On aurait pu croire que l’air nocturne m’aurait dégrisée, mais j’avais l’impression du contraire. Quand il a commencé à m’embrasser, ça m’a plu, et je l’ai embrassé à mon tour, ce qu’il a paru trouver légèrement déconcertant. (Peut-être que je m’y prenais mal ? Les livres ne le disent pas, mais je faisais exactement comme j’avais vu faire dans les films.) Il me tenait dans ses bras et il a commencé à me caresser partout. Cette fois, ça m’a coupé un peu le souffle, et m’a beaucoup excitée.
Alors nous sommes rentrés dans la maison, dans une petite pièce qui sert de bureau au père de Leah. Il y a là un canapé, nous nous sommes assis dessus et avons commencé à nous peloter. Il faisait sombre – il y avait de la lumière dans l’entrée, mais nous n’avions pas allumé dans la pièce.
Pourquoi parler de sexe par écrit est-il plus intime et plus gênant que d’écrire tout le reste ? Il y a des choses dans ce journal qui pourraient me faire brûler sur le bûcher , et je ne suis pas gênée pour les écrire.
Bref, nous nous sommes pelotés un moment, puis Owen a mis sa main dans ma culotte, et ça m’a plu, je me suis dit que j’étais égoïste de ne pas lui rendre la pareille, alors j’ai posé la main sur sa cuisse et j’ai remonté vers son pénis – et je sais parfaitement ce qu’est un pénis, j’ai pris des bains avec mes cousins, et j’ai aussi joué au docteur avec eux, quand nous étions assez jeunes pour qu’il n’y ait pas toutes ces stupides histoires de convenances. Bref, Owen avait un pénis comme on pouvait s’y attendre, et il était aussi excité, mais sitôt que je l’ai touché, à travers son pantalon, il m’a lâchée et a pratiquement fait un bond en arrière.
« Petite pute ! » a-t-il dit en se levant avec les deux poings fermés devant lui, comme pour se défendre. Puis il a quitté la pièce en courant. Je suis restée assise là une minute, les joues en feu. Je n’arrivais pas à comprendre. Je ne comprends toujours pas. Il avait envie de moi. Je le savais. Je pensais agir comme une personne normale, mais de toute évidence je me trompais. Il y a là quelque chose qui m’échappe encore maintenant.
Leah m’a dit quand je suis revenue que je devais faire attention à Owen, parce qu’il avait les mains baladeuses. Étais-je censée l’arrêter ? Attendait-il de moi que je lui oppose une résistance au lieu de coopérer ? C’est à vomir. Toute cette histoire est à vomir et je ne veux rien avoir à faire avec ça.
Je veux la série de bars sans fin de Triton . Ou même les trois vrais bars. Ça, je peux y faire face. Là, ça me dépasse complètement. Au moins je n’aurais probablement plus jamais à le revoir.
À Cardiff ce matin pour acheter des livres chez Lears. J’adore Lears. C’est énorme – deux étages, avec un mur entier de SF, et quelques importations américaines. J’ai trouvé un autre numéro de Destinies , et Red Shift, L’Intersection Einstein, Quatre quatuors et Charisme de Michael Coney (l’auteur de Rax ) et – miracle ! – un nouveau Roger Zelazny dans la série des Chroniques d’Ambre ! J’ai poussé un petit cri quand je l’ai vu. Le Signe de la Licorne ! Il a une horrible couverture jaune, mais Sphere soit béni à jamais de l’avoir publié et Lears de l’avoir en magasin !
Je préfère avoir Le Signe de la Licorne plutôt que tous les garçons des Vallées.
Cet après-midi nous sommes allées faire un tour sur les Beacons pour voir si les chutes d’eau étaient gelées. Elles ne l’étaient pas, il est loin de faire assez froid, même si elles gèlent quelques jours certains hivers. Il n’y avait pas de camionnette de marchand de glace sur l’aire de repos et tante Teg a fait une remarque à ce sujet comme si elle s’attendait vraiment à en voir une. J’adore les montagnes. J’adore le paysage qu’elles font, même en hiver. Quand nous sommes redescendues, vers Merthyr d’abord, puis par le contrefort de la montagne vers Aberdare, où tante Teg se promenait autrefois, quand elle était encore à l’école, j’avais l’impression de retourner me nicher sous une bonne grosse couette.
J’ai toujours ma nouvelle canne. Grampar est le seul à l’avoir remarquée, quand nous sommes passées le voir sur le chemin du retour. Il a dit que c’était du noisetier. J’ai dit que je l’avais achetée au marché avec l’argent de Noël. Il a dit que c’était du très beau travail et que je devrais mettre une virole de caoutchouc pour protéger le bout, ça doit se trouver au marché. Il paraissait beaucoup plus alerte aujourd’hui. Personne ne pourrait en faire plus que tante Teg pour essayer de le sortir de là.
Dans le train, j’ai lu d’une traite Le Signe de la Licorne, de façon à pouvoir le laisser à Daniel quand je retournerai à l’école. Ce que j’aime vraiment dans ces livres, c’est la voix de Corwin, si personnelle, qui prend les choses à la légère, plaisantant, puis devient brusquement si sérieuse. J’aime aussi les Atouts et les Ombres, et les voyages à travers Ombre. (Je pense que j’appellerai désormais toujours les Kentucky Fried Chicken des « Kentucki Fried Lizzard Partes ».) Je ne pense pas que Zelazny ait tiré tout le parti qu’il pouvait d’Ombre. Si vous pouvez la traverser et trouver des ombres de vous-même, des tas de choses sont possibles.
J’ai fini de le lire à Leominster, et après j’ai relu les Quatre quatuors et me suis enivrée de mots. Je pourrais en copier des pages entières. Parfois, le sens est difficile à saisir, mais ça fait partie du plaisir, remettre les images dans l’ordre de façon cohérente. Il y a là une histoire qui est exactement la même que dans « Le Jeune Lochinvar », mais ce n’est pas trop évident. Je suis si contente d’avoir mon propre exemplaire. Je pourrai le lire et le relire, encore et encore, dans le train , toute ma vie, et chaque fois je me souviendrai d’aujourd’hui et ça me fera remonter le temps. (Est-ce de la magie ? Oui, c’est une sorte de magie, mais ça ressemble plus à lire mon journal.)
Le Shropshire est toujours aussi plat et dépourvu de montagnes. Il a l’air pitoyable sous le crachin de janvier. Le ciel est si bas qu’on a l’impression de pouvoir le crever en levant le doigt. Il y a de quoi être en même temps claustrophobe et acrophobe.
Daniel m’a retrouvée sans aucun problème. Il était en avance et m’attendait dans la Bentley en lisant Punch quand je suis sortie de la gare. Il s’est excusé de ne pas m’avoir conduite à la gare quand je suis partie. C’est difficile de ne pas savoir quoi répondre. J’aurais pu dire que ça ne faisait rien, même si je pensais le contraire. Qu’est-ce que ça change qu’il se sente coupable après coup ? « Ne t’excuse pas, seulement ne le fais plus », ai-je dit. Il a grimacé.
J’avais apporté un gâteau des Rois. Je l’avais fait et tante Teg avait préparé le glaçage. Nous n’avions pas mis de magie directe et délibérée, sauf la pensée des Rois mages, et du poème de T. S. Eliot, mais le simple fait de l’avoir fait de nos mains avec les saladiers et les cuillers de tante Teg le rendait magique. Je suppose que les sœurs l’ont remarqué, parce qu’elles ont sorti le leur et ont dit que je devrais emporter le mien à l’école pour en donner une part à toutes mes amies. À l’école, il allait pratiquement irradier de magie. J’ai gardé la réflexion pour moi. J’ai mangé leur gâteau à la sciure en souriant et fait mon possible pour être la Gentille Nièce. J’ai fait semblant d’être terriblement excitée à l’idée de retourner à l’école et impatiente de savoir ce que les autres filles avaient eu comme cadeaux.
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