les choses les plus chargées magiquement, ou du moins c’est ce qu’elle croit. Ça fait aussi trouver des choses qui étaient incroyablement mal assorties et inappropriées pour la saison, dans ce cas un énorme tricot en patchwork et une jupe noire longue et légère.
« Maman », ai-je dit, d’une voix qui n’était qu’un murmure. J’étais terrifiée, plus que je ne l’avais été par les fées et le couteau. J’ai toujours eu peur d’elle.
« Tu as toujours été celle qui me ressemblait le plus, a-t-elle dit sur le ton de la conversation.
— Non », ai-je dit, mais la voix m’a fait défaut et il n’est sorti qu’un chuchotement.
« Ensemble nous pourrions faire tant de choses. Je pourrais t’en apprendre beaucoup. »
Je me suis rappelé comment nous l’avions tourmentée une fois, quand elle était en pleine crise. Nous devions avoir dix ou onze ans. Elle m’avait précipitée au bas des marches du perron parce qu’elle m’avait envoyée au magasin chercher des cigarettes et que j’étais revenue les mains vides parce qu’ils n’avaient pas voulu m’en vendre. Je saignais et Mor m’aidait à me relever, quand nous avons vu un gros oiseau noir passer en battant lentement des ailes au-dessus de la grille du cimetière – c’était probablement une corneille, mais à cet âge nous appelions tous les oiseaux noirs des corbeaux. De toute façon c’est le même mot en gallois. « Une fois, par un minuit lugubre », avait commencé Mor et j’avais joint ma voix à la sienne, et elle, Liz, ma mère, avait battu en retraite dans la maison, puis dans sa chambre pendant que nous continuions à réciter Le Corbeau de Poe de plus en plus fort.
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