Il m’est venu à l’esprit alors que j’étais là, à prendre le thé et à sourire à m’en faire mal aux mâchoires, que les tantes n’avaient rien tenté de me faire par magie. Je veux dire que les boucles d’oreilles étaient une tentative en ce sens, mais elles avaient essayé d’utiliser leur autorité d’adulte et leur supériorité physique pour me conduire à la boutique et cætera, elles n’avaient pas tenté de me contraindre magiquement, de faire en sorte que j’aie toujours désiré des boucles d’oreilles, par exemple. Je me demande combien elles en savent et comment elles l’ont appris. L’ont-elles appris des fées ? Ou de quelqu’un qui l’a appris des fées ? Théoriquement, je pourrais enseigner, à qui n’en a jamais vu une, toute la magie que je connais.
J’ai réfléchi aux fées du jurassique pendant que je lisais Quatre quatuors et je me suis demandé si les fées sont une manifestation sensible de l’interconnectivité magique du monde. Je me rappelle qu’une fois à Birmingham, durant ma fugue, j’ai vu une fée debout à un coin de rue. Il pleuvait et le trottoir mouillé brillait, et elle était là, l’air complètement indifférent. Je me suis approchée d’elle, elle m’a vue, a hoché la tête et a disparu. J’ai vu que, juste là où elle s’était tenue, de l’herbe poussait dans une fissure du trottoir.
J’oublie toujours comme l’école est bruyante. J’en ai les oreilles qui bourdonnent.
Hier soir, j’ai lu dans mon lit Le Guide du routard galactique. J’avais l’intention de le lire vite pour pouvoir remercier Deirdre, mais c’est hilarant et aussi méchamment intelligent, je pourrais donc la remercier sincèrement, parce que je ne l’aurais jamais acheté toute seule, tellement il a l’air débile. Je me demande s’ils l’ont lu, au club de lecture.
Ce que les autres filles ont eu pour Noël (notes pour un rapport de la Gentille Nièce) : les plus riches ont eu des walkmans Sony. Elles n’ont pas pu venir avec à l’école, bien sûr, parce que la musique est interdite. Moira, Leah et Nasreen n’en revenaient pas, elles pensaient que c’était la pire des privations. Elles vivent avec la radio allumée en permanence. Les walkmans sont apparemment des magnétos à cassettes portatifs, avec écouteurs, qui s’attachent à la ceinture, si bien qu’on peut écouter de la musique enregistrée en se promenant. J’admets que c’est très malin, même si leur choix de musique n’est peut-être pas le mien. Beaucoup ont eu de la musique, même si elles n’ont pas eu de walkman, elles ont mentionné des disques et des cassettes. Lorraine a eu un skateboard et ses frères lui ont appris à s’en servir. C’est apparemment presque aussi bon que de skier. Les autres cadeaux courants sont des vêtements, du parfum, des palettes de maquillage avec un petit miroir dans le couvercle – aussi interdites à l’école, mais certaines en ont introduit discrètement quand même – et des savons au bout d’un cordon, ce qui me fait un peu moins aimer le mien.
Deirdre a admiré ma nouvelle canne. Elle m’a demandé si elle était irlandaise. J’ai répondu non, galloise, ce qui est vrai, et elle a dit que ce devait être un modèle celtique. J’ai acquiescé. Elle était contente que j’aie aimé son livre, et moi de l’avoir vraiment apprécié. Elle était ravie de ses savons, du moins c’est ce qu’elle a dit.
J’ai donné le gâteau à la cuisine en disant d’en distribuer des tranches à toute la 5e C. C’est un gros gâteau et, si les tranches sont très fines, il devrait y en avoir assez. Je m’en fiche si les filles ne le mangent pas. En fait, quand il a été distribué après le souper, presque tout le monde en a mangé, même si quelques-unes m’ont regardée d’un air circonspect avant de le faire. Ce que je pense de ces rois qui apportent de l’or, de l’encens et de la myrrhe, ou de l’avertissement contre Hérode, ne va pas leur faire de mal, mais je ne peux pas le leur dire. Sharon a donné sa tranche à Deirdre. Je ne sais pas ce que les juifs pensent de Jésus. Pensent-ils que c’était juste un gosse bizarre que des rois sont allés voir avec des présents parce qu’ils croyaient à tort que c’était le Messie ? Ou bien pensent-ils que ce n’est qu’un mythe ? Je ne peux pas poser la question à Sharon, mais je peux demander à Sam. Deirdre a trouvé la fève, dans la part de Sharon, et elle était aux anges. La fève et le concours de poésie sont probablement les seules choses qu’elle ait jamais gagnées. Je ne sais pas s’ils tirent les Rois en Irlande.
Je sens cet endroit se refermer autour de moi comme des sables mouvants.
Mardi, c’est le club de lecture !
Je suis sortie regarder l’école et prendre l’air, ce matin, et le terrain était plein de fées. Je m’attendais à ce qu’elles disparaissent dès qu’elles s’apercevraient que je pouvais les voir, mais elles ont continué leurs activités sans sembler me prêter aucune attention, s’écartant à peine de mon chemin. La plupart étaient de la hideuse espèce verruqueuse, mais il y avait quelques elfes parmi elles. J’ai essayé de leur parler en gallois et en anglais, mais elles m’ont ignorée. Je me demande ce qui se passe.
Une lettre de l’hôpital qui me fixe un rendez-vous jeudi matin avec un certain Dr Abdul. Je l’ai montrée à l’infirmière et à Miss Ellis, et je vais y aller, même si je ne vois pas quel bien ça peut me faire. Ma jambe va un peu mieux depuis quelques jours, en tout cas. L’hôpital orthopédique est à Gobowen, ce qui veut dire prendre un bus jusqu’en ville et un autre sur place.
Miss Carroll a été très gentille avec moi, elle m’a demandé si j’avais passé de bonnes vacances et si j’avais eu des livres. Je lui ai demandé si elle en avait eu, et elle a répondu oui, des livres et des bons pour des livres, tout comme moi. Elle n’est pas si vieille. Je suppose qu’elle a voulu devenir bibliothécaire par amour des livres et de la lecture. Ça ne me dérangerait pas, si ça pouvait être dans une vraie bibliothèque, mais une bibliothèque d’école ce serait l’horreur, surtout ici.
Ce soir, club de lecture !
Ce trimestre, en cours d’anglais, nous étudions Loin de la foule déchaînée . Je l’ai lu toute la journée dès que j’en ai eu le temps. Hardy est interminablement long, mais pas autant que Dickens. Il y a une scène horrible où une femme déchue, Fanny Robin, se traîne dans un fossé le long d’une clôture alors qu’elle donne naissance. Je pense que le reste du roman est trop léger par rapport à cette scène. Le happy end est un cauchemar – Bethsabé et Gabriel Oak sont mariés et « chaque fois que je lève les yeux, tu es là, et chaque fois que tu lèves les yeux, je suis là ». Tu parles d’un ennui ! Gramma aimait Hardy, mais moi j’en suis incapable. J’ai essayé, mais il est en même temps trop déprimant et trop banal. Il construit habilement ses intrigues, et il y a parfois des situations horribles, mais elles sont toujours convenues. Je déteste ça. Il aurait eu beaucoup à apprendre de Silverberg et Delany.
Nous allons aussi lire La Tempête et un peu de Keats. J’ai déjà lu les deux. La bonne nouvelle à propos de La Tempête, c’est qu’un voyage scolaire est prévu pour la voir au théâtre Clwyd à Mold. Je suppose que tout le monde gloussera et sera débile, mais une vraie pièce dans un théâtre ! Je n’ai jamais vu La Tempête . Je n’ai vu que Roméo et Juliette , au théâtre Sherman avec tante Teg, et Le Conte d’une nuit d’été, au Nouveau Théâtre avec l’école. Je crains que le théâtre de Mold ne soit pas au niveau d’un théâtre de Cardiff, mais peu importe. Je me demande comment ils représenteront Caliban. Je le vois toujours comme la première fée que j’ai vue ici, plein de verrues et de toiles d’araignée. Je me demande aussi comment ils représenteront Ariel.
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