— Personne vous abandonne, riposta Gendry d’un air dégoûté. Lommy a sa lance, si les loups viennent, et tu restes avec lui. On va juste voir, c’est tout ; et puis on revient.
— Qui qu’y soient, ces gens, vous d’vriez vous rendre à eux, gémit Mains-vertes. M’ faut des drogues, pour ma jambe. Fait vachement mal.
— Si on voit des drogues à jambe, on te les rapporte, dit Gendry. En route, Arry. Je veux arriver dans les parages avant que le soleil se couche. Tourte, tu retiens Belette. Je veux pas qu’elle nous suive.
— Elle m’a donné des coups de pied, la dernière fois…
— C’est moi qui t’en donnerai si tu la retiens pas. » Sans lui laisser le temps de répliquer, Gendry coiffa son heaume et s’en fut.
Comme il était son aîné de cinq ans, plus grand qu’elle de douze pouces et possédait des jambes longues à proportion, Arya devait tricoter ferme pour se maintenir à sa hauteur. Il demeura muet un bon moment, se contentant de se frayer passage, à grand tapage et d’un air furibond, parmi la futaie touffue. Il finit tout de même par s’arrêter et dit : « Lommy va mourir, je crois. »
Le pronostic ne la surprit pas. Bien qu’il fût autrement vigoureux que Lommy, Kurz était mort de sa blessure. Chaque fois que venait son tour de s’atteler à la civière, Arya était frappée par la fièvre intense de l’orphelin et la puanteur de sa jambe. « Si nous pouvions trouver un mestre…
— On trouve de mestres que dans les châteaux et, même on en trouverait un, il consentirait pas à se salir les mains pour un pauvre diable comme Lommy. » Il se coula sous une branche basse.
« Ce n’est pas vrai. » Mestre Luwin aurait secouru quiconque fût venu le trouver, elle en était sûre.
« Il va mourir et, plus vite il mourra, mieux ce sera pour nous autres. On devrait l’abandonner, comme il dit. Si le blessé, c’était toi ou moi, tu sais très bien qu’il nous abandonnerait. » Ils dégoulinèrent dans un ravin, en escaladèrent l’autre versant en s’agrippant à des racines. « J’en ai marre, de le porter, et j’en ai marre aussi, de l’entendre ressasser : “Faut se rendre.” S’il tenait debout, j’y ferais avaler ses dents. Il sert à rien ni à personne. Pas plus que la morveuse.
— Fous la paix à Belette, elle a peur et faim, voilà tout. » Elle jeta un regard en arrière mais, pour une fois, la petite ne les suivait pas. Tourte avait dû la retenir de force, comme ordonné.
« Elle est inutile, s’opiniâtra Gendry. Elle et Tourte et Lommy. Ils nous ralentissent et finiront par nous faire tuer. T’ es le seul du groupe à être bon à quelque chose. Quoique t’es une fille. »
Elle se pétrifia. « Je ne suis pas une fille !
— Si. Tu me crois aussi bête qu’eux ?
— Non. Plus bête. La Garde de Nuit ne prend pas les filles, chacun sait ça.
— C’est vrai. Je ne sais pas pourquoi Yoren t’a emmenée, il devait avoir de bonnes raisons, mais t’en es pas moins une fille.
— Je ne le suis pas !
— Alors, sors ta queue et pisse. Allez ?
— Je n’ai que faire de pisser. Je pourrais si je le voulais.
— Menteuse. Tu peux pas sortir ta queue parce que t’en as pas. J’avais pas remarqué tant qu’on était trente, mais tu files toujours dans les bois pour faire ton eau. Pas Tourte qui ferait ça, ni moi. Si t’es pas une fille, alors, tu dois être plus ou moins eunuque.
— L’eunuque, c’est toi.
— Tu sais bien que non. » Il se mit à sourire. « Tu veux que je la sorte, ma queue, pour te prouver ? J’ai rien à cacher, moi.
— Si fait, lâcha-t-elle, dans un élan désespéré pour esquiver le sujet de la queue qu’elle n’avait pas. Ces manteaux d’or en avaient après toi, à l’auberge, et tu as refusé de nous dire pourquoi.
— Je voudrais le savoir moi-même. A mon avis, Yoren savait, mais il m’a jamais rien dit. Mais toi, pourquoi t’as cru qu’ils étaient après toi ? »
Elle se mordit la lèvre. Elle se rappelait les paroles de Yoren, le jour où il lui avait coupé les cheveux. Dans c’te clique, la moitié te r’fourguerait à la reine, eul temps d’ cracher, contre un pardon, rien qu’ quéqu’ sous même, p’t-êt’. L’aut’, pareil, mais t’ viol’raient d’abord. Gendry seul était différent, la reine le voulait aussi. « Je te dirai mon secret si tu me dis le tien, répondit-elle prudemment.
— Je te le dirais si je le savais, Arry… – c’est vraiment comme ça que tu t’appelles, ou bien tu portes un nom de fille ? »
Elle fixa la racine qui se convulsait à ses pieds. La fraude était éventée, comprit-elle. Gendry savait, et elle n’avait pas dans ses chausses de quoi le convaincre du contraire. De deux choses l’une, ou bien elle tirait Aiguille et le tuait, là, sur place, ou bien elle lui faisait confiance. Le tuer ? elle n’était pas sûre d’y parvenir, même si elle essayait ; il avait sa propre épée, et il était fichtrement plus costaud qu’elle. Cela la réduisait à dire la vérité. « Tourte et Lommy ne doivent pas savoir, dit-elle.
— Ils sauront pas, promit-il. Pas par moi.
— Arya. » Elle leva les yeux vers les siens. « Je m’appelle Arya. De la maison Stark.
— De la maison… » Il lui fallut un bon moment pour retrouver la voix. « La Main du roi s’appelait Stark. Celui qu’ils ont tué comme traître.
— Jamais il n’a trahi. Il était mon père. »
Gendry s’écarquilla. « Et c’est pour ça que tu as cru… ? »
Elle hocha la tête. « Yoren me ramenait à Winterfell. Chez moi.
— Je… T’es de la haute, alors, une… tu seras une dame… »
Les yeux d’Arya tombèrent sur ses vêtements en loques, ses pieds nus, couverts de crevasses et de durillons. Sur ses mains écorchées, ses ongles crasseux, ses coudes couronnés de croûtes. Septa Mordane ne me reconnaîtrait même pas, je gage. Sansa peut-être, mais elle affecterait le contraire. « Ma mère est une dame, ma sœur aussi, moi pas, jamais.
— Bien sûr que si. Tu étais la fille d’un grand seigneur et tu habitais un château, n’est-ce pas ? Et tu… – bons dieux de bons dieux ! jamais je… » Il semblait tout à coup décontenancé, presque effrayé. « Tout ce micmac sur les queues…, j’aurais jamais dû. Ni proposer de pisser devant toi et tout le reste. Je… je vous demande pardon, m’dame.
— Arrête ! » grinça-t-elle. Se moquait-il ?
« Je connais les manières, m’dame, poursuivit-il, plus bouché que jamais. Chaque fois que des damoiselles de la haute venaient à la boutique avec leurs pères, mon maître me disait de leur ployer le genou devant, de leur causer que si elles m’adressaient la parole et de les appeler m’dame.
— Si tu te mets à m’appeler m’dame, même Tourte s’en apercevra. Garde-toi même de pisser différemment.
— Serviteur, m’dame. »
Des deux poings, elle lui assena un grand coup dans la poitrine. Il trébucha contre une pierre et tomba sur le derrière avec un gros pouf. « En voilà, des façons, s’étouffa-t-il, pour une damoiselle du meilleur monde !
— En voilà d’autres. » Elle lui décocha un coup de pied dans les côtes, mais il ne s’en esclaffa que mieux. « Rigole tout ton saoul. Moi, je vais voir qui habite le village. »
Déjà, le soleil s’était abaissé sous les frondaisons ; il ferait sombre incessamment. C’est Gendry qui, pour le coup, dut courir aux trousses d’Arya. « Tu sens ? » demanda-t-elle.
Il huma l’air. « Poisson pourri ?
— Tu sais bien que non.
— Gaffe, alors. Je vais faire le tour par l’ouest, voir s’y a une route. Probable, avec ta charrette. Tu suis le rivage. Si t’as besoin d’aide, t’aboies.
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