1 homme garant une moto
Des millions de voitures
2 hommes d’affaires
1 chauffeur de taxi
1 moustachu avec sa femme
2 femmes blondes en manteaux verts assortis, qui sont passées deux fois, une dans chaque direction. Peut-être des sœurs ?
1 paire de jumeaux adultes. (Je déteste voir des jumeaux, même si c’est idiot.)
1 homme élégant en habit. (À l’heure du déjeuner ?)
1 homme en chemise rose. (Rose !)
1 skinhead portant une chope de bière en forme de dragon. (Il s’est arrêté devant la fenêtre et j’ai pu bien la regarder.)
1 femme d’affaires en tailleur rayé avec un attaché-case. (Elle avait l’air très soignée. Aimerais-je être elle ? Non. Mais pas non plus la plupart de ceux que j’ai vus.)
6 adolescents en tenue de gymnastique faisant la course
8 moineaux
12 pigeons
1 chien noir et blanc, probablement bâtard de terrier, non accompagné, qui levait la patte contre la moto. Il s’est éloigné seul, l’air guilleret, en reniflant tout. Peut-être que j’aimerais être lui.
Personnes qui m’ont remarquée :
1 homme en chemise de jean, qui m’a fait bonjour.
C’est drôle comme les gens sont généralement peu observateurs.
Quand est enfin venu mon tour, le docteur a été très brusque. Il n’avait pas beaucoup de temps à me consacrer. Il a dit qu’il me recommanderait à l’hôpital orthopédique et ferait suivre mes radios. J’avais dû attendre tout ce temps au milieu d’enfants la goutte au nez et de vieillards décrépits pour deux minutes d’entretien avec le docteur. Et c’était pour ça que j’avais manqué le cours de physique ?
J’ai quand même pu acheter deux pommes et une nouvelle bouteille de shampoing, et je suis passée à la bibliothèque, sur le chemin du retour, où j’ai réussi à rendre trois livres et à en emprunter quatre, je considère donc que c’était une expédition positive en ville.
En attendant le bus pour rentrer à l’école, j’ai réfléchi à la magie. Je voulais que le bus vienne et je ne savais pas exactement à quelle heure il passait. Si je mêlais la magie à ça, si j’imaginais le bus arrivant juste au coin de la rue, ce n’aurait pas été comme si j’avais matérialisé un bus du néant. Le bus était quelque part dans sa tournée. Il y avait deux bus par heure, disons, et pour que le bus arrive juste au moment désiré, il aurait dû partir du terminus à une heure précise, et les gens seraient montés et arrivés à destination à des heures différentes. Pour que le bus soit où je veux, il me faudrait changer tout ça, l’heure à laquelle ils s’étaient levés, même, et peut-être tout l’horaire depuis le moment où il avait été établi, de sorte que les gens auraient dû prendre le bus à des heures différentes tous les jours depuis des mois, rien que pour que je n’aie pas à attendre aujourd’hui. Dieu sait ce que ça aurait changé dans le monde, et tout ça juste pour un bus. Je ne sais pas comment les fées osaient seulement. Je ne sais pas comment qui que ce soit pourrait en savoir assez.
La magie ne peut pas tout faire. Glory n’avait pas pu aider Gramma pour son cancer, bien qu’il l’ait voulu et que nous l’ayons voulu. La magie peut remonter dans le temps, mais elle n’a pas pu faire revivre Mor. Je me rappelle quand elle est morte et que tante Teg me l’a annoncé, j’ai pensé : Elle sait, et je sais, et d’autres gens le diront à d’autres gens et de plus en plus de gens sauront et cela s’étendra comme des vagues à la surface d’un étang et il n’y aura pas moyen de revenir en arrière sans défaire tout . Ce n’est pas comme tomber d’un arbre sans que personne d’autre que les fées le voie.
Mercredi 28 novembre 1979
Gill s’est glissée dans le dortoir hier soir pour m’apporter sa vie des savants. Elle s’est assise sur mon lit et, pendant que nous bavardions, elle a posé le bras derrière moi, comme par mégarde, mais j’ai bien vu qu’elle s’y prenait prudemment, et en me regardant tout le temps. Je me suis levée d’un bond et je lui ai dit qu’elle devrait y aller, mais après Sharon m’a jeté un regard très étrange et je pense qu’elle l’avait remarquée. Aurais-je fait quelque chose pour encourager Gill ? Ou, en tout cas, pour lui donner à penser que je pourrais m’intéresser à elle de cette manière ? C’est très délicat, car elle est l’une des très rares personnes qui m’adressent vraiment la parole. Je crois qu’il faudrait que je lui parle, mais pas dans le dortoir ! Et j’ai peur de dire que je veux la voir en privé au cas où elle prendrait ça encore pour un encouragement, ce qui serait blessant quand il faudrait la détromper.
Dans Trois femmes dans un château , qui n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais, il y a un passage où l’héroïne est amoureuse d’un homme alors qu’un autre est amoureux d’elle, et elle se dit qu’elle va le faire avec lui, peut-être, mais elle sait aussi que ça ne marchera pas et elle ne veut pas le blesser. Ce qu’elle ressent et la façon qu’elle a de ne pas vouloir le blesser est un peu ce que j’éprouve vis-à-vis de Gill. Franchement, je ne pense pas que ce serait différent si c’était un garçon qui était mon ami. Je le dirai à Gill quand j’en aurai l’occasion. Peut-être samedi, ou demain après le cours de chimie ?
Une des pierres était tombée de l’appui de fenêtre, mais je l’ai remise en place. C’est une protection improvisée, mais pour le moment elle tient. Plus de visites nocturnes.
Des rêves horribles. Il faut vraiment que je fasse quelque chose. Ça ne peut pas continuer comme ça. Je le ferai cette nuit s’il ne pleut pas.
Pourquoi ne suis-je pas comme tout le monde ?
Je vois Deirdre : sa vie est complètement lisse. Ou bien le semble-t-elle juste à mes yeux ? Elle est venue me trouver à la récréation et m’a prise à part. « Charogne m’a raconté qu’elle a vu Gill te draguer », a-t-elle dit, et elle m’a regardé en toute confiance.
« Sharon a peut-être vu ça, mais je ne suis pas intéressée par Gill et je le lui ai dit.
— C’est mal, a-t-elle affirmé avec force.
— Je ne pense pas que ce soit mal si les deux personnes en ont envie, mais là, je n’en ai pas envie. »
Deirdre a eu l’air troublé et a battu en retraite, mais plus tard elle m’a offert un Polo à la menthe pour montrer qu’elle ne m’en voulait pas. Je devrais lui acheter un gâteau pour dimanche.
Pas eu l’occasion de parler à Gill après le cours de chimie. Je crois qu’elle cherche à m’éviter. Nous n’avons peut-être pas besoin d’avoir une conversation, après tout.
Vendredi 30 novembre 1979
Je me suis levée en pleine nuit pour essayer de la magie. Je suis descendue dans la cour en m’accrochant à l’orme, j’ai trouvé le cercle que j’avais fait la dernière fois et l’ai reconstitué. La lune apparaissait par intermittence à travers les nuages. Je n’ai pas fait de feu, cette fois.
Je ne veux pas raconter ce que j’ai fait. Une appréhension superstitieuse me dit que ça doit être mal, que je ne devrais même pas en avoir dit autant. Je ne devrais peut-être pas l’écrire seulement en miroir, mais à l’envers et en latin. Je crois savoir maintenant pourquoi les gens n’écrivent pas de vrais livres de magie. C’est simplement trop difficile à exprimer. Même comme ça, je sens encore que, à la fin, je ne savais pas vraiment ce que je faisais et que j’improvisais comme une folle. Ça n’a rien à voir avec faire ce que l’on vous a dit, quand vous pouvez être sûr que ça va marcher. La lune a toujours été mon amie. Mais même dans ces conditions.
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