George Martin - La Bataille des rois

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Au Royaume des Sept Couronnes, rien ne va plus. La mort du roi Robert a clos une longue période d’été, de paix et d’apparente prospérité : le Trésor est au bord de la banqueroute, et trop nombreux sont les candidats prétendument légitimes au Trône de Fer : Stannis et Renly Baratheon le disputent à leur neveu Joffrey, tandis que Robb Stark, proclamé roi du Nord, s’efforce de venger son père naguère condamné à mort et exécuté sous couleur de trahison. Au fin fond de l’Orient, l’unique descendante des anciens rois targaryens médite sa revanche en élevant ses trois dragons… L’hiver vient, qui grouille de forces obscures, de mages et de morts-vivants, d’intrigants sournois prêts à tous les maléfices en vue de fins impénétrables.
Grâce à son pouvoir d’évocation sans égal, George R.R. Martin nous entraîne dans un fabuleux univers de complots, de vengeances et de combats, de poison et de magie. Ses personnages ont la force des plus grandes créations romanesques : une fois le livre refermé, quel lecteur pourra oublier Sansa, la princesse sentimentale qui se découvre le jouet d’intrigues machiavéliques, Arya, sa sœur casse-cou qui se déguise en garçon pour échapper à la mort, ou leur frère Bran, l’étrange infirme à demi loup-garou ?
Audacieux, imaginé avec un luxe inouï de détails, nourri par une invention débridée,
est un roman éblouissant. Il a la puissance des contes anciens qui hantent toutes les mémoires.

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— A Winterfell, dirent les deux Reed d’une seule voix, nous engageons la foi de Griseaux. Foyers, récoltes et cœurs, nous vous remettons tout, messire. Nos épées, nos lances et nos arcs, les voici vôtres et à vos ordres. Accordez miséricorde à nos égarés, secours à nos désarmés, justice à tous, et jamais nous ne vous manquerons.

— Je le jure par la terre et l’eau, dit le garçon en vert.

— Je le jure, ajouta sa sœur, par le bronze et le fer.

— Nous le jurons par la glace et le feu », conclurent-ils simultanément.

Bran tâchait de répondre, éperdu. Etait-il censé retourner un serment ? Le leur n’était pas de ceux qu’il avait appris. « Puissent les hivers vous être brefs et les étés prodigues », dit-il enfin. Une formule qui, d’ordinaire, était de bon ton. « Levez-vous. Je suis Brandon Stark. »

Lady Meera se redressa, puis donna la main à son frère pour qu’il fit de même. Il avait constamment gardé les yeux fixés sur Bran. « Nous vous apportons en présents du poisson, des grenouilles et de la volaille, dit-il.

— Je vous remercie. » Lui faudrait-il manger une grenouille par politesse ? « Permettez-moi de vous offrir le pain et le sel de Winterfell. » Il essaya de se rappeler les leçons reçues quant aux habitants des paluds du Neck. Ils n’en sortaient que rarement. Pêcheurs et chasseurs de grenouilles, ils cachaient leur pauvreté sur des îles flottantes, au fin fond des marais, dans des huttes de chaume et de roseaux tressés. On les taxait de couardise, car ils se servaient, disait-on, d’armes empoisonnées, aimant d’ailleurs mieux s’embusquer que de combattre ouvertement. Ce qui n’empêchait pas Howland Reed de s’être montré l’un des plus fermes compagnons de Père durant la guerre qui, dès avant la naissance de Bran, avait valu le trône à Robert Baratheon.

Tout en prenant place, Jojen Reed promena un regard curieux sur la salle. « Où sont les loups-garous ?

— Dans le bois sacré, répondit Rickon. A cause de la méchanceté de Broussaille.

— Mon frère aimerait les voir », glissa Meera.

Petit Walder jugea bon de piailler : « Gare à lui s’ils le voient, ils n’en feront qu’une bouchée !

— Pas si je suis là. » Bran était charmé de leur intérêt pour les loups. « Eté ne mord pas, de toute manière, et je tiendrai Broussaille à l’écart. » Ces prétendus « bourbeux » l’intriguaient. Il ne se rappelait pas en avoir jamais vu auparavant. Malgré la correspondance régulière de Père avec le sire de Griseaux, Winterfell n’avait semblait-il reçu la visite d’aucun des gens des paluds depuis des années. Bavarder un peu avec ces deux-là l’aurait ravi, mais le tapage était tel dans la grande salle qu’on n’y pouvait à la rigueur entendre que son voisin immédiat.

Son voisin immédiat étant ser Rodrik, il l’interrogea : « C’est vrai qu’ils mangent des grenouilles ?

— Mmouais, répondit le vieux chevalier. Des grenouilles et du poisson et des lézards-lions et des oiseaux de toutes sortes. »

Peut-être n’ont-ils ni gros ni petit bétail, se dit Bran. Aussi commanda-t-il de leur apporter une bonne tranche d’aurochs, des côtelettes de mouton et d’emplir à ras bord leurs tranchoirs de ragoût de bœuf. Ils en parurent assez friands. Mais lorsque Meera, surprenant l’attention dont elle était l’objet, sourit, Bran rougit et se détourna.

Bien plus tard, après que l’on eut fini de servir et d’engloutir les pâtisseries puis de les noyer dans des pintes et des pintes de vin d’été, de débarrasser les tables et de les repousser contre les murs pour faire de la place, il ne fut plus question que de danser. La musique se fit beaucoup plus trépidante, les tambours s’en mêlèrent, et Hother Omble accoucha d’une trompe de guerre courbe colossale cerclée d’argent dont il tira si grand fracas, lorsque le chanteur aborda le passage de La Nuit suprême où la Garde de Nuit fondait sur les Autres durant la bataille de l’Aube, que tous les chiens se répandirent en aboiements furieux.

A peine deux des Glover eurent-ils entamé sur la harpe et la cabrette une ritournelle endiablée que Mors Omble bondit le premier sur ses pieds et, empoignant au passage une servante dont la carafe de vin vola se briser au sol, se mit à la faire, parmi la jonchée que souillaient mille détritus, débris d’os et quignons de pain, toupiller, branler, gigoter en l’air, suffocante, hilare et cramoisie dans un tourbillon de jupes retroussées.

D’autres s’empressèrent de les imiter. Tandis qu’Hodor entreprenait de gambiller seul, lord Wyman invitait Beth Cassel et, pour un homme d’une telle ampleur, n’était pas dépourvu de grâce, sinon d’endurance, car sa lassitude permit à Cley Cerwyn de s’emparer de la petite. Ser Rodrik tenta sa chance auprès de lady Corbois, mais elle se récusa avant de se retirer. Quant à Bran, après s’être imposé le rôle de spectateur assez longuement pour ne point faillir à la courtoisie, il manda Hodor. Il se sentait brûlant, vanné, bouffi d’avoir bu, et la vue des danses le chagrinait. Encore une chose que jamais il ne pourrait faire. « Je veux partir.

— Hodor ! » lui repartit Hodor d’une voix de stentor en s’agenouillant. Mestre Luwin et Bille-de-foin hissèrent Bran dans sa hotte. Une cérémonie que les habitants de Winterfell avaient vue cent fois, mais qui ne pouvait manquer de sembler curieuse à ceux des invités que la politesse n’étouffait point. Ces regards pesants…

Pour s’épargner de retraverser toute l’immense salle, il se fit emporter par la porte arrière, celle du seigneur, qui ne l’obligeait qu’à baisser la tête. Dans la pénombre du corridor, ils trouvèrent le maître d’écuries, Joseth, engagé dans une partie plutôt particulière d’équitation. Il tenait plaquée contre le mur une femme inconnue de Bran qui, cottes retroussées jusqu’aux reins, gloussait en se trémoussant. Mais lorsque Hodor s’immobilisa, fasciné, elle poussa un cri. « Fiche-leur la paix, Hodor, dut intervenir Bran. Ramène-moi dans mes appartements. »

Ce que fit le géant, docile, avant de le déposer auprès de son lit et, une fois qu’il s’y fut lui-même étendu en s’aidant des barres de fer, de lui retirer ses bottes et ses chausses. « Tu peux retourner à la fête, à présent, le congédia Bran, mais ne va pas importuner Joseth, au moins.

— Hodor ! » répliqua Hodor, la tête inclinée de côté.

Dès que Bran eut soufflé sa chandelle de chevet, les ténèbres l’enveloppèrent à la manière familière et moelleuse d’une courtepointe. Par les volets clos sourdait l’écho des flonflons lointains.

Subitement lui revint de sa petite enfance un mot de Père. Comme il demandait à lord Eddard si les chevaliers qui composaient la Garde étaient véritablement la fine fleur des Sept Couronnes, celui-ci répondit : « Plus maintenant. Alors qu’ils faisaient d’elle un joyau, jadis, une éblouissante leçon pour le monde.

— En fut-il un dont l’excellence surpassa toute autre ?

— Je n’en ai pas connu de plus parfait que ser Arthur Dayne dont l’épée, Aube, avait été forgée dans le cœur même d’une étoile tombée du ciel. On l’appelait, lui, l’Epée du Matin, et il m’aurait tué, sans l’intervention d’Howland Reed. » Là-dessus, Père s’était rembruni et, maintenant, il était trop tard, hélas, pour obtenir une explication…

Il s’endormit la cervelle pleine de chevaliers revêtus d’armures étincelantes et dont les épées avaient des chatoiements d’astres, mais le rêve survint, qui le ramena dans le bois sacré. Les odeurs en provenance des cuisines et de la grande salle y sévissaient si fort qu’il pouvait presque croire n’avoir toujours pas quitté la fête. Il se glissait, talonné par son frère, sous les arbres. Emplie qu’elle était des hurlements de la meute humaine toute à ses jeux, la nuit foisonnait d’une vie sauvage. Tout ce boucan le rendait fébrile. Il voulait courir, il voulait chasser, il voulait…

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