George Martin - La Bataille des rois

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Au Royaume des Sept Couronnes, rien ne va plus. La mort du roi Robert a clos une longue période d’été, de paix et d’apparente prospérité : le Trésor est au bord de la banqueroute, et trop nombreux sont les candidats prétendument légitimes au Trône de Fer : Stannis et Renly Baratheon le disputent à leur neveu Joffrey, tandis que Robb Stark, proclamé roi du Nord, s’efforce de venger son père naguère condamné à mort et exécuté sous couleur de trahison. Au fin fond de l’Orient, l’unique descendante des anciens rois targaryens médite sa revanche en élevant ses trois dragons… L’hiver vient, qui grouille de forces obscures, de mages et de morts-vivants, d’intrigants sournois prêts à tous les maléfices en vue de fins impénétrables.
Grâce à son pouvoir d’évocation sans égal, George R.R. Martin nous entraîne dans un fabuleux univers de complots, de vengeances et de combats, de poison et de magie. Ses personnages ont la force des plus grandes créations romanesques : une fois le livre refermé, quel lecteur pourra oublier Sansa, la princesse sentimentale qui se découvre le jouet d’intrigues machiavéliques, Arya, sa sœur casse-cou qui se déguise en garçon pour échapper à la mort, ou leur frère Bran, l’étrange infirme à demi loup-garou ?
Audacieux, imaginé avec un luxe inouï de détails, nourri par une invention débridée,
est un roman éblouissant. Il a la puissance des contes anciens qui hantent toutes les mémoires.

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— Idiot. Si j’ai besoin d’aide, je gueule : A l’aide. » Elle s’élança. Ses pieds nus foulaient l’herbe en silence. Un coup d’œil par-dessus l’épaule lui confirma que Gendry la regardait s’éloigner de cet air chagrin que lui donnait la perplexité. Il doit se dire qu’il ne devrait pas laisser m’dame partir piquer de quoi croûter. Il n’allait faire que des bêtises, sûr et certain.

Plus elle approchait du village, plus s’aggravait la pestilence. A ses narines, tout sauf celle du poisson pourri. Bien plus fétide et plus infecte. Son nez s’en fripa.

Dès que la futaie s’éclaircit, elle recourut aux buissons pour se dissimuler, se faufilant, silencieuse comme une ombre, de l’un à l’autre. S’immobilisant tous les cinq ou six pas pour tendre l’oreille. Ainsi finit-elle par entendre des chevaux, ainsi qu’une voix d’homme. Et la puanteur ne cessait d’empirer. Pue le cadavre, voilà. Celle-là même qu’elle n’avait déjà que trop sentie avec Yoren et les autres.

Au sud du village s’échevelait un impénétrable roncier. Le temps de l’atteindre en demeurant constamment à couvert, et les longues ombres du crépuscule avaient commencé à s’estomper, les phalènes à fuser. Juste au-delà des ronces s’apercevait la silhouette des toits de chaume. A croupetons, Arya poursuivit sa progression jusqu’à ce qu’elle découvre une vague brèche où s’insinuer en rampant. Alors, elle vit de quoi émanait l’odeur.

Non loin de la berge que venaient laper gentiment les eaux de l’Œildieu se dressait un interminable gibet sommaire de bois vert où ballottaient, pieds entravés, des choses qui avaient été des hommes et que des corbeaux becquetaient en voletant de l’un à l’autre, parmi des nuées de mouches. Un soupçon de brise souffla du lac, et le cadavre le plus proche tourna sur sa corde, à peine à peine, comme par coquetterie. Les corbeaux ne lui avaient guère laissé de visage ni du reste, de tout le reste. Sa gorge et sa poitrine étaient déchiquetées, son ventre béant laissait pendouiller des boyaux verdâtres et des lambeaux de chair. De l’un de ses bras, tranché au ras de l’épaule, ne subsistaient, à quelque pas d’Arya, que les os, dépecés, rongés, mis en pièces.

Elle se contraignit à regarder le deuxième homme et le troisième et celui d’après…, tout en s’intimant de rester de pierre. Des cadavres, tous, et tellement défigurés, tellement putréfiés qu’il lui fallut un bon moment pour s’apercevoir qu’avant de les pendre on les avait déshabillés. Comme ils avaient à peine figure humaine, leur nudité ne se remarquait pas. Les corbeaux leur avaient toujours dévoré les yeux, parfois les joues. Du sixième de l’interminable file ne restait rien, sauf une jambe, une seule, encore entravée, que le moindre souffle faisait guincher.

La peur est plus tranchante qu’aucune épée. Ces morts ne pouvaient lui faire aucun mal, mais ceux qui les avaient tués le pouvaient, quels qu’ils fussent. Bien au-delà du gibet, devant le long bâtiment bas proche de la jetée, celui au toit d’ardoise, se tenaient, appuyés sur leur lance, deux types en haubert de mailles. Deux grands mâts fichés au bord du rivage portaient des bannières. L’une semblait rouge, l’autre plus pâle – blanche, peut-être, ou jaune –, mais comme elles ne flottaient pas et que l’obscurité s’épaississait, Arya n’aurait pas même pu affirmer que la rouge était Lannister. Pas besoin de voir le lion. Me suffit de voir tous ces morts. Qui d’autre que les Lannister aurait fait cela ?

Alors retentit un cri.

Qui fit se retourner les lances tandis que, poussant un prisonnier devant lui, paraissait un troisième larron. Il faisait désormais trop sombre pour distinguer les visages, mais le captif portait un heaume étincelant d’acier dont les cornes achevèrent d’éclairer Arya. Espèce d’idiot d’idiot d’idiot D’IDIOT ! Elle l’aurait à nouveau roué de coups de pied s’il s’était trouvé avec elle.

Les gardes avaient beau gueuler, la distance l’empêchait d’entendre ce qu’ils disaient, surtout avec les battements d’ailes et les piaillements des corbeaux tout proches. L’une des lances arracha son heaume à Gendry et lui posa une question, mais il ne dut pas trouver la réponse à son goût, car il lui balança sa hampe en pleine figure et l’envoya bouler à terre, où celui qui l’avait fait prisonnier lui botta les flancs, tandis que leur compagnon coiffait la tête de taureau. Enfin, après l’avoir remis sur pied, ils l’emmenèrent vers l’entrepôt. A peine en eurent-ils ouvert la porte qu’en fusa un petit garçon, mais l’un d’eux lui attrapa le bras et le renvoya baller à l’intérieur. D’où s’ensuivirent des sanglots puis un cri de douleur si déchirant qu’Arya s’en mordit la lèvre.

Là-dessus, les gardes propulsèrent aussi Gendry dans le bâtiment et en barrèrent la porte sur ses talons. Au même moment, l’haleine du lac émut les bannières, les défripa. La première portait, comme redouté, le lion, la seconde, trois minces figures noires courant sur un champ jaune beurre. Des chiens, pensa-t-elle. Des chiens qu’elle avait déjà vus quelque part, mais où ça ?

Il n’importait. La seule chose importante était que les autres tenaient Gendry. Savaient-ils que la reine le voulait ? Tout têtu et borné qu’il était, elle devait le tirer de là.

Il lui était odieux de voir le garde parader sous le heaume de Gendry, mais qu’y faire ? Etouffés par les murs aveugles de l’entrepôt montèrent, lui sembla-t-il, de nouveaux cris, mais peut-être se trompait-elle, après tout.

Elle demeura là suffisamment pour assister à la relève et voir mille autres choses. Des hommes allaient et venaient, menaient leurs chevaux s’abreuver au ruisseau. Une troupe de chasseurs rapporta des bois la dépouille d’un daim suspendue à une longue perche. Après qu’ils l’eurent écorché, vidé, qu’ils eurent allumé un feu sur la berge opposée du ruisseau, le fumet de la viande en train de rôtir se mêla de manière étrange à l’ignoble odeur de décomposition, barbouillant si bien son estomac vide qu’Arya pensa dégobiller, tandis qu’il attirait de nouveaux groupes de soldats casernés dans les chaumières et pour la plupart équipés de maille ou de cuir bouilli. Une fois le gibier cuit, ses meilleurs morceaux furent emportés dans une maison.

Elle avait compté que les ténèbres lui permettraient de se rapprocher en tapinois pour libérer Gendry, mais les autres enflammèrent des torches à même les braises. Un écuyer vint apporter de la viande et du pain aux deux factionnaires apostés devant l’entrepôt et qu’un peu plus tard rejoignirent deux nouveaux sbires avec une outre de vin qui circula de main en main. Cette dernière aussitôt vidée, ceux-ci s’éloignèrent mais, appuyés sur leur lance, ceux-là reprirent leur faction.

Ce que voyant, Arya finit, toute ankylosée, par s’extraire de sa tanière pour regagner le noir des bois. D’encre était la nuit, filiforme le croissant de lune que tour à tour occultait et dévoilait la fuite des nuages. Silencieux comme une ombre, se dit-elle en se coulant à travers les arbres. Si profondes étaient les ténèbres qu’elle n’osait courir, de peur de buter sur quelque obstacle invisible ou de s’égarer. Sur sa gauche, l’Œildieu lapait imperturbablement ses rives. Sur sa droite, un rien de vent faisait soupirer les branches, bruire et frissonner les feuilles. Au loin se percevaient des hurlements de loups.

Tourte et Lommy faillirent se conchier quand elle surgit du fourré derrière eux. « Chut », leur souffla-t-elle en enlaçant Belette qui s’était ruée sur elle.

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