— Très prudents, appuya Hallyne. Très très prudents.
Ces pots de grès…, vous en avez des réserves assez considérables ?
— Oui, messire. Je vous remercie de vous en inquiéter.
— Dans ce cas, vous ne vous offusquerez pas si je vous en prends. Quelques milliers.
— Quelques milliers ?
— Ou en aussi grand nombre qu’en pourra concéder votre guilde sans compromettre le rythme de production. Comprenez-moi bien, ce sont des pots vides que je demande. Faites-les livrer aux capitaines chargés de la garde de chacune des portes de la cité.
— Je n’y manquerai pas, messire, mais pourquoi… ? »
Tyrion lui sourit de bas en haut. « Quand vous m’enjoignez de me vêtir chaudement, je me vêts chaudement. Quand vous m’enjoignez la prudence, eh bien… » Il haussa les épaules. « J’en ai assez vu. Pousseriez-vous l’obligeance jusqu’à me raccompagner jusqu’à ma litière ?
— Je m’en ferai un immense, hmhmhm, plaisir, messire. » Elevant sa lampe, il le précéda vers l’escalier. « Trop aimable à vous de nous avoir rendu visite. Un immense honneur, hmhmhm. Cela faisait trop longtemps que la Main du roi n’avait daigné nous accorder la grâce de sa présence. En fait depuis lord Rossart, et il appartenait à notre ordre. Ce qui nous renvoie à l’époque du roi Aerys. Le roi Aerys prenait un immense intérêt à nos travaux. »
Le roi Aerys vous utilisait pour griller la viande de ses ennemis. Tyrion tenait de Jaime des anecdotes croustillantes sur le roi fol et ses chouchous de pyromants. « Joffrey ne manquera pas non plus de s’y intéresser. » Raison de plus pour le tenir soigneusement à l’écart de vous.
« C’est notre espoir le plus cher que d’accueillir en l’hôtel de la Guilde la royale personne de Sa Majesté. J’en ai moi-même entretenu votre royale sœur. Un grand festin… »
Le froid diminuait au fur et à mesure que l’on montait. « Sa Majesté a formellement interdit toute espèce de festivité jusqu’à la victoire définitive. » Sur mes instances. « Le roi trouve malséant de banqueter somptueusement quand son peuple n’a pas de pain.
— Une attitude des plus, hmhmhm, aimante , messire. Certains d’entre nous ne pourraient-ils, à titre de consolation, se rendre au Donjon Rouge auprès de Sa Majesté ? Une petite démonstration de nos pouvoirs serait, je m’en flatte, susceptible de La distraire une soirée de tous ses soucis. Le feu grégeois n’est jamais que l’un des terribles secrets dont notre vénérable ordre détient les clés. Il est nombre de merveilles auxquelles nous vous initierions.
— Sa Grâce et moi y songerons. » S’il n’avait rien contre quelques tours de magie, Tyrion trouvait déjà bien assez alarmant le faible de Joffrey pour les duels à mort ; il n’allait sûrement pas le laisser goûter à la jouissance de brûler vifs les gens.
En atteignant enfin la dernière marche, il se défit de sa pelisse et la plia sur son bras. Sans lui laisser le loisir d’admirer l’imposant dédale de la Guilde – une garenne de pierre noire –, Hallyne l’y fit tournicoter jusqu’à la galerie des Torches-de-fer, longue pièce peuplée d’échos dont les colonnes de métal noir, hautes de vingt pieds, étaient comme gainées de flammèches vertes ondoyantes. Les flammes fantomatiques qui chatoyaient sur la noirceur miroitante du marbre des murs et du sol achevaient l’ambiance émeraude. Mais cette fantasmagorie aurait davantage impressionné Tyrion s’il n’avait su que l’on venait tout juste d’illuminer en son honneur, et que l’on éteindrait dès son départ. Le feu grégeois coûtait trop cher pour se gaspiller.
Au sommet du large escalier courbe, ils débouchèrent sur la rue des Sœurs, presque au pied de la colline de Visenya. Ses adieux faits au pyromant, Tyrion trottina rejoindre, un peu plus bas, Timett, fils de Timett, et ses Faces Brûlées. Eu égard à sa démarche du jour, le choix d’une telle escorte lui avait paru singulièrement judicieux. Sans compter que les cicatrices de ce joli monde flanquaient à la populace une trouille bleue. Et ce n’était pas du luxe, ces derniers temps. Rien que trois nuits plus tôt, la foule s’était à nouveau massée aux portes du Donjon Rouge afin de chanter sa faim, et Joff l’avait fait remercier de la sérénade par une grêle de flèches – quatre morts –, avant de gueuler : « Bouffez-les ! je vous donne la permission ! » Autant de nouveaux amis gagnés à notre cause.
A la surprise de Tyrion, Bronn l’attendait aussi, près de la litière. « Qu’est-ce que tu fabriques ici ?
— Je vous apporte des messages. Main-de-fer vous réclame d’urgence à la porte des Dieux. Il refuse de dire pourquoi. Et vous êtes également convoqué à Maegor.
— Convoqué ?» Il ne voyait capable d’utiliser pareil mot qu’une seule personne. « Que me veut Cersei ? »
Bronn haussa les épaules. « La reine vous ordonne de regagner le château sur-le-champ et de vous présenter chez elle. Le commissionnaire était votre jouvenceau de cousin. Quatre poils sur la lèvre, et ça se croit un homme.
— Quatre poils et un titre de chevalier. Il est ser Lancel, maintenant, tiens-le-toi pour dit. » Pour que Prédeaux le dérange, il fallait qu’il s’agit d’une affaire importante. « Autant commencer par ser Jacelyn. Mande à ma sœur que j’irai la voir dès mon retour.
— Elle n’appréciera pas, l’avertit Bronn.
— Tant mieux. Plus Cersei attend, plus elle enrage, et la rage la rend idiote. Je l’aime cent fois mieux furieuse et idiote que maligne et de sang-froid. » Il balança sa pelisse dans la litière et l’y rejoignit, plus ou moins hissé par Timett.
A la porte des Dieux, la place du marché qui, dans des circonstances normales, aurait été bondée de maraîchers, était quasiment déserte lorsqu’il la traversa. Devant la poterne l’attendait ser Jacelyn, qui brandit d’un air bourru sa main de fer en guise de salut. « Messire. J’ai ici votre cousin Cleos Frey. Il arrive de Vivesaigues sous bannière blanche, porteur d’une lettre de Robb Stark.
— Conditions de paix ?
— Paraît-il.
— Ce cher cousin. Menez-moi à lui. »
Les manteaux d’or avaient relégué ser Cleos dans un poste de police aveugle de la conciergerie. Il se leva à l’entrée de Tyrion. « Enchanté de te voir.
— Un compliment qu’on ne me fait guère, cousin.
— Cersei t’accompagne ?
— Ma sœur a d’autres occupations. C’est la lettre de Stark ? » Il la préleva sur la table. « Vous pouvez nous laisser, ser Jacelyn. »
Prédeaux s’inclina et se retira. « Je suis prié de transmettre l’offre à la reine régente, dit ser Cleos comme la porte se refermait.
— Je m’en charge. » Tyrion jeta un coup d’œil sur la carte jointe à la lettre par Robb Stark. « Chaque chose en son temps, cousin. Prends un siège. Repose-toi. Tu as une mine de déterré. » C’était un euphémisme, à la vérité.
« Oui. » Il s’affala sur un banc. « C’est du vilain, dans le Conflans, Tyrion. Autour de l’Œildieu et le long de la route royale en particulier. Les seigneurs riverains brûlent leurs propres récoltes dans l’espoir de nous affamer, et les fourrageurs de ton père incendient chaque village dont ils s’emparent et en exterminent la population. »
La guerre ordinaire, quoi. On égorgeait les petites gens, et les gens bien nés, on les retenait captifs pour les rançonner. Rappelle-moi de rendre grâces aux dieux qui m’ont fait naître Lannister.
Ser Cleos se passa la main dans ses fins cheveux bruns. « Malgré notre bannière blanche, on nous a attaqués deux fois. Des loups vêtus de maille, affamés d’étriper quiconque est plus faible qu’eux. A quel bord ils appartenaient initialement, les dieux seuls le savent, mais ils sont désormais de leur propre bord. Perdu trois hommes et eu deux fois plus de blessés.
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