George Martin - Le Donjon Rouge

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Comment Lord Eddard Stark, seigneur de Winterfell, Main du Roi, gravement blessé par traîtrise, et par la même plus que jamais à la merci de la perfidie de la reine Cersei ou des imprévisibles caprices du despotique Roi Robert, aurait-il une chance d’échapper à la nasse tissée dans l’ombre pour l’abattre ?
Comment, armé de sa seule et inébranlable loyauté, cerné de toutes parts par d’abominables intrigues, pourrait-il à la fois survivre, sauvegarder les siens et assurer la pérennité du royaume ?
Comment ne serait-il pas voué à être finalement broyé dans un engrenage infernal, alors que Catelyn, son épouse, a mis le feu aux poudres en s’emparant du diabolique nain Tyrion, le frère de la reine ?
Si les hautes figures, les personnages émouvants et les monstres sadiques conservent dans LE DONJON ROUGE la place de choix qu’ils occupaient dans LE TRÔNE DE FER, ce sont surtout les femmes qui tiennent cette fois les premiers rôles : lionnes ou louves, amantes, épouses ou mères, jeunes filles en fleur innocentes ou rebelles, elles réservent à leurs seigneurs et maîtres, censés pourtant dominer la partie, les plus suaves et déchirantes surprises…

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« …voudrais pas réveiller le dragon, si ? »

Le chagrin creusait les traits de ser Jorah. « Rhaegar fut le dernier dragon », disait-il. Ses mains translucides se chauffaient aux rougeoiements d’un brasero où se consumaient, tels des charbons ardents, des œufs de pierre. Il se tenait là un instant, l’instant d’après le dissipait, chair incolore et fluide d’une fluidité plus impalpable que la brise. « Le dernier dragon », soufflait-il, aussi ténu qu’une volute, avant de s’évanouir. Elle percevait, dans son dos, l’étau des ténèbres, et la porte rouge se faisait, là-bas, plus lointaine, plus inaccessible que jamais.

« …voudrais pas réveiller le dragon, si ? »

Viserys se dressait devant elle, vociférant : « Le dragon ne quémande pas, catin ! Le dragon n’a pas d’ordres à recevoir de toi ! Je suis le dragon, et la couronne m’écherra. » L’or en fusion dégoulinait comme de la cire sur son visage, y ravinant des ornières de chair en feu. « Je suis le dragon, et la couronne m’écherra ! glapissait-il, et ses doigts, cinglants comme des aspics, lui mordaient les tétons, les pinçaient, s’acharnaient à les tordre lors même que les yeux incandescents se mettaient à couler comme marmelade le long des joues calcinées, noircies.

« …voudrais pas réveiller le dragon, si ? »

La porte rouge était si loin, là-bas, si loin ! et si proche, si proche le souffle glacé qui la talonnait, l’effleurait déjà… ! Qu’il l’atteignît, et elle mourrait, mourrait d’une mort pire que la mort, d’une mort qui la condamnerait à hurler seule dans les ténèbres pour l’éternité. Elle prit ses jambes à son cou.

« …voudrais pas réveiller le dragon… »

Une formidable chaleur l’habitait, une chaleur qui lui dévastait le sein. Grand, fier, son fils avait le teint cuivré de Drogo mais sa blondeur d’argent à elle, et des yeux violets taillés en amandes. Et il lui souriait, levait la main vers elle mais, lorsque s’ouvrait sa bouche, il en sortait des flots de feu. Au travers de sa poitrine, elle voyait son cœur en flammes et, en un clin d’œil, plus rien, des cendres, une mèche de chandelle recroquevillée. Elle pleurait son enfant, pleurait la promesse des douces lèvres attachées à sa gorge, pleurait, mais ses larmes fumaient et s’évaporaient au contact de sa peau.

« …voudrais pas réveiller le dragon… »

Parés du somptueux manteau, mais délavé, des rois, des spectres bordaient l’allée centrale de l’immense salle. Leur poing serrait de pâles épées de feu. Ils avaient tantôt des cheveux d’argent, tantôt d’or, tantôt de platine blanc, des prunelles tantôt d’opale et tantôt d’améthyste, ou de jade, ou de tourmaline. « Plus vite ! criaient-ils, plus vite ! plus vite ! » Sous sa course éperdue se liquéfiaient les dalles. « Plus vite ! » criaient les spectres d’une seule voix, et, tout en pleurs, elle se ruait de l’avant. Un grand poignard de douleur lui dévalait l’échine, et elle sentait sa peau céder, se déchirer, et l’âcre odeur de sang brûlé la suffoquait, et l’ombre des ailes planait sur le galop panique de Daenerys Targaryen.

« …réveiller le dragon… »

La porte se dessinait devant elle, si près, si près ! la porte rouge, la salle n’était plus guère qu’un mirage, tout autour, le froid, derrière, perdait du terrain. Et voici qu’abolie la pierre elle se retrouvait volant au travers de la mer Dothrak, volait haut, de plus en plus haut, par-dessus les longues risées vertes, et l’ombre terrifiante de ses ailes mettait en fuite tout ce qui vivait, tout ce qui respirait. Et le parfum de la maison flattait ses narines, elle l’apercevait, la maison, là, juste après cette porte, là, des prairies verdoyantes et de vastes demeures de pierre et des bras qui lui tiendraient chaud, là. Elle ouvrit la porte à la volée…

« …le dragon… »

…et vit, revêtu d’une armure aussi noire et satinée que son étalon, coiffé d’un heaume dont rougeoyait sourdement l’étroite visière, son frère Rhaegar. « Le dernier dragon, chuchota tout bas, quelque part, la voix de ser Jorah. Le dernier, le dernier. » Elle releva la visière noire de l’apparition. Derrière se dissimulait son propre visage.

Puis seule subsista sur ces entrefaites, indéfiniment, la souffrance du feu qui lui dévorait les entrailles, parmi des murmures d’astres.

Avec le réveil coïncida une saveur de cendres.

« Non, gémit-elle, non, par pitié.

— Khaleesi ? » Des yeux de biche effarouchée. Jhiqui en pleurs planait au-dessus d’elle.

Dans la tente close régnaient l’ombre et le silence. Quelques flocons cendreux montaient encore d’un brasero, qu’elle suivit des yeux jusqu’à leur disparition par le trou de fumée, là-haut. Voler, songea-t-elle, j’avais des ailes, j’étais en train de voler. Rien d’autre qu’un rêve.., « Aide-moi, souffla-t-elle en essayant de se lever. Apporte-moi… » Sa voix était à vif comme une blessure, et elle ne parvenait pas même à se formuler ce qu’elle désirait au juste. D’où lui venait tant de souffrance ? Il lui semblait qu’on l’avait mise en pièces puis rapiécée vaille que vaille. « Je veux…

— Oui, Khaleesi. » En un clin d’œil, Jhiqui s’était ruée hors de la tente, évanouie pour appeler. Il fallait à Daenerys… quelque chose…, ou quelqu’un…, quoi ? mais capital, elle le savait. La seule chose au monde qui lui importât. Elle se laissa rouler sur le flanc, réussit, malgré les couvertures qui lui emmêlaient les jambes, à s’accouder. Mais qu’il était donc malaisé de bouger, si mal… Le monde tanguait vertigineusement. Il me faut…

Elle se retrouva sur le tapis, rampant vers les œufs de dragon, quand ser Jorah Mormont la souleva, vaguement rétive, pour la remporter sur sa couche de soie douillette, aperçut, par-dessus l’épaule du chevalier, ses trois Servantes, et puis la moustache floche de Jhogo, la large face épatée de Mirri Maz Duur. « Je dois…, leur balbutia-t-elle, il me faut…

— …dormir, princesse, dit Mormont.

— Non, protesta-t-elle. S’il vous plaît. S’il vous plaît.

— Si. » Il la recouvrit de soieries, toute brûlante qu’elle était. « Dormez, Khaleesi , reprenez des forces. Pour nous revenir. » Puis Mirri Maz Duur fut là, la maegi , qui lui insérait une coupe entre les lèvres. Du lait suri, d’après le goût, mais avec quelque chose d’autre, quelque chose d’amer et visqueux. Un breuvage tiède qui lui coula le long du menton. Qu’elle avala tout de même. La tente se brouilla, le sommeil l’engloutit à nouveau. Sans rêves, cette fois. Elle flottait, sereine, détachée, sur une mer noire et sans grèves.

Au bout d’un certain temps, combien ? une nuit ? un jour ? une année ? elle se réveilla. La tente était plongée dans l’ombre, ses parois de soie battaient comme des ailes au gré du vent. Elle ne tâcha point, cette fois, de se lever, se contenta d’appeler : « Irri ? Jhiqui ? Doreah ? » Toutes trois parurent instantanément. « J’ai la gorge sèche, dit-elle, tellement sèche… », et elles apportèrent de l’eau. Une eau tépide et fade, mais qu’elle absorba goulûment, priant même Jhiqui d’aller en quérir encore, tandis qu’Irri lui bassinait le front avec un linge humide. « J’ai été malade, n’est-ce pas ?» La jeune fille acquiesça d’un signe. « Combien de temps ? » La fraîcheur du linge lui faisait du bien, mais l’air désolé d’Irri l’effrayait. « Longtemps », souffla celle-ci. Lorsque Jhiqui revint de sa commission, Mirri Maz Duur l’accompagnait, les paupières gonflées de sommeil. « Buvez », dit-elle en lui soulevant la tête. Du vin, cette fois, du vin, simplement. Du vin doux, si doux. Après avoir bu, elle se laissa retomber sur sa couche, attentive à la calme rumeur de sa propre respiration. Une pesanteur alanguissait ses membres, le sommeil reprenait peu à peu son envahissement. « Apporte-moi…, murmura-t-elle d’une voix pâteuse et lointaine, apporte…, je veux tenir…

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