— Quelles nouvelles de notre adversaire ? » Il reporta son attention sur les conditions de Stark. Il ne se montre pas trop gourmand. Rien que la moitié du royaume, la libération de nos prisonniers, des otages, l’épée de son père…, puis ses sœurs, ah oui.
« Le garçon reste à ne rien faire à Vivesaigues, disait cependant ser Cleos. Je pense qu’il craint d’affronter ton père en rase campagne. Ses forces s’amenuisent de jour en jour. Les seigneurs riverains l’ont quitté pour aller défendre chacun ses terres. »
Est-ce à cela que visait Père ? Il roula la carte. « Ces conditions sont inacceptables.
— Consentiras-tu du moins à échanger les petites Stark contre Willem et Tion ? » demanda ser Cleos d’un ton plaintif.
Tion était son frère cadet, se rappela Tyrion. « Non, dit-il sans rudesse, mais nous proposerons notre propre échange de prisonniers. Laisse-moi en conférer avec Cersei et le Conseil. Nous te renverrons à Vivesaigues avec nos conditions. »
Manifestement, cette perspective ne le réconforta pas. « Je ne crois pas, messire, que Robb Stark se rende aisément. C’est lady Catelyn qui veut cette paix, pas lui.
— Lady Catelyn veut ses filles. » Tyrion s’extirpa de son banc, carte et lettre aux doigts. « Ser Jacelyn veillera à te faire avoir nourriture et feu. Tu as salement besoin de dormir, ça se voit. Je t’enverrai chercher quand nous aurons débrouillé les choses. »
Du rempart, ser Jacelyn regardait s’exercer sur le terrain plusieurs centaines de nouvelles recrues. Si, vu l’énorme afflux de réfugiés, Port-Réal ne manquait pas d’hommes désireux de s’engager dans le Guet pour avoir quelque chose à se mettre sous la dent et disposer d’une paillasse dans les casernes, Tyrion ne se faisait aucune illusion quant à la valeur de pareils défenseurs si l’on en venait à se battre.
« Vous avez bien fait de me requérir, dit-il. Je vous confie ser Cleos. Ne le laissez manquer de rien.
— Et ceux qui l’escortent ?
— Donnez-leur à manger, des vêtements propres, et trouvez un mestre qui visite leurs blessures. Qu’ils ne mettent pas le pied en ville, compris ? » Laisser éclairer Vivesaigues sur la situation problématique de la cité eût été pour le moins malvenu.
« Parfaitement, messire.
— Oh, une chose encore. Chaque porte va recevoir des alchimistes pas mal de pots de grès vides que vous ferez emplir de peinture verte et que vous utiliserez pour entraîner vos boutefeux. Je veux des gens qui sachent les manipuler. Tout homme éclaboussé sera disqualifié. Une fois acquise la dextérité nécessaire, substituez à la peinture de l’huile de lampe et instruisez-les à l’allumage et au lancement, lorsqu’ils auront maîtrisé ces opérations sans se brûler, nous pourrons leur confier le feu grégeois. »
Ser Jacelyn se gratta la joue avec sa main de fer. « Sages mesures. Encore que je déteste ce pissat d’alchimiste.
— Moi de même, mais j’emploie ce que l’on me donne. »
Sitôt rencogné dans sa litière, Tyrion Lannister en tira les rideaux, se fourra un coussin sous le coude. Qu’il eût intercepté la lettre de Stark allait mécontenter Cersei, mais c’est pour gouverner que Père l’avait envoyé, pas pour contenter Cersei.
A son avis, Robb Stark venait de leur offrir une chance en or. Qu’il attende à Vivesaigues, avec ses rêves de paix à bon compte. Tyrion répliquerait par des conditions de son propre cru, juste à point consentantes pour entretenir dans ses chimères le roi du Nord. Que ser Cleos se casse son cul osseux de Frey à caracoler dans les deux sens avec des propositions et contre-propositions. Cela laisserait tout loisir à leur cousin ser Stafford d’entraîner et d’armer la nouvelle armée levée à Castral Roc et, la chose faite, de s’entendre avec lord Tywin pour prendre en tenaille une bonne fois pour toutes les Stark et Tully.
Si seulement les frères de Robert voulaient bien se montrer aussi accommodants. Si glacial que fût sa progression, Renly Baratheon n’en grignotait pas moins le terrain tant au nord qu’à l’est avec son énorme armée de méridionaux, et il ne se passait guère de nuit que Tyrion ne craignît d’être réveillé par la nouvelle que Stannis et sa flotte remontaient la Néra. Bon, il semblerait que je possède d’assez jolies quantités de feu grégeois, mais mais…
Un brouhaha de la rue vint le divertir de ses préoccupations. Il entrebâilla prudemment les rideaux. Sous les auvents de cuir de la place Crépin que l’on traversait pour lors se pressait une foule considérable, ameutée par les transes prophétiques d’un énergumène que sa robe de laine brute et le cordon de chanvre de sa ceinture désignaient comme frère mendiant.
« Corruption ! piaillait-il. Tel est l’avertissement ! Voici le fouet du Père ! » Il brandit l’index vers la plaie rougeâtre du ciel, dans son dos. Grâce à quoi l’auditoire embrassait simultanément la colline d’Aegon surmontée par la silhouette lointaine du Donjon Rouge et, en suspens telle une menace au-dessus des tours, la comète. Judicieux, le choix de l’angle…, rumina Tyrion. « Nous sommes ballonnés, boursouflés, fétides. Le frère s’accouple à la sœur dans le lit des rois et, en son palais, le fruit de l’inceste galipette au son du pipeau d’un petit singe démoniaque ! Les grandes dames forniquent avec les bouffons et mettent au monde des monstres ! Le Grand Septon lui-même a oublié les dieux ! Il se vautre dans des bains capiteux et s’empiffre à lard de lamproie, d’ortolans pendant que son peuple se meurt de faim ! La vanité prévaut sur la prière, l’asticot règne dans nos châteaux, l’or est tout…, mais suffit ! L’été pourri s’achève, et voilà jeté à bas le roi maquereau ! Une effroyable puanteur assiégea le ciel lorsque l’ouvrit le sanglier, et sa panse vomit des myriades de reptiles sifflants et mordants ! » A nouveau, son doigt décharné montra la comète et le château, derrière. « Voici que vient l’Avant-coureur ! Purifiez-vous, clament les dieux, de peur qu’on ne vous purifie ! Baignez-vous dans le vin de la vertu, ou votre bain sera de feu ! De feu !
— De feu ! » reprirent certains auditeurs, mais leur voix se perdit sous les huées et les quolibets, au soulagement de Tyrion. Il donna l’ordre de poursuivre, et la litière se remit à rouler comme un navire par mer forte dans le sillage des Faces Brûlées. Un petit singe démoniaque, ah mais. Le bougre avait à l’évidence une dent contre le Grand Septon. Au fait, qu’en avait dit Lunarion, l’autre jour ? Un pie qui pousse la ferveur à l’endroit des Sept jusqu’à se farcir un repas pour chacun d’eux chaque fois qu’il se met à table. Le souvenir de cette pique le fit sourire.
Il fut bien aise d’atteindre le Donjon Rouge sans autre incident. Et la situation lui parut, pendant qu’il remontait chez lui, beaucoup moins désespérée qu’à l’aube. Du temps, voilà tout ce dont j’ai véritablement besoin, du temps pour tout combiner. Une fois fabriquée la chaîne… Il ouvrit la porte de sa loggia.
Cersei se détourna si vivement de la baie que l’envol de ses jupes souligna la minceur de ses hanches. « Comment oses -tu bafouer mes ordres ?
— Qui t’a admise dans ma tour ?
— Ta tour ? Ce château royal appartient à mon fils.
— C’est ce qu’on m’a dit. » Il n’avait pas envie de rire. Et Crawn l’aurait encore moins, ses Sélénites étant de garde, aujourd’hui. « Il se trouve que je m’apprêtais à t’aller voir.
— Vraiment ? »
Il claqua la porte derrière lui. « Tu doutes de moi ?
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